ÉTUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS
DOSSIER
La situation exceptionnelle que viennent de vivre les ESI lors de leur stage a été l’occasion de mûrir, de se projeter professionnellement et d’analyser leurs pratiques et le système de soins.
Au début, on ne sort pas les émotions tout de suite. C’est après, quand ça commence à aller mieux, que la plupart des patients sont partis dans d’autres services, en pneumologie ou médecine. C’est là qu’on se rend compte de la situation. » Safia Benchinoune termine à l’hôpital de Saverne (67) ses deux mois de stage en période de crise sanitaire. Comme les autres étudiants en soins infirmiers (ESI) qui ont travaillé en service de réanimation, elle a vécu au plus près le combat pour la vie. Un combat qui n’a pas toujours une issue heureuse. Mathilde Padilla, affectée à un service de SSR(1) en gérontologie à Rouen qui a accueilli beaucoup de patients en soins palliatifs, a également été confrontée à la mort. « D’habitude, les équipes nous préservent. Mais là, nous étions considérés comme de vrais membres de l’équipe, j’ai appris à accompagner les personnes. »
Pour beaucoup d’ESI, la crise sanitaire a été l’occasion de grandir professionnellement, mais aussi humainement et moralement. Même si les lieux de stage n’ont pas toujours été choisis, si les incertitudes des débuts ont été particulièrement vives, la menace et la tension intenses. À la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), on signale un nombre important d’appels de stagiaires se renseignant sur la manière d’arrêter leur formation. Mais il semblerait qu’après des débuts particulièrement difficiles, les étudiants aient été happés par leur stage et leur futur métier.
Elsa Roland, étudiante de 2e année à l’Ifsi de Reims, a effectué son stage en Ehpad. Les résidents souffraient de l’éloignement de leur famille, un des fils principaux les reliant à la vie. « Certaines personnes n’en pouvaient plus, il y avait un travail de toute l’équipe pour essayer de répondre à leurs envies, décrit l’étudiante. Nous avons organisé des appels par visioconférence, des visites de la famille avec les résidents se tenant sur la terrasse. On sentait qu’on avait des choses à apprendre à nos collègues, c’était un réel bonheur. Il y a eu des accompagnements plus particuliers pour certaines personnes. Moi qui avais des doutes, après un stage qui s’était mal passé, cela m’a redonné confiance en moi. » Pour Elsa Roland, son cas n’est pas unique : tous les étudiants ont connu un stage catastrophique et tous ont été galvanisés par la crise sanitaire. Ils ne sont plus les mêmes. Une appréciation confirmée par Martine Sommelette, présidente du Cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres) : « Je crois que cette expérience a boosté leur motivation. À un moment donné, pour la plupart, ils ont été confrontés à leur métier, qui est un métier dangereux, où l’on est amené à gérer des situations difficiles. Ils ont conscience d’avoir vécu quelque chose d’exceptionnel. Nous leur recommandions de tirer le meilleur de ces moments et de comprendre ce qui se passait. »
La participation à la lutte contre le Covid-19 aura été l’occasion de mener des réflexions abouties : comment se gère une crise ? Dans un contexte d’encadrement limité, où chaque soignant disponible pouvait faire office de tuteur occasionnel, les ESI ont été amenés à développer leur réflexion clinique et à prendre plus d’initiatives qu’à l’ordinaire. Selon Isabelle Bayle, directrice de l’Ifsi de Saverne, « les étudiants ont aussi réalisé leur fonction de recherche, d’actualisation des connaissances, en allant sur des sites professionnels chercher l’information précise pour répondre à un besoin immédiat ». L’expérience vécue au cours de la crise sanitaire est exploitée pédagogiquement, pour certaines unités d’enseignement, comme les soins infirmiers et la gestion des risques (UE 4.5). Les analyses de pratiques et études de situation sont également orientées vers ce que viennent de vivre les étudiants. Des réflexions qui peuvent porter sur l’isolement des personnes âgées ou des patients atteints par le Covid, ou bien l’enseignement en soins infirmiers en mode dégradé… Ces travaux sont également l’occasion pour les ESI de parler de ce qu’ils ont vécu et de pouvoir réaliser une mise à distance par la réflexion. Certains mémoires de fin d’année sont également consacrés à un aspect de cette lutte collective contre le Covid. Xavier Vautrin, cadre enseignant à l’Ifsi du CHU de Dijon, dresse ce bilan des stages du printemps 2020 : « Si nos étudiants ont réalisé moins de gestes techniques qu’à l’ordinaire, cela a été compensé par une importante analyse réflexive de tout ce qu’ils ont pu faire et travailler. »
1- Soins de suite et de réadaptation