Les services de réadaptation post-réanimation (SRPR) sont rares dans le paysage sanitaire français. Celui de l’hôpital Forcilles, en Seine-et-MARNE, est en première ligne pour recevoir les patients Covid en sortie de réanimation pour un sevrage de la respiration artificielle. Un travail mené de front par les IDE, en interdisciplinarité.
Dans le couloir du service, Mélanie, infirmière, enfile sa casaque avec capuche, par-dessus sa charlotte. Elle ajoute un tablier, des lunettes de protection, des sur-chaussures et des gants, et part faire l’admission d’un nouveau patient, amené par transport sanitaire médicalisé. Testé positif au Covid-19, ce patient a longtemps séjourné en réanimation avant d’être admis au service de réadaptation post-réanimation (SRPR) de l’hôpital Forcilles - fondation Cognacq-Jay. Il fait partie des 5 à 10 % de patients qui ne parviennent pas à se sevrer des respirateurs artificiels et qui requièrent une prise en charge post-réanimation.
Comme tous les soignants du service, Mélanie a écrit son prénom au marqueur au dos de sa casaque. Car avec toutes ces protections pour éviter la contamination, difficile de les distinguer les unes des autres. En tant qu’infirmière du pool, Mélanie est généralement habituée à jongler d’un service à l’autre. Mais, « depuis le début de la crise sanitaire, je suis affectée exclusivement au SRPR et à l’unité de soins intensifs respiratoires (Usir) Covid-19, explique-t-elle. J’ai eu quelques craintes au départ, mais finalement, je me sens plus en sécurité dans ce service où je dispose de toutes les protections nécessaires contre la contamination. »
L’infirmière vient en renfort à l’équipe de ce service « mutant », tel que le décrit son chef, le Dr Gérald Choukroun, réanimateur et pneumologue : « Notre service est vraiment atypique. Il sert de transition entre la réanimation et la réhospitalisation conventionnelle. Si des services comme le nôtre n’existaient pas, les patients resteraient en réanimation. » Mais les réa ne sont pas organisées pour les patients qui se chronicisent dans leur pathologie respiratoire et qui ont besoin d’une prise en charge pluridisciplinaire. Outre les médecins, les infirmières et les aides-soignantes, des kinésithérapeutes, orthophonistes, diététiciens ou encore psychologues œuvrent au sein du SRPR afin de tendre à l’autonomisation respiratoire des patients, en travaillant notamment sur les problèmes du larynx et les troubles de la déglutition. Conscients mais trachéotomisés, ces patients y restent jusqu’à pouvoir être hospitalisés en service conventionnel.
Il existe une dizaine d’établissements avec ce type de prise en charge en France, dont trois situés en Île-de-France, parmi lesquels l’hôpital Forcilles. Généralement, l’unité est organisée entre le SRPR, doté de douze lits et l’Usir, qui en compte huit. « Avec la pandémie, le service s’est entièrement réorganisé autour d’une trentaine de lits dédiés au SRPR, dont vingt pour les patients Covid et douze pour les autres hospitalisés auparavant », précise le Dr Choukroun, installé dans son bureau, un café dans une main et le téléphone qui n’arrête pas de sonner dans l’autre - car les demandes d’admission sont nombreuses.
Le fonctionnement du service est lui aussi quelque peu bousculé. Les deux staffs hebdomadaires sont remplacés par une réunion de transmission quotidienne. Certaines activités de l’hôpital ont été déprogrammées, ce qui a permis de libérer du personnel soignant en renfort au sein de l’unité. C’est le cas pour Alain, infirmier, qui a exercé pendant vingt ans en réanimation avant de rejoindre le laboratoire du sommeil en 2015. Depuis mi-mars, il est affecté au SRPR. « J’ai perdu mes réflexes, les gestes instinctifs que j’avais l’habitude de réaliser, raconte-t-il en sortant de la chambre d’un patient. Je ressens de nouveau un stress en lien avec les prises en charge sévères, les urgences. Le changement est brutal. Une meilleure gestion de la crise d’un point de vue politique aurait peut-être permis plus d’anticipation. »
« La problématique de soins des patients du SRPR en général, et positifs au Covid-19 en particulier, est très spécifique, précise le Dr Choukroun. On ne s’improvise pas soignant au SRPR. Pour une prise en charge optimale, nous mixons le personnel et nous ne laissons jamais seule une infirmière qui n’a pas dispensé de soins critiques. »
D’ailleurs, les infirmières et les aides-soignantes travaillent en binôme et prennent en charge trois patients quotidiennement. À midi, après avoir vérifié les prescriptions médicales, Mélanie se rend avec Ève, aidesoignante, dans la chambre d’une patiente, en surcharge pondérale. C’est l’une des caractéristiques des patients positifs au Covid-19, qui sont également majoritairement hypertendus et diabétiques. « La surcharge pondérale des patients augmente notre charge de travail d’autant plus que, pour les mobiliser, nous devons être plusieurs, afin d’éviter de nous blesser », rapporte Mélanie en vérifiant les seringues.
