L'infirmière Magazine n° 417 du 01/07/2020

 

SÉGUR

ACTUALITÉS

À LA UNE

ADRIEN RENAUD  

Le gouvernement réunit depuis fin mai divers acteurs du monde de la santé pour un « Ségur » censé concrétiser la promesse présidentielle d’un plan post-Covid en faveur de l’hôpital. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le principe d’une revalorisation salariale semble acté, mais la méthode du gouvernement suscite de nombreuses interrogations.

Work in progress. C’est, au moment où nous mettons sous presse, la réponse que donnent la plupart des parties prenantes au « Ségur de la santé », quand on leur demande où en sont les travaux de ce grand chantier qui doit tirer les leçons de la crise du coronavirus et dessiner l’hôpital de l’après Covid-19. Il y a pourtant urgence à apporter des réponses concrètes aux attentes des soignants, et les choses devraient rapidement prendre forme.

Le Premier ministre Édouard Philippe a d’ailleurs promis, lorsqu’il a lancé les discussions à la fin du mois de mai, que tout serait achevé pour la mi-juillet. Une première chose semble acquise : la revalorisation des salaires des hospitaliers, réclamée à grands cris depuis des mois par les personnels, aura bien lieu. « Il se passera quelque chose de ce côté-là, sinon, de toute façon, ce sera la révolution », croit par exemple savoir Florence Pinsard, cadre de santé au centre hospitalier de Pau et membre du Collectif interhôpitaux (CIH), qui prend part à certaines des discussions. « Peu de choses ont filtré, mais on sait qu’il y aura une revalorisation », approuve Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI), qui n’est pas invitée au Ségur (voir sous-papier p. 7) mais qui les suit de près.

Des revalorisations, mais comment ?

Restent plusieurs interrogations, à commencer par le montant de ces revalorisations. Seront-elles à la hauteur des 300 € mensuels nets d’augmentation réclamés par les organisations syndicales qui prennent part aux discussions ? Nul ne le sait à cette heure. Se pose aussi la question des modalités de cette augmentation. « Nous insistons pour que ce soit une augmentation inscrite dans les grilles de la fonction publique », précise notamment Philippe Crépel, infirmier et responsable national de la CGT Santé et action sociale. La crainte, bien sûr, serait que le gouvernement choisisse d’instaurer une prime : même si celle-ci était pérenne, elle serait plus facile à supprimer et ne compterait pas pour la retraite, pointe le responsable syndical. Celui-ci ajoute que la fameuse augmentation doit, selon la CGT, concerner « l’ensemble de ceux qui travaillent à l’hôpital, et pas seulement ceux qui soignent ». Et l’IDE de faire valoir que « tout le monde est utile, il n’y a pas de métier qui soit plus important qu’un autre ». Autre inquiétude : la question des contreparties à cette augmentation. « Pour l’instant, le seul élément qui a été dévoilé à demi-mot, c’est la question du temps de travail, précise-t-il. Certaines personnes volontaires pourraient travailler davantage, ce qui nous paraît un peu délirant. » Il semblerait en effet curieux d’étendre les horaires de travail de professionnels que l’on dit épuisés.

Et les effectifs ?

Mais la question de la rémunération n’est pas la seule en discussion. Le « Ségur » s’articule en effet autour de quatre “piliers”. Outre la revalorisation des salaires et des carrières sont aussi abordés la gouvernance des établissements, leur lien avec les territoires et les investissements dont ils ont besoin. Une liste dans la quelle Céline Laville déplore un grand absent. « Il y aura peut-être un travail de fond, d’ailleurs nécessaire, sur les organisations, mais je crains que le gouvernement n’ait pas entendu le caractère urgent d’une augmentation des effectifs, déplore la présidente de la CNI. Or, c’est une question essentielle pour la qualité de vie au travail. »

Florence Pinsard, du CIH, est également extrêmement méfiante pour les sujets qui ne concernent pas directement la rémunération des soignants. « Nous avons le sentiment qu’un geste sera fait sur les salaires, de sorte que la population nous soutienne moins, considérant que nous avons obtenu ce que nous voulons, prévient la cadre. Mais cela ne suffira pas : si les conditions de travail ne sont pas améliorées, les gens ne vont pas rester. » Les représentants des soignants craignent en effet que le « Ségur » n’accouche d’une souris trop petite pour inciter les professionnels à continuer à travailler à l’hôpital public. « De plus en plus de gens autour de moi disent qu’ils vont aller voir ailleurs », constate Céline Laville. Pour elle, ce problème n’est pas encore visible, « car toutes les demandes de disponibilité sont bloquées pour le moment ». Mais elle craint une explosion des départs à la rentrée.

Le discours et la méthode

D’où l’importance, pour les organisations syndicales, d’aller au-delà des discours et de s’appuyer pour le « Ségur » sur une méthode solide. Or, celle du gouvernement est loin de leur donner entière satisfaction. « C’est un peu fourre-tout, pointe Philippe Crépel. Les discussions mêlent présentiel et distanciel, et il est parfois difficile d’intervenir dans les discussions. » Au-delà de l’organisation, le responsable de la CGT regrette que les pilotes des discussions, à commencer par l’animatrice du Ségur, Nicole Notat, ne soient pas habilités à négocier. « Nous faisons nos demandes, elles sont notées, mais on espère qu’à un moment, un ministre sera présent », indique-t-il. « La méthodologie est compliquée, on n’a pas de retours sur chaque groupe de travail », confirme Florence Pinsard. De là à conclure que le Ségur n’a d’autre but que d’afficher une concertation alors que les décisions sont en réalité prises dans d’autres cadres, il n’y a qu’un pas, que la responsable du CIH n’hésite pas à franchir. « On a le sentiment que les cartes sont déjà distribuées, regrette-t-elle. Et on ne sait pas dans quel sens ça va partir. » La fin du suspense est attendue pour début juillet, mais les organisations syndicales ont déjà prévenu : si l’issue est décevante, elles n’hésiteront pas à battre de nouveau le pavé, comme elles l’ont fait le 16 juin. « Il y aura de nouvelles mobilisations, et elles iront en s’amplifiant, prévient Céline Laville. Ce n’est pas en annonçant une simple revalorisation salariale que le gouvernement fera taire les soignants. »