L'infirmière Magazine n° 417 du 01/07/2020

 

ENFANTS HOSPITALISÉS

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

SANDRINE LANA  

« Fermez la porte à un clown, il passera par la fenêtre ! » C’est la devise du Rire médecin, qui intervient depuis trente ans auprès des enfants hospitalisés pour leur apporter un peu de joie durant des traitements lourds et invasifs. Depuis le confinement, la fenêtre est numérique.

En temps normal, leur arrivée provoque un grand boucan dans les services de pédiatrie, les couloirs s’animent de nez rouges et de perruques multicolores. S’ajoutent des marionnettes qui parlent ou qui apparaissent comme par magie dans les chambres des petits patients. De la couleur, des froufrous qui apaisent, réconfortent et insufflent de la vie là où elle est très fragile. Sauf que le confinement a eu raison de la présence des comédiens clowns dans les hôpitaux. Confinés dans leurs appartements, leur jardin, leur baignoire, les clowns du Rire médecin, association nationale active dans une quarantaine de services répartis dans seize hôpitaux, ont dégainé leur portable et leur caméra pour patients. Depuis lors, ces derniers retrouvent ces drôles de personnages sur rendez-vous en ligne ou via les deux chaînes YouTube de l’association.

Ni trop chronophages ni trop invasifs

« On n’aurait pas pu imaginer laisser tomber les enfants et les soignants que l’on accompagne depuis trente ans, indique Clotilde Mallard, directrice du Rire médecin. Au départ, les clowns confinés ont pris spontanément des initiatives avec les moyens du bord. Puis, avec notre directrice artistique, nous avons encadré et validé les contenus vidéo qui naissaient. » Le psychiatre Serge Tisseron, spécialiste de l’utilisation des écrans par les enfants et adolescents, a également participé à la validation des contenus avec l’équipe encadrante, pour qu’ils ne soient ni trop invasifs ni trop chronophages, dans un environnement où les enfants sont déjà très absorbés par les objets numériques.

En trois mois de confinement, 350 vidéos ont été mises en ligne, à un rythme de deux par semaine, à destination de l’ensemble des hôpitaux où la centaine de comédiens et comédiennes clowns interviennent habituellement en duo chaque semaine. Les formes varient en fonction de l’âge des enfants (entre 3 et 10 ans pour la plupart) : il y a des chansons (dont une magnifique reprise de La Vie en rose d’Édith Piaf, disponible sur YouTube), des contes, des sketches, comme celui dans lequel un nez rouge traverse la France…

Dans les services hospitaliers entrés en confinement et vidés de leurs visiteurs, les soignants ont aussi bénéficié des petits clins d’œil des clowns. « L’idée était de les faire rire dans leur quotidien parfois difficile, de les aider à décompresser », poursuit Clotilde Mallard.

De la créativité

Quelques rendez-vous en visioconférence ont aussi égayé le quotidien des enfants, de leur famille et des soignants. Pour les clowns, c’était une première. Il a fallu faire preuve de créativité. « Le plus intéressant a été de réfléchir à comment passer d’un jeu de scène physique où l’on sollicite le corps à une mise en scène destinée à être visionnée sur un écran. Il a fallu qu’on amène le théâtre à l’hôpital d’une nouvelle façon », explique Selena Mac Mahan, comédienne clown depuis 2011 qui intervient notamment au service pédiatrique de l’hôpital Trousseau (AP-HP). « On s’est rendu compte que nous pouvions jouer la comédie d’un écran à l’autre : avec celui d’un autre clown et aussi avec celui de l’enfant en direct. » Un coach metteur en scène a aidé les artistes à faire illusion pour créer des tours de magie, chatouiller ou taper un partenaire, faire passer un objet d’un écran à l’autre…

Les soignants font aussi office de facteurs entre les clowns et les enfants. « Nous avons affiché des annonces du Rire médecin dans notre service pour que les familles puissent prendre rendez-vous. Les éducatrices ont aussi été un relais important », explique Nadia Marquis, infirmière et partenaire du Rire médecin à l’hôpital Trousseau (voir encadré p. 24). « Au départ, cela a été un peu compliqué d’organiser des visionnages avec les enfants. Il faut un relais dans l’hôpital. Si le soignant a vécu l’expérience [d’un contact vidéo avec les clowns] en amont, il sera notre meilleur ambassadeur », a constaté Clotilde Mallard. Selena Mac Mahan a joué et tourné un message vidéo à destination de Nadia Marquis pendant le confinement : « Elle a l’habitude de faire le lien entre nous et les enfants en service d’hospitalisation à domicile (HAD). Recevoir un message vidéo personnalisé a pu lui permettre d’expliquer aux parents comment cela se passait. Les enseignants ont également pu faire le relais et rebondir sur les expériences des enfants avec nous pendant leurs cours », indique la comédienne.

