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La crise du Covid-19 a fait exploser le nombre de consultations à distance en France. Mais si les patients semblent vouloir prolonger l’expérience au-delà du contexte épidémique, la télémédecine ne peut se substituer au soin “physique”.
« On ne pourrait plus revenir en arrière »
Elle a eu le mérite de lever les appréhensions des professionnels de santé qui n’osaient pas se lancer. Or, les infirmières libérales ont un rôle essentiel dans l’accompagnement des téléconsultations : elles qui sont proches du patient apportent au médecin consulté à distance toutes leurs connaissances de terrain. On retrouve ainsi quelque chose qui avait presque disparu : la visite à domicile. La télémédecine est aussi très intéressante pour les infirmières qui exercent en Ehpad. Avant, les incompréhensions étaient fréquentes. Par exemple, on pouvait prescrire un complément alimentaire sans savoir qu’il n’était pas disponible dans l’établissement et le patient en recevait un autre, trop hyperprotidique, qui lui faisait perdre du poids au lieu d’en prendre. Ou alors, on prescrivait un pansement incompatible avec la façon dont était faite la toilette du patient… La télémédecine avec les infirmières nous apporte des informations sur les conditions au sein de l’établissement et permet enfin une vraie prise en charge pluridisciplinaire. On ne pourrait plus revenir en arrière.
Certains mettent en avant le fait que rien ne remplace une consultation physique, mais il n’y a aucune raison de mettre les différents modes de prise en charge en concurrence. La télémédecine n’est qu’un élément de plus qui s’insère dans le parcours de soins.
Récemment, deux infirmières m’ont adressé une patiente par le biais de la télémédecine. Je l’ai ensuite reçue en hôpital de jour, et soignée. Elle est retournée à do micile et le suivi se fera à nouveau à distance, par le biais des infirmières.
Cependant, certaines dérives restent possibles, comme court-circuiter son médecin traitant pour aller consulter directement un spécialiste à l’autre bout de la France…
L’expérience du coronavirus a aussi mis en évidence un risque d’exclusion de certains patients : comment faire quand on ne sait pas lire ni, a fortiori, utiliser un téléphone portable ? Il faudra veiller à ne délaisser personne, et les infirmières seront en première ligne pour cela.
Celles que j’ai rencontrées sont très demandeuses et ce n’est pas une question d’âge ! Bien sûr, il faut que les outils fonctionnent, mais à part ça, les compétences requises sont ni plus ni moins que celles prévues par le décret infirmier, trop souvent sous-utilisées. La télémédecine donne l’occasion de mieux les exploiter. Certaines améliorations seraient cependant souhaitables. Il faudrait par exemple que les infirmières puissent compter leurs actes de télémédecine en pharmacie, ce qui n’est pas toujours bien clair… Enfin, il serait peut-être pertinent d’étendre le télésoin, expérimenté en raison du Covid-19, à d’autres situations, par exemple les épidémies de grippe ou le suivi de certains malades chroniques. Mais pour cela, il faudrait d’abord dessiner un cadre réglementaire plus complet que celui esquissé par les récentes circulaires ! *
« Pour la population générale, la télémédecine n’a pas été d’une grande aide »
L’usage accru de la télémédecine a été pertinent ponctuellement, dans le cadre de cette crise particulière, car il fallait à tout prix éviter de contaminer les soignants. Mais du point de vue des patients, il faut raison garder : on ne peut pas vraiment parler d’un envol de la télémédecine et encore moins d’un quelconque bénéfice. Car, pendant plus de deux mois, un grand nombre de Français ont coupé toutes leurs relations de soins.
