La crise de la Covid-19 emporte une série d’interrogations concernant les droits des soignants, des salariés et des patients. Le point avec Me Fabrice di Vizio, spécialiste dans la défense des professionnels de santé.
• Sur le plan de l’opportunité, seule la prise de température semble envisageable, les tests PCR étant trop aléatoires et l’obtention de résultats prenant manifestement trop de temps pour qu’ils soient réellement efficaces. La prise de température est une mesure qui, en elle-même, est possible, sous réserve de respecter les règles afférentes au code du travail, notamment être proportionnée à l’objectif recherché et offrir toutes les garanties requises aux salariés concernés, tant en matière d’information préalable, de préservation de la dignité, de conséquences à tirer pour l’accès au site, que d’absence de conservation des données.
Le ministère du Travail considère qu’une telle mesure de prise de température doit faire l’objet d’une note de service valant adjonction au règlement intérieur de l’établissement, ce qui implique sa transmission aux institutions représentatives du personnel et l’exposition des conséquences en cas de refus de la prise de température. C’est donc l’employeur qui, en principe, détermine la conséquence du refus de soumission du soignant au test. Il est toutefois peu vraisemblable qu’un refus de soumission au test puisse être sanctionné autrement que par une simple interdiction d’accéder au site.
→ En revanche, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a d’ores et déjà affirmé que la température corporelle d’un salarié constitue une donnée. De fait, alimenter un fichier relevant la température des salariés constitue un traitement des données, lequel est interdit en l’état du droit. Si l’employeur instaurait une mesure de contrôle de la température, il ne pourrait en aucune ma nière conserver les données.
L’article 4131-3 du code du travail autorise les salariés à se retirer d’une situation dont ils ont « un motif raisonnable de penser qu’elle présent[e] un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux ». Pour les travailleurs de la fonction publique, le même droit a été consacré par décret. Dans les deux cas, les critères sont les mêmes : il faut un danger grave et imminent. La gravité impose que le danger auquel le soignant est exposé ne soit pas un « simple désagrément ». Il faut un véritable danger susceptible de causer la mort ou une infirmité sinon permanente, au moins d’une durée conséquente. L’imminence renvoie, pour sa part, à un danger non encore réalisé mais qui peut se réaliser brutalement et dans un délai rapproché. Il est donc possible d’exercer son droit de retrait à titre préventif.
La notion de danger n’est pas clairement fixée par la loi, c’est donc le juge qui, au cas par cas, appréciera si le danger était constitué ou non. Dans l’hypothèse où le travailleur aurait exercé son droit de retrait sans motif raisonnable, l’employeur retrouve son pouvoir disciplinaire et peut sanctionner le travailleur qui n’a pas exercé correctement ses obligations.
→ On peut ici considérer que le fait de ne pas mettre à disposition du personnel soignant les protections adaptées, lui faisant encourir un danger grave et imminent né de la contamination, pourrait justifier l’exercice du droit de retrait.
• Le gouvernement a prévu d’inscrire la Covid-19 comme maladie professionnelle pour les personnels soignants, quel que soit leur lieu d’exercice. Une telle disposition implique que la Covid-19 sera alors présumée avoir été contractée par le soignant dans le cadre de son activité professionnelle. De fait, les frais médicaux seront pris en charge en totalité, le soignant aura droit à des indemnités journalières majorées en cas d’incapacité de travail et, dans l’hypothèse d’un décès, ses héritiers auront droit à une rente. Ils auront en outre le droit d’agir contre l’employeur pour faute inexcusable, et obtenir l’indemnisation de leur préjudice moral.
→ Mais cette reconnaissance ouvre surtout la voie à une action en faute inexcusable de l’employeur. Pour que cette dernière soit reconnue, le soignant devra démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. S’agissant de la Covid-19, la conscience du caractère dangereux ne pose pas réellement de problème, le débat se portera alors sur la question de savoir si l’établissement de santé a bien pris les mesures nécessaires pour préserver le soignant de cette maladie, notamment en lui fournissant des équipements de protection.
• Le Gouvernement a modifié les règles dans le cadre de l’état d’urgence avec l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020. Par conséquent, il est désormais possible pour l’employeur d’imposer des congés ou de modifier les dates auxquelles ils ont été pris, à condition qu’un accord collectif ait été adopté, et pour une durée maximale de six jours ouvrables. Il a également le droit de fractionner les congés, c’est-à-dire d’imposer au salarié de prendre les jours en plusieurs fois.