Dans la chambre, le rôle de chacune est bien défini. Ève place le thermomètre et demande plusieurs fois à la patiente si elle ressent des douleurs. Mélanie administre les traitements. Ensemble, elles prennent la tension, la température et re transcrivent les données du scope. « J’administre les traitements au même moment que la prise des constantes pour limiter les entrées et les sorties, fait savoir Mélanie. Puis, nous inscrivons toutes les informations sur un papier que nous scotchons sur la fenêtre de la chambre. Nous les retranscrivons ensuite dans l’ordinateur resté en dehors de la pièce afin d’éviter les contaminations. »
Dans l’autre aile du service, Antoine, infirmier, est en train d’effectuer un changement de canule avec l’un des médecins. « Comme ce patient ne va plus être ventilé, nous lui installons une canule plus petite, plus confortable, explique le Dr Mohamed Laissi. C’est une bonne avancée dans le sevrage. » Le patient, désormais Covid négatif, a le sourire aux lèvres. Il est plus à l’aise avec ce changement. Et il vient d’apprendre que son épouse lui rend visite demain.
À la porte, Agnès, l’orthophoniste, vient voir de quelle manière le patient s’alimente. Elle lui apporte son plateau repas. Il est déçu. Lui qui rêvait d’un steak haché se retrouve avec un menu entièrement mixé. « C’est succulent », ironise-t-il après sa première bouché de “taboulé”. « Je passe quotidiennement voir les patients pour faire un bilan de leur évolution et les rééduquer pour des troubles de la voix, de la déglutition, le processus de sevrage de la canule », énumère Agnès. Elle travaille régulièrement avec les diététiciens et les kinésithérapeutes pour l’élaboration des menus des patients et la texture des aliments. « Nous sommes un service de pipelettes, s’amuse-t-elle. Nous devons vraiment tous nous coordonner. » Amenée à travailler dans l’ensemble de l’hôpital, Agnès n’intervient qu’auprès des patients Covid négatif. « Nous avons donc mis en place un protocole pour que les infirmières assurent le dépistage des troubles de la déglutition chez les patients positifs au Covid-19 », indique-t-elle. « Nous donnons à boire et à manger à nos patients et les observons, rapporte Clémence, IDE dans le service. En fonction de leur réaction à la nourriture mixée, hachée ou normale, nous prévenons l’orthophoniste de leur évolution. »
Au bout du couloir, Chloé, étudiante en 2e année en soins infirmiers, note les constantes dictées par Alain, qui se trouve dans la chambre d’une patiente. En stage avant la crise, elle fait aujourd’hui fonction d’aidesoignante. « Je reste dehors pour ne pas avoir à enfiler l’ensemble de la tenue de protection et ainsi économiser l’équipement, souligne-t-elle. Et c’est plus simple si Alain a besoin de matériel en dehors de la chambre. » Chloé est tout de même considérée comme étant en stage : de fait, « dès que j’ai l’opportunité de réaliser des actes infirmiers, je les fais mais à la différence d’un “vrai” stage, je n’ai pas de patients à charge », explique-t-elle. Et de poursuivre : « Cela me paraît tout à fait normal d’être présente en ce moment dans le service, je peux voir la réalité du terrain en temps de crise. »
Alain, qui sort de la chambre, est à la recherche d’un kinésithérapeute. « Nous échangeons beaucoup avec eux, rapporte-t-il. Ensemble, nous évaluons la capacité du patient et nous les informons dès que nous mobilisons un patient pour savoir s’ils souhaitent en profiter pour travailler avec lui. Nous combinons les antalgiques et les postures. » C’est là aussi un moyen de limiter les entrées et les sorties dans la chambre. « Nos échanges avec les infirmières sont constants et informels pour une bonne coordination dans la prise en charge du patient », complète Aymeric, kinésithérapeute. Son rôle est d’associer des exercices sur le système respiratoire, destinés à redonner de l’autonomie aux patients et à les sevrer du ventilateur artificiel, à des exercices de refonctionnalisation. « Je participe à l’évaluation de leur état et les teste quotidiennement afin d’observer les conséquences de la baisse de l’aide respiratoire réalisée par palier », souligne le kinésithérapeute, accroupi devant une patiente pour essayer de la lever. L’effort est intense pour elle. Travailler sur ses jambes lui permet de retrouver de la masse musculaire, ce qui accélère le sevrage et joue sur son moral. « C’est aussi un gain de temps pour la rééducation motrice qui aura lieu dans un second temps, lorsqu’elle sera sortie du service », conclut le Dr Choukroun.
Depuis fin 2019, le SRPR dispose d’un robot pour faire de la téléconsultation. Il était encore en phase de test mais avec la crise, le service a contacté l’industriel pour modifier sa fonctionnalité et permettre l’organisation de visioconférences entre les patients hospitalisés et leur famille. Confinement oblige, les visites jusqu’alors libres sont désormais limitées aux patients ou familles en état psychologique dégradé ou lorsque le patient est en fin de vie. Dans ces cas-là, un jour et une heure sont déterminés. En dehors de ces temps définis, la secrétaire du service, Noëlle, qui s’est porté volontaire, organise des visioconférences. « Nous prenons rendez-vous avec deux familles, deux fois par semaine, explique-t-elle. Nous rentrons l’appareil dans la chambre du patient, et ensuite, nous le laissons seul, discuter avec ses proches. Les échanges sont parfois éprouvants et émouvants. »