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Le fonctionnement des agences régionales de santé a montré des faiblesses pendant la crise du Covid-19. Structures administratives, ces institutions auraient-elles perdu le lien avec le terrain ? C’est l’avis de certains qui prônent un retour des élus dans leur gestion.
Des voix se sont élevées pendant et après le confinement pour regretter que les ARS n’aient pas assuré au mieux la gestion de la crise sanitaire. « Il y a notamment eu la mauvaise gestion des lits en clinique privée, libérés pour recevoir des patients Covid et qui ont été très peu utilisés alors que les hôpitaux publics étaient en souffrance », indique Thierry Amouroux, infirmier et porte-parole du SNPI(1). De leur côté, les infirmières libérales, dont les liens avec les ARS ont été moins directs, regrettent également les difficultés de communication avec les agences mais aussi celles de la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam). « Certaines informations descendantes n’étaient pas cohérentes. On a eu du mal à recevoir les bonnes infos au bon moment de l’Assurance maladie ou du ministère », indique Catherine Kirnidis, présidente du Sniil(2). La rémunération de nouveaux actes pendant la crise ou l’approvisionnement en protections ont causé des tensions dans les pratiques paramédicales en ville.
Après ces constats du terrain, le Sénat a mené des consultations à la fin du mois de mai pour identifier les dysfonctionnements des ARS. « Quand il fallait agir vite, on a entendu le doux bruissement des parapluies [des ARS, NDLR] qui s’ouvraient. Nous avons dû nous y substituer pour fournir les masques aux pharmaciens, aux libéraux, déplore Jean-Louis Thiériot(3), député LR de Seine-et-Marne. J’ai constaté que l’état sanitaire et l’ARS étaient peu adaptés à la gestion de l’urgence et [dans l’]incapacité de suivre les flux logistiques. »
Frédéric Pierru, sociologue et spécialiste du système de santé qui étudie le fonctionnement des ARS depuis leur création, remarque quant à lui que la crise sanitaire n’aura fait que « révéler les malfaçons originelles des ARS. Il ne faut pas en faire les boucs émissaires et les rendre responsables de choses pour lesquelles elles n’ont pas été faites. »(3) La loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) serait le nœud à démêler en priorité. « L’évolution du système de santé, c’est la centralisation croissante. La loi HPST a été faite pour contourner les élus locaux vus comme des freins à la gestion hospitalière, pour éloigner le régulateur régional de la pression des élus locaux », indique-t-il en précisant que le rôle des départements dans la gestion des soins a été fortement amoindri.
Les responsabilités sanitaires devraient-elles être davantage politiques et ancrées dans les territoires ? Comment rendre le système plus fonctionnel pour les soignants hospitaliers et en ville, comment garantir une gestion harmonisée dans les territoires ? « Les directeurs des ARS font aujourd’hui trois ans dans une région, trois ans dans une autre… ils sont hors-sol », indique ð£ierry Amouroux. Avis partagé par Jean-Louis Thiériot : « Sans responsabilité politique, on arrive à une vision très technocratique des choses alors que les élus des collectivités locales comprennent vraiment les be soins d’un territoire. » Pour Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin(3), lourdement touché par la crise, « il faut résoudre cette incapacité [des ARS] à franchir le dernier kilomètre : les acteurs locaux ont suppléé à leurs carences, notamment pour les masques », énonce-til en pointant du doigt le besoin d’une vision globale du système de soins. « Il faut donner un rôle de chef de file aux départements pour coordonner le sanitaire et le médicosocial, en lien avec le bloc local et les services de l’État. »
Une vision transverse de la santé partagée par le Sniil : « Les ARS doivent perdurer sans reproduire une centralisation unique en région mais en s’ouvrant aux autres professionnels de terrain libéraux », conclut Catherine Kirnidis.
Le sociologue Frédéric Pierru propose de suivre le modèle britannique « plus révolutionnaire ». Làbas, « un Primary Caretrust, une structure territoriale, gère l’ensemble de l’offre de soins pour environ 60 000 habitants : la médecine de ville, l’hôpital, le volet médico-social et la prévention avec une représentation des élus locaux. » Une vision imbriquée de la santé à l’échelle locale.
1- Syndicat national des professionnels infirmiers.
2- Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux.
3- Propos tenus lors de la table ronde organisée par le Sénat le 28 mai : « la coordination entre les collectivités territoriales et les agences régionales de santé (ARS) : premier bilan ».