Cela aura des conséquences : je pense qu’on se dirige, dans les prochains mois, vers une catastrophe sanitaire au moins aussi importante que celle du Covid-19, qui fera peut-être encore plus de morts. Les salles de coronographie, par exemple, ont enregistré une baisse de 90 % de leur activité en avril. Cela veut simplement dire que des gens ont fait des infarctus à domicile. Même chose pour les AVC. Les personnes âgées ont été particulièrement fragilisées : elles ont perdu les liens avec leurs soignants, mais aussi leurs familles, leurs aides à domicile…
Dans ce contexte, la télémédecine a été un bien maigre palliatif qui a permis de prendre en soin uniquement les patients atteints du Covid. Car, pour les autres, après une téléconsultation, le médecin aurait certainement voulu les voir au cabinet pour un examen plus poussé et ils auraient sans doute eu peur de s’y rendre… Pour la population générale, la télémédecine n’a donc pas été d’une grande aide.
Bien sûr, cela peut être utile pour un certain nombre d’actes de suivi, par exemple pour vérifier l’évolution d’une plaie. Mais cela ne vaut que si c’est votre patient, que vous l’avez déjà rencontré et que vous le connaissez bien, ainsi que son environnement, sa famille…
La télémédecine doit apporter de la qualité, pour les soignants comme pour les patients. Or, quand elle est effectuée via une plateforme spécialisée, dont les praticiens ne connaissent pas les personnes qui viennent les consulter, on ajoute du risque au risque : non seu lement l’examen est moins complet, mais en plus, le soignant n’a pas tous les éléments de contexte qui pourraient l’aider dans sa prise en charge. Le risque d’erreur médicale est démultiplié !
Il faudrait interdire ces plateformes, derrière lesquelles se cachent de gros assureurs. Ceux-ci sont parvenus, de cette façon détournée, à mettre en place les réseaux de soins fermés que la loi de 2013 leur avait refusés, pointant un risque d’inégalité devant les soins. Ces entreprises privées se présentent comme des solutions pour lutter contre les déserts médicaux, mais c’est un mirage. Car en captant tous les soins faciles”, elles fragilisent encore les professionnels de santé des zones rurales, qui risquent alors de fermer leur cabinet. Les actes de télémédecine ne devraient être autorisés et remboursés que lorsqu’ils sont pratiqués sur un de vos patients.
GÉRIATRE AU CHU DE TOULOUSE, EXPERT MÉDICAL AU GIP E-SANTÉ OCCITANIE
→ 1998 : médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation
→ 2002 : DESC de gériatrie
→ 2003 : chargé de mission à l’Institut européen de télémédecine
→ 2010 : thèse en Modèles (méthodes et algorithmes en biologie, santé et environnement) à l’université de Grenoble, expert médical télémédecine au sein du réseau régional Midi-Pyrénées, puis au Grades Occitanie
MÉDECIN GÉNÉRALISTE, PRÉSIDENT DE L’UFML-SYNDICAT
→ 1996 : médecin généraliste à Fronton (Haute-Garonne)
→ 2012 : création du mouvement Les médecins ne sont pas des pigeons, en réaction à diverses réformes gouvernementales comme la mise en place du Contrat d’accès aux soins et le projet de loi de modernisation du système de santé
→ 2017 : prend la présidence de l’Union française pour une médecine libre-Syndicat
→ Du 18 mars au 31 mai, les téléconsultations ont été prises en charge à 100 %
par l’Assurance maladie, en vertu de décrets pris par le ministre des Solidarité et de la Santé, alors qu’elles ne l’étaient qu’à 70 % avant le début de la pandémie de Covid-19.
→ Exceptionnellement, les Français ont pu demander des consultations à distance
-en visioconférence ou par téléphone- à un praticien autre que leur médecin traitant. Et ils ont été nombreux à en profiter : ce mode de consultation a explosé en quelques jours seulement, passant de quelques milliers à plus de 100000 par semaine. En avril, les téléconsultations représentaient 25 % des consultations médicales.
→ Les infirmières sont également concernées
puisqu’à la demande de l’Ordre national infirmier, le télésoin leur permettant de suivre à distance les patients atteints de Covid-19 a été mis en place. D’après une enquête effectuée en avril auprès des patients utilisateurs de la plateforme Doctolib, 80 % d’entre eux voudraient continuer les consultations vidéo après l’épidémie.