→ Dans tous les cas, il doit en informer le salarié dans un délai minimal d’un jour franc. Il ne peut donc en informer le salarié du jour pour le lendemain.
• L’instrument fondamental de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu l’employeur et des obligations d’évaluation des risques et de mise en œuvre des actions de prévention qui en découlent, est le document unique d’évaluation des risques (DUER). L’ab sence de mise à jour de ce document a par exemple entraîné la condam nation d’Amazon. Le DUER comporte l’inventaire des risques auxquels les salariés peuvent être exposés et doit être à leur disposition.
→ La Covid-19 impose de mettre à jour le DUER et, dès le 28 février 2020, la Direction générale du travail (DGT) avait préconisé le renouvellement de l’évaluation des risques dans l’entreprise en raison de l’épidémie. Une fois les risques identifiés, l’employeur est tenu de faire tout ce qui est en son pouvoir pour réduire l’exposition de ses salariés à ces risques.
Le gouvernement a, à ce titre, préconisé une série de mesures propres à empêcher la contamination. L’obligation de sécurité de l’employeur est une obligation de moyen, ce qui signifie que si un salarié est contaminé, l’employeur devra démontrer qu’il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter la contagion. Si ce n’est pas le cas, on pourra alors parler de manquement.
→ Les salariés non soignants peuvent exercer leur droit de retrait dans les mêmes conditions que les soignants, même s’il leur sera vraisemblablement plus difficile de démontrer l’imminence du danger. En revanche, si le salarié a déjà été contaminé, il pourrait envisager de saisir le Conseil des prud’hommes pour faire reconnaître une faute de son employeur qui n’aurait pas pris toutes les mesures nécessaires à sa protection, et solliciter une indemnisation.
• L’article 1222-11 du code du travail prévoit qu’« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail [puisse] être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ». Dans les « circonstances exceptionnelles », les salariés ont le droit au télétravail. Pendant la période de confinement, la question ne se posait pas : les déplacements étant interdits, il s’agissait à l’évidence d’un cas imposant le recours au télétravail pour tous les emplois qui pouvaient l’être. En revanche, la question se pose depuis la fin du confinement. Néanmoins, la fin du confinement ne signifie pas la fin de l’épidémie et la ministre du Travail a ainsi, à plusieurs reprises, affirmé que les salariés devaient poursuivre en télétravail.
→ L’employeur peut toutefois refuser la poursuite du télétravail s’il estime que les conditions sont conformes aux consignes sanitaires et en motivant son refus pour les « besoins du service ». Mais en refusant la poursuite du télétravail, il engage sa responsabilité : si le salarié contracte le coronavirus, il pourra demander des comptes à son employeur.
→ La question des salariés vulnérables est légèrement différente : depuis la loi du 25 avril 2020, les personnes vulnérables qui font l’objet d’un certificat d’isolement rédigé par un médecin sont placées de plein droit en situation d’activité partielle depuis le 1er mai 2020 et pour une durée qui devrait être fixée par un décret qui n’est pas encore paru à la date de réponse aux présentes questions.
En cas de contamination à la Covid-19 au cours d’une hospitalisation, le patient peut-il invoquer la responsabilité de l’établissement ?
Le patient peut engager la responsabilité de l’établissement s’il démontre le caractère nosocomial de l’infection, c’est-à-dire s’il démontre l’avoir contractée pendant son séjour dans l’établissement. S’il y parvient, il n’aura pas à démontrer que l’établissement a commis une faute. Réciproquement, l’établissement, lui, pourrait tenter de démontrer que l’infection est due à une cause étrangère pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité même si, en pratique, une telle preuve est extrêmement ardue à rapporter. Quoi qu’il en soit, si la preuve du caractère nosocomial de l’infection est rapportée, alors le patient peut agir tant contre l’établissement que contre le médecin. Si la maladie cause au patient une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique supérieure à 24 %, ou si l’infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, alors il pourra être indemnisé de son préjudice par l’Organisme national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
→ Article 4131-3 du code du travail relatif au droit de retrait.
→ Décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale.
→ Ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos.