L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

POLITIQUE DE SANTÉ

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

HÉLÈNE COLAU  

Les mesures sanitaires imposées lors de la crise du Covid-19 - bien souvent sans concertation avec les usagers - ont mis en lumière les limites du système actuel, pourtant censé placer le patient au cœur du processus de soin.

Liliane VELPRY

« Il n’y a pas eu de réflexion collective »

Comment l’idée de démocratie sanitaire est-elle née et a-elle évolué en France ?

La notion de démocratie sanitaire correspond à une manière d’encadrer juridiquement la relation de soins, inspirée par la protection des droits des patients.

Elle progresse depuis les années 1950, quand on est passé d’un modèle paternaliste - avec un médecin détenteur du savoir - à des soins centrés sur la bonne information du patient et son consentement. En France, tout cela est bien encadré depuis le début des années 2000 : les lois de 2002 et 2005 ont réaffirmé l’importance de la question du consentement. Cependant, je voudrai introduire une nuance : on parle de démocratie sanitaire, mais les mêmes questions se posent dans d’autres domaines, notamment dans les structures médico-sociales. Parler de « droits de la personne dans la relation d’aide et d’accompagnement » serait donc plus juste. Le soin est beaucoup plus large que la relation médecin-patient : il faut donc penser la démocratie sanitaire dans la vie quotidienne.

La récente crise du Covid-19 a-t-elle mis en évidence les failles de notre démocratie sanitaire ?

On peut avoir l’impression d’un retour à des mesures d’hygiène contraignantes, mais, lors de cette crise, il y a aussi eu beaucoup d’explications, des négociations avec la population afin de rechercher son adhésion aux mesures prises.

Pour moi, l’enjeu se situe plutôt sur la façon dont on a traité les personnes dans le soin. Pourquoi s’est-on autorisé à enfermer des personnes âgées dans des Ehpad ? On ne s’est pas demandé ce qui était le plus acceptable pour ces personnes vulnérables.

Il n’y a pas eu de réflexion collective et donc pas de démocratie sanitaire pour les personnes âgées et handicapées. Il est vrai que les interventions humaines nécessaires à leur vie quotidienne sont devenues compliquées… Mais, si on les avait interrogées, elles auraient pu participer aux décisions concernant l’évolution de leur aide à domicile !

Dans ces circonstances, le consentement est très contraint. Comment alors le recueillir ?

La démocratie sanitaire s’est construite sur le modèle de la décision médicale. Il faut que la personne consente, mais on doit d’abord correctement l’informer. En réalité, la décision n’est jamais prise seule, et elle n’est jamais tranchée une fois pour toute. Ce n’est pas parce qu’on accepte de se faire opérer qu’on accepte d’éventuelles douleurs liées à l’intervention ! De même, quand on autorise un soignant à venir chez soi, on ne lui permet pas tout.

Le soin n’est pas un contexte de décision, mais de relation. Le consentement avec lequel les soignants travaillent est négocié. Il est parfois plus agi que dit : les gestes comptent, il faut par exemple prendre en compte le fait qu’un patient se détourne… et toujours garder à l’esprit qu’un consentement est réversible ! Parfois, soigner, c’est aussi faire un compromis dans une situation contrainte : qu’est-ce que cela veut dire d’obtenir le consentement d’un patient pour entrer en Ehpad faute d’autre solution ? C’est le lui faire accepter le mieux possible. Même si ça n’est pas idéal, ça reste un élément important dans une vraie démocratie sanitaire.

Gérard RAYMOND

« Nous souhaitons un Parlement de la santé »

La démocratie sanitaire fonctionne-t-elle bien en France ?

Ce qui est sûr, c’est qu’elle existe… mais lors de la récente crise sanitaire, elle a été emportée par la vague du confinement. On a tout simplement demandé aux usagers de la santé de rester chez eux.

Les décisions ont été prises par des consultants scientifiques, des sachants. Cela revenait à mettre en sommeil les différentes instances mises en place ces dernières années : les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA) et les Commissions des usagers. Seule la Conférence nationale de santé a émis quelques avis, mais ils ont été peu écoutés. Comme ces structures étaient déjà fragiles et manquaient d’indépendance, elles ont été balayées. Toutefois, les représentants des usagers ont joué un rôle majeur dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens lors de cette période très particulière : ils ont obtenu, par exemple, des arrêts de travail pour les personnes fragiles et les aidants, que la France a été le seul pays au monde à accorder. Nous avons malgré tout pu porter haut et fort notre vision de la protection sociale.

