L’Ordre national des infirmiers (ONI) a présenté en juillet dernier sa contribution au Ségur de la santé. Son leitmotiv : plus d’autonomie pour les infirmières. Explications avec le président de l’Ordre, Patrick Chamboredon.
Quelles sont les propositions essentielles de votre contribution au Ségur de la santé ?
À mon avis, s’il fallait ne retenir qu’une idée, ce serait celle d’autonomie de la profession. Cela se traduit par plusieurs demandes concrètes : la reconnaissance de la consultation infirmière, la possibilité d’adapter les posologies, l’extension des possibilités de prescription… Aujourd’hui, l’autonomie infirmière est avérée sur certains actes, et elle est en promesse sur d’autres. C’est une évolution qui a pris du temps, qui en prendra encore, mais le conseil de l’Ordre est à même de porter cela.
Cette contribution arrive quelques mois seulement après votre « Livre blanc de la profession infirmière », et en reprend sensiblement les propositions. Quelle est son originalité ?
Elle couvre un champ plus large, notamment en évoquant la formation et la recherche. Et elle va davantage dans le détail. Avec le cabinet Asterès, nous avons fait une étude de l’impact économique de nos propositions. Nous avons par ailleurs étudié en détail ce qui se passait à l’international. Il s’agit donc d’une proposition plus élaborée qu’initialement.
Comment cette proposition doit-elle se traduire dans les faits ?
Cela passe par des textes réglementaires. Nous devons travailler pour voir comment entrer dans le dur de la réglementation et faire évoluer le décret d’actes. Il y aura aussi besoin d’expérimentations qui ne doivent pas être comme les fameuses expérimentations de l’article 51 de la loi santé de 2009, qui sont restées très embryonnaires et qui ne sont jamais entrées dans le rôle propre infirmier.
N’est-il pas paradoxal de réclamer davantage de responsabilités pour une profession que l’on dit souvent « au bout du rouleau » ?
Je trouve au contraire que c’est une opportunité. Aujourd’hui, quand un infirmier veut évoluer, il a peu d’options : se spécialiser, faire cadre… Ce que nous voulons, c’est donner aux infirmiers de soins généraux la possibilité d’une évolution clinique. C’est donc donner un second souffle, une dimension supplémentaire à la profession.
Comment comptez-vous vous y prendre pour que vos propositions ne restent pas lettre morte ?
Nous comptons nous appuyer sur tous les relais que nous pouvons avoir : députés, maires, cabinet ministériel… Nous voyons bien que nous avons un peu plus d’écoute grâce au mouvement populaire qui s’est manifesté envers la profession durant la crise du coronavirus.
Votre contribution au Ségur va donc bien au-delà du Ségur…
Le Ségur a été pour nous l’occasion d’exprimer certaines demandes, mais tout ne peut pas être résolu en une fois. Nous avons besoin d’échanger en profondeur avec des partenaires comme la Haute Autorité de santé, l’Ordre des médecins, pour aboutir aux évolutions réglementaires nécessaires. Cela va bien au-delà du Ségur, qui est le début d’un travail de fond et non un « grand soir » de la profession.
45 pages, et une certaine densité. La contribution de l’Ordre au Ségur de la santé se veut solide, pour mieux peser sur les débats. L’ONI a donc basé sa réflexion sur une large consultation en ligne des infirmières (trois vagues de consultation entre avril et juin réunissant à chaque fois entre 60 et 70 000 participants), ainsi que sur des échanges avec les élus ordinaux et des experts du monde de la santé, sans oublier des comparaisons avec les pays les plus en pointe à l’international. Il s’est également adjoint les services du bureau d’études économiques Asterès. Le résultat ne surprendra pas sur le fond : l’Ordre demande la reconnaissance de la consultation infirmière, l’extension du champ de la prescription, davantage d’autonomie par rapport aux médecins… Autant de revendications qu’il porte depuis longtemps. Mais chacune d’entre elles est minutieusement étayée, et évaluée de manière impartiale par Asterès. Le cabinet juge ainsi que la consultation infirmière pourrait être la source d’une « baisse des coûts structurels du système de soins », car « la nécessité actuelle pour l’infirmier d’expliquer et de légitimer auprès d’un médecin sa volonté de déclencher une consultation constitue une inefficacité organisationnelle ». Pour ce qui est de la possibilité de prescrire des antalgiques, les économistes affirment que la compétence des infirmiers dans le domaine « est démontrée par la littérature scientifique », et que « la proposition permettrait d’accélérer les procédures visant à traiter la douleur des patients, améliorant la qualité des soins, et dégagerait du temps pour les médecins, renforçant l’efficience de l’allocation des ressources humaines ».