Des dizaines de plaintes ont été déposées contre le gouvernement, lui reprochant sa mauvaise gestion de la crise du Covid-19. Depuis trente ans, la plupart des scandales sanitaires finissent par prendre une tournure judiciaire.
Nous avons choisi de porter plainte contre X car nous estimons, vu la gravité des faits, que c’est à la justice d’enquêter. Parmi les chefs d’accusation figure la mise en danger de la vie d’autrui car, dans les premières semaines de l’épidémie, le manque de matériel de protection (masques et surblouses) a clairement menacé la vie des infirmières. Si le virus avait été plus virulent, à l’image d’Ebola, que se serait-il passé ? Les soignants, en première ligne, seraient morts en nombre, il n’y aurait plus eu personne pour s’occuper des malades et le système de santé se serait tout bonnement écroulé ! C’est pourquoi il nous semblait essentiel que des leçons soient tirées, pour que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent pas. Et pour cela, il faut une instruction en profondeur. Car cette désorganisation est la conséquence de réductions du personnel hospitalier en cours depuis des années, via les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. Or, les personnes qui réduisent nos budgets bénéficient actuellement d’une forme d’impunité ! Notre second objectif était la mise à plat d’un certain nombre de dysfonctionnements institutionnels révélés par cette crise : le retard de l’approvisionnement en masques, la défaillance des services d’hygiène… Aller au pénal était, selon nous, le seul moyen de mettre au jour cette logique qui ronge l’hôpital.
En effet, nous avons utilisé ce moyen pour mettre la pression sur le gouvernement afin d’obtenir rapidement plus de matériel et des médicaments. Car le Conseil d’État est obligé de répondre sous quarante-huit heures. Malheureusement, la réponse a été négative. Peut-être que cette institution est trop attachée au gouvernement ? En tout cas, la seule demande qu’elle a validée allait dans le sens de ce dernier : déposée par un syndicat de jeunes médecins, elle visait à imposer un confinement plus strict.
Évidemment, politiquement, le gouvernement était en porte-àfaux, car nous hurlions depuis plus d’un an pour obtenir davantage de moyens, sans qu’il nous entende. Au début de la crise, au lieu de reconnaître tout de suite ses torts, il a donc préféré dire que les masques ne servaient à rien. Puis il a reconstruit son discours a posteriori, quand les masques ont été disponibles, alors qu’il était déjà trop tard !
Il est vrai qu’il y a un décalage entre le temps de l’urgence et celui de la justice. Mais cette action permettra une catharsis très importante pour nous. Imaginez qu’on n’aura jamais les chiffres de contamination des soignants !
Nous avons besoin que les responsabilités soient clairement établies pour que les gouvernants sachent qu’ils ne peuvent plus agir ainsi, car la société a changé. Et pas seulement eux, d’autres responsables aussi, comme certains dirigeants d’Ehpad privés. En pleine crise, ils nous ont envoyé des patients sans prévenir qu’ils étaient potentiellement atteints du Covid, au mépris de la santé des ambulanciers et d’autres professionnels de santé… Nous espérons que la justice permettra de mettre fin à ces comportements irresponsables.
C’est arrivé presque à chaque grande crise sanitaire depuis l’affaire du sang contaminé. Se tourner vers la Cour de justice de la République est devenu un réflexe naturel des citoyens, qui mettent directement en cause le gouvernement. Cela relève d’une confusion entre responsabilité politique et pénale. Cette dernière nécessite la démonstration d’une faute personnelle passant par un acte matériel ; même s’il y a des recoupements avec la responsabilité politique, ce sont deux champs bien différents. Mais cette distinction échappe aux victimes, qui sont dans une quête de réparation.
La chaîne de décisions menant à une crise telle que celle que nous venons de vivre se caractérise par une opacité que les victimes ne peuvent lever par elles-mêmes. L’unique moyen pour elles de faire la lumière sur ce qui s’est passé est de recourir aux moyens d’enquête dont seule la justice dispose.
Les attentes des plaignants se situent également à un autre niveau, plus psychologique. Ils souhaitent que de tels dysfonctionnements ne puissent plus jamais se reproduire ; ils veulent obtenir réparation.
Enfin, et c’est moins avouable, ils ont d’une certaine façon le désir de se venger.
Ce n’est pas évident : dans ce genre de dossier, il est difficile de démontrer le lien de causalité entre les faits commis (les décisions des politiques) et les dommages su bis. En effet, comment savoir si un soignant a été contaminé à l’hôpital ou dans le métro ? Cependant, les procédures judiciaires liées aux scandales sanitaires s’appuient sur un corpus de règles diverses, dont certaines permettent de s’affranchir de ce lien de causalité. Dans l’affaire de la vache folle, c’est par exemple l’infraction de tromperie sur des produits de santé qui a été mise en avant… Des condamnations ne sont donc pas à exclure, mais peut-être pas sur le motif qui semble le plus évident.
L’intérêt d’une instruction pénale est de permettre de réunir des éléments auxquels on n’aurait pu accéder sans cela, comme les notes personnelles des ministres, et ainsi de mieux connaître la chaîne de décisions. Mais, selon moi, on se trompe de cible. Le droit pénal fait appel à la notion de délinquance, qui n’est ici pas adaptée car les infractions ont été commises de façon involontaire… En outre, les ministres n’étant pas des justiciables dans le droit commun, une partie des actions entreprises vont mener à la recherche de responsables dans les hôpitaux, les ARS, voire parmi les fonctionnaires des ministères. Estil légitime de mettre en cause ces responsabilités personnelles ? J’en doute. Ce qui me semble relever de la justice, c’est plutôt l’absence de prise en charge de la contamination des soignants par un système d’indemnisation ad hoc. Une porte de sortie digne, pour les soignants contaminés ou pour les familles des personnes âgées décédées en Ehpad, serait de proposer l’accès à un fonds d’indemnisation financé par la solidarité nationale. Cela placerait l’État dans une position de réparateur de la catastrophe et désamorcerait le scandale pénal. Car la justice n’est pas ici la solution.
→ 2013 : obtient son diplôme d’État infirmier à Tours (Indre-et-Loire)
→ 2015-2020 : infirmier aux urgences de l’hôpital Lariboisière (AP-HP)
→ Avril 2019 : création du collectif Inter-urgences, qui vise à l’amélioration des conditions de travail au sein des services d’urgences
→ Mars 2020 : le collectif dépose plainte contre X pour dénoncer la gestion de la crise du coronavirus
→ 1988 : devient avocat
→ 1988 : défend les victimes dans le procès du sang contaminé. Il plaidera ensuite pour les victimes de Tchernobyl, du vaccin contre l’hépatite B, de la vache folle…
→ 1991 : premier secrétaire de la Conférence des avocats au Conseil d’État
→ 2018 : membre du Conseil de l’ordre du barreau de Paris
→ Depuis début mars, plus de 80 plaintes ont été déposées auprès de la Cour de justice de la république (CJR) contre des membres du gouvernement, leur reprochant leur mauvaise gestion de la crise du Covid-19. Les plaignants (particuliers, collectifs de soignants et syndicats) dénoncent des faits de « mise en danger de la vie d’autrui », « non assistance à personne en danger » ou « homicide involontaire ».
→ Certaines de leurs attentes sont très concrètes : le collectif de soignants C-19 a saisi le tribunal administratif de paris pour exiger des masques FFP2 pour les professions libérales. En Paca, le syndicat Infin’Idels a déposé un référé auprès du Conseil d’état pour réclamer la réquisition d’usines afin de produire du matériel de protection pour les soignants ainsi que leur dépistage systématique. Cette demande a été réitérée peu après par cinq associations de soignants. Si les référés auprès du Conseil d’état ont été rejetés, le 9 juin, le procureur de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire, notamment sur la protection au travail.