L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

INTERVIEW : DOMINIQUE COSTAGLIOLA BIOMATHÉMATICIENNE ET ÉPIDÉMIOLOGISTE

DOSSIER

V.H.  

Dominique Costagliola travaille sur l’infection à VIH/sida depuis 1986. Elle est directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Iplesp), au centre de recherche Inserm/Sorbonne université.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment explique-t-on que, malgré la multitude d’essais cliniques lancés sur la Covid-19, il y ait si peu de résultats à ce jour ?

DOMINIQUE COSTAGLIOLA : C’est vrai que l’attente du public était très forte, d’autant qu’elle a été relayée par les politiques qui n’ont pas arrêté de promettre, pendant le confinement, des résultats imminents. Il faut aussi rappeler que ces essais étaient des essais de « repositionnement ». Autrement dit : on a testé sur la Covid des molécules déjà utilisées dans d’autres indications. On ne peut pas en attendre de remèdes miracles, même si certains résultats se sont révélés intéressants y compris sur la mortalité. Et donc il faut inclure un nombre important de participants pour savoir si le traitement est utile et avoir un recul suffisant. Des résultats vont commencer à être disponibles dans les prochaines semaines.

L’I.M. : Y a-t-il eu trop d’études lancées de manière dispersée ?

D.C. : En France, il y a eu une certaine dispersion. Au Royaume-Uni, les chercheurs n’ont pu participer qu’aux essais de leur National Institute of Health Research. Ce qui a donné la très grosse étude Recovery incluant près de 12 000 patients aux résultats intéressants. L’essai Discovery, coordonné par l’Inserm, même s’il avait pris un peu de retard, va aussi produire des résultats au début de l’été, en conjonction avec l’essai Solidarity de l’OMS dont il fait partie.

L’I.M. : la mobilisation de la recherche a été exceptionnelle pendant cette période…

D.C. : Oui, le public n’en a pas eu forcément conscience. D’habitude entre le moment où on a une idée, on écrit son protocole, on le soumet à un promoteur et on obtient les autorisations et les financements, il s’écoule au moins un an. Pendant l’épidémie, ce temps s’est réduit à parfois quelques semaines ! L’Agence nationale de la recherche a fait un appel d’offres ouvert pour que les gens puissent déposer leurs projets au fur et à mesure. Certains démarraient avant même d’avoir les financements. Les autorisations ont été données en quelques jours. Je n’avais jamais vu cela de toute ma carrière. Probablement qu’il serait bon qu’on garde un peu de cette réactivité mais il n’est sans doute pas possible de maintenir un tel rythme et un tel niveau de financement sur la durée.

L’I.M. : En cas de crise sanitaire, pensez-vous qu’on puisse déroger à certains principes du sacro-saint essai clinique randomisé en double aveugle ?

D.C. : Tout dépend de la gravité de la pathologie et en particulier de sa létalité. Quand une maladie, comme la Covid, tue moins de 1 à 2 % des personnes qui en sont atteintes, c’est une aberration de dire qu’on peut trouver un traitement sans faire un essai randomisé. En revanche, par exemple, lors de la crise Ebola en Guinée, où le taux de létalité était de 60 %, l’Inserm avait fait une étude sans groupe contrôle. Car si le traitement fait diminuer la létalité de 60 à 30 %, la preuve de son efficacité est suffisamment robuste. En revanche, en situation d’urgence, on peut éventuellement se passer d’un placebo pour gagner du temps.

L’I.M. : Durant la crise, on a assisté à une course aux publications. était-ce bien raisonnable ?

D.C. : Je crois que nous n’avons pas toujours su bien expliquer ce qu’est la recherche en train de se faire. Des résultats finaux peuvent être par exemple très différents de ce qui a été écrit dans une publication en pré-print, qui est une base de discussion entre chercheurs. L’article du Lancet sur l’hydroxychloroquine, qui a dû être retiré parce que les données de l’étude étaient sans doute inventées, est emblématique d’une précipitation et d’un manque de relecture attentive. Ce type d’accident est rare mais il n’est jamais impossible, d’autant qu’il y a une course au scoop entre les revues prestigieuses.

L’I.M. : Faut-il donner un rôle plus important aux infirmières dans la recherche ?

D.C. : Absolument, les compétences des infirmières sont sous-utilisées. La France est très en retard dans la recherche faite par les IDE comme dans la recherche infirmière propre. Il faudrait que la recherche soit davantage une possibilité de développement professionnel pour elles et qu’elles puissent aussi être dans une position d’investigatrice principale d’étude clinique. Peut-être que la filière IPA pourrait constituer une branche autour de la recherche.

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