À la lumière de cette expérience, faut-il repenser notre système de santé pour aller vers davantage de démocratie ?

Le Ségur de la santé est l’occasion de dresser le bilan de ce qui a bien fonctionné, comme la démocratie participative, ou, moins bien, comme la démocratie représentative, qui a clairement été bafouée. Dans ce cadre, la colonne vertébrale de nos propositions est de renverser la gouvernance en donnant davantage d’autonomie aux acteurs des territoires. Nous souhaitons mettre en place un véritable Parlement de la santé qui s’appuierait sur les CRSA, à qui il faudrait pour ce faire allouer davantage de moyens. Et surtout, il faudrait les rendre indépendantes des Agences régionales de santé (ARS), qui deviendraient de simples évaluatrices.

Ce Parlement aurait pour mission de définir un plan sanitaire pour chaque territoire, en fonction des pathologies dont la prévalence est la plus forte. Le but est de rééquilibrer le pouvoir entre administration, professionnels de santé et usagers. Comme les structures sont déjà en place, cela pourrait aller très vite !

Quel rôle les soignants auraient-ils à jouer dans cette nouvelle organisation ?

Pour eux, c’est un changement de paradigme, avec davantage de travail en équipe et, surtout, une plus grande centralité de l’expérience patient. Il leur faudra pour cela des outils de travail et des formations adaptées.

Mais ils seront gagnants car cela valorisera leur métier et ne le rendra que plus intéressant. Pendant la crise, ils ont fortement exprimé leur malaise qui n’était pas lié qu’aux conditions financières de leur exercice… On ne peut donc pas y répondre avec une simple prime.

Les soignants ont besoin qu’on redonne du sens à leur activité, qui vise avant tout à aider ceux qui souffrent. Il faut qu’ils aient envie d’aller travailler le matin ! Pour cela, il faut qu’ils soient entendus.

C’est pourquoi ils auront toute leur place au sein du Parlement de la santé.

LILIANE VELPRY

SOCIOLOGUE RATTACHÉE AU CENTRE DE RECHERCHE MÉDECIN, SCIENCES, SANTÉ, SANTÉ MENTALE ET SOCIÉTÉ (CERMES3)

→ Depuis 2008 : maîtresse de conférences à l’Université Paris 8-Saint-Denis

→ 2008 : publie Le Quotidien de la psychiatrie (Armand Colin)

→ 2019 : co-direction de l’ouvrage Contrainte et consentement en santé mentale. Forcer, influencer, coopérer (PUR)

→ 2019 : « L’insaisissable consentement, ou les limites de la démocratie sanitaire », avec Pierre Vidal-Naquet

GÉRARD RAYMOND

PRÉSIDENT DE FRANCE ASSOS SANTÉ

→ 1985 : travaille avec des professionnels de l’hôpital de Toulouse sur le développement de l’activité physique et sportive chez les diabétiques

→ 1994 : créé l’association Union sport diabète

→ 2015-2019 : président de l’Association française des diabétiques

→ Juin 2019 : prend la présidence de France Assos Santé

POINTS CLÉS

→ Les conditions de prise en charge ont été profondément bouleversées pendant la crise sanitaire du covid-19, parfois au mépris de la considération habituellement portée aux choix des patients (mises en quarantaine préventives, isolement des personnes âgées en ehpad). une situation certes exceptionnelle, mais qui fait ressurgir une question qui préoccupe les soignants français depuis plusieurs décennies : celle de l’instauration d’une véritable démocratie sanitaire dans notre pays. selon ses principes, toute politique de santé doit être élaborée en concertation avec les citoyens, notamment les usagers de la santé.

→ La démocratie sanitaire remet ainsi au centre du jeu les droits des patients, en s’assurant que soient respectés leur information, leur consentement, leur accès au dossier médical ou encore la réparation des accidents médicaux.

→ Le Ségur de la santé, lancé le 17 mai par le gouvernement, semble aller dans ce sens en ambitionnant d’élaborer un système « plus à l’écoute de ses professionnels, des usagers et des territoires ».