Prolonger l’expérience

Avant le confinement, les comédiens clowns entretenaient des rapports étroits avec les équipes soignantes avant, pendant et après le soin. « En arrivant dans le service, le duo de clowns prenait d’abord un temps de transmission au poste de soin avec les infirmières. Cela permet de prendre la météo du jour, d’être mis au courant des soins en cours, des capacités des enfants », explique Clotilde Mallard. Il a pu y avoir des réticences à passer à de nouvelles pratiques numériques. Mais, finalement, la performance artistique et la continuité du lien social ont été les plus fortes.

À présent, comment capitaliser ces nouveaux usages ? « En service d’hématologie, les enfants sont très protégés et ont peu de système immunitaire, la visio peut permettre de rentrer dans le flux [dans la chambre] qui protège les enfants », espère Selena Mac Mahan avec du recul. Cela va également pouvoir permettre d’aller à la rencontre de davantage d’enfants là où c’est encore compliqué : en HAD, par exemple, ou auprès d’enfants en isolement complet.

Les clowns n’ont pour l’heure pas encore pu réintégrer les services et la prise de rendez-vous continue pour vivre des visios durant entre dix et quinze minutes.

INTERVIEW

« Ça a permis de maintenir le lien »

NADIA MARQUIS INFIRMIÈRE PUÉRICULTRICE ET COORDINATRICE DU PARCOURS DE SOINS À L’HÔPITAL ARMAND TROUSSEAU (PARIS, XIIe, AP-HP)

Un clown à l’hôpital, cela change-t-il votre travail ?

Je connais le Rire médecin depuis sa création, en 1991. J’étais alors infirmière en hématologie. Lorsque les clowns viennent dans mon service, je m’en saisis pour libérer les tensions de mes jeunes patients. Il m’arrive aussi de jouer la comédie avec eux, lorsqu’ils sont dans les couloirs ou qu’ils entrent dans une chambre d’enfants.

Pendant le confinement, comment faisiez-vous le lien entre patients et clowns ?

Du jour au lendemain, le service s’est renfermé sur lui-même et les clowns ont cessé de venir… Ça nous manquait beaucoup mais nous étions occupés à d’autres problématiques, comme gérer la fermeture du service et accompagner les familles. De fil en aiguille, avec le chef de service, le Rire médecin a décidé de mettre en place des vidéos et des visios avec les enfants. Avec les deux aidessoignantes du service, on s’en est saisi. Nous avons disposé des affiches et informé les familles. Ça a été plus facile de créer les interactions avec les clowns pour des enfants qui les avaient déjà rencontrés avant le confinement.

Un écran pour communiquer pendant le confinement, qu’en dites-vous ?

Les choses ont beaucoup changé depuis le début de ma carrière. Avant, les enfants jouaient avec des jouets mais maintenant, je suis très surprise de voir que les familles demandent vite une connexion wifi pour relier la tablette ou la console de leur enfant. Pour les rencontres avec les clowns comédiens, ça a permis de maintenir le lien. Mais il faut absolument revenir à des interactions physiques, aux jeux dans l’espace dès que ce sera possible. Les visios ont permis de ne pas oublier les clowns. Ça a aussi été bénéfique pour eux-mêmes, les clowns : c’était leur manière de télétravailler !

HISTORIQUE

Vingt-huit ans de rigolade

L’association est née en 1991 sous l’impulsion de Caroline Simonds, comédienne clown américaine convaincue des bienfaits des clowns en milieu hospitalier. Elle pratique cette discipline dans différents hôpitaux de New York avec le Big Apple Circus – Clown Care Unit. Arrivée en France, elle crée un équivalent avec le Rire médecin, qui a pour mission d’aider enfants et parents à dépasser leur angoisse et leur solitude dans les services pédiatriques.

Après avoir convaincu un à un les chefs des services de pédiatrie des grands hôpitaux français, l’association compte une communauté de plus de cent comédiens clowns qui se rendent toute l’année dans quelque 47 services hospitaliers pour enfants. Ces professionnels interviennent de manière régulière dans le même service et bénéficient tous de formations continues, d’une part, pour élargir leur gamme de jeu, et d’autre part, pour s’informer sur les pratiques médico-sociales et la typologie des services visités. Le Rire médecin a aussi créé la Fédération française des clowns hospitaliers, qui relie entre elles des associations locales de comédiens clowns à travers toute la France.