Le parcours pré-opératoire du patient en pratique - L'Infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

M.F.  

Les six mois qui précèdent la décision d’intervention chirurgicale font l’objet d’une série d’évaluations qui peuvent être complétées par un programme d’éducations thérapeutique. Nous détaillons cette prise en charge avec l’équipe du centre multidisciplinaire de chirurgie de l’obésité (CMCO), à Angers.

Dans notre centre, explique Melissa Marier, IDE coordinatrice du CMCO d’Angers, le parcours du patient comprend l’évaluation psychiatrique, la prescription d’un bilan clinique complet, un bilan d’ETP au début et à la fin du parcours et, dans l’intervalle, un accompagnement éducatif pris en charge par les soignants (IDE, éducateur en activité physique adaptée, diététicienne, psychologue) de l’unité d’ETP partenaire du CMCO. Personnellement, durant cette phase pré-opératoire, j’assure une permanence téléphonique pour répondre aux questions pratiques des patients. »

L’évaluation psychiatrique

Elle est incontournable pour écarter toute pathologie psychiatrique qui contre-indiquerait la chirurgie ou nécessiterait une prise en charge préalable. « Certaines, comme la schizophrénie et plus largement les troubles psychotiques et les troubles graves de la personnalité, constituent des contre-indications absolues, explique Julie Emeriaud, psychiatre du CMCO d’Angers. D’autres, comme la dépression, les troubles du comportement alimentaire, les troubles bipolaires médicalement stabilisés, représentent des contreindications relatives dans la mesure où un accompagnement spécialisé est envisageable pour rendre ces patients éligibles à la chirurgie. » D’autres facteurs, tels que l’environnement socio-affectif et professionnel ou les traumatismes (abus sexuels, maltraitance, harcèlement, attentat) peuvent aussi en compliquer l’accès. « Il est en effet plus difficile de soumettre des personnes mal insérées et/ou en carence affective aux contraintes imposées par la chirurgie, constate la spécialiste. De même, il faut systématiquement rechercher la présence de traumatismes, en particulier sexuels, car ils sont extrêmement fréquents dans l’histoire des femmes en situation d’obésité. Dans ce cas, l’alimentation est devenue un refuge, un réconfort et les kilos, une protection. Si l’on veut que la chirurgie puisse être associée à des comportements alimentaires cohérents il est important de s’assurer que la patiente a déjà fait le travail psychologique nécessaire et, dans le cas contraire, de veiller à ce qu’il soit fait avant d’envisager la chirurgie. »

Bilan clinique (comorbidités)

La préparation du patient comprend également un bilan clinique approfondi afin d’identifier d’éventuelles comorbidités non connues et d’apprécier la gravité de celles déjà présentes. Ce bilan externalisé comprend des analyses de sang exhaustives et des consultations spécialisées avec un cardiologue, un pneumologue ou un ORL, un gastro-entérologue pour une fibroscopie de l’estomac et un endocrinologue afin de vérifier qu’il n’y a pas déjà des carences ou des maladies métaboliques non identifiées (diabète notamment).

Bilan et prise en charge ETP

« En début de parcours, un bilan d’ETP en hospitalisation à temps partiel (HTP) est réalisé conjointement par l’IDE et l’éducateur en APA de l’unité d’ETP, indique Melissa Marier. Il comporte des mesures et tests qui sont reproduits et permettent d’évaluer l’évolution du patient à la fin du parcours. » L’IDE mesure la taille, le poids, le tour de taille et l’IMC. Elle évalue la composition corporelle (masse grasse, masse maigre) du patient à l’aide d’un impédancemètre. Elle complète le questionnaire médical et informe l’éducateur en APA lorsque des problèmes de santé risquent de limiter ou contre-indiquer certains exercices. « Pour ma part, explique Fabien Paygambar, éducateur APA, je réalise trois tests de référence dans le cadre du bilan initial : le test de marche de six minutes, le test de lever de chaise et le “hand grip test” (test de mesure de la force musculaire). Parallèlement, j’essaie d’analyser le mode de vie et les activités appréciées, voire déjà pratiquées, par le patient, afin d’établir d’un commun accord un ou plusieurs objectifs. Je précise bien qu’il s’agit d’APA et non de sport. J’insiste également sur la notion de plaisir car il est très important que l’activité choisie procure du plaisir pour maintenir l’APA dans le temps. Concernant les activités, je précise et j’explique aux patients que celles adaptées à leur situation ont pour but d’améliorer leurs capacités à fournir des efforts plus ou moins intenses et plus ou moins longs (activités en endurance) et à augmenter leur masse musculaire (activités de renforcement musculaire). Ceci dans le but de prévenir les pathologies ostéo-articulaires, d’améliorer leurs postures et leurs capacités à porter des charges et réaliser les actes de la vie quotidienne avec plus de facilité. »

Toutes ces thématiques sont développées dans le cadre d’ateliers théoriques collectifs d’une demi-journée en HTP auxquels les patients peuvent participer volontairement. Ils alternent avec les ateliers pratiques qui permettent aux patients de prendre conscience de leurs capacités physiques et de les développer. « Par exemple, poursuit Fabien Paygambar, les patients commencent par un échauffement spécifique à la partie du corps qui sera travaillée lors de la séance. L’intensité augmente progressivement au fur et à mesure des exercices, adaptés aux capacités de chacun, afin que l’objectif de la séance soit atteignable et que la satisfaction induite renforce la motivation. » Au-delà de la marche, le vélo d’appartement ou d’extérieur, la natation et l’aqua-gym sont conseillés car ces activités sont moins contraignantes, notamment pour les articulations des membres inférieurs. « Pour permettre aux patients de découvrir le plaisir et l’efficacité des activités aquatiques, nous organisons un atelier deux fois par mois et privatisons un bassin de manière à lever les freins liés au fait de s’exposer en maillot de bain », ajoute l’éducateur APA. Lorsque les patients maîtrisent les mouvements et les postures, un livret aide-mémoire combinant photos et recommandations leur est remis afin qu’ils puissent reproduire quotidiennement les exercices.

Prise en charge diététique

Capitale, la prise en charge diététique est assurée tout au long du parcours par les diététiciennes du CMCO et de l’unité d’ETP, relayées en ville par des collègues libérales. Cette organisation permet d’assurer une prise en charge soutenue pour aider le patient à modifier ses comportements alimentaires et à se préparer au fractionnement imposé par la chirurgie. « Le fractionnement concerne tous les patients opérés, quelle que soit la chirurgie réalisée, explique Emmanuelle Duret, diététicienne de l’unité d’ETP. Il consiste à répartir l’alimentation quotidienne sur six repas, dont trois repas principaux et trois collations. Les repas sont réservés aux apports en protéines, légumes et féculents (pas de dessert) et les collations aux laitages et aux fruits, en respectant un intervalle d’au moins deux heures entre les repas et les collations. Ce principe a un effet coupe-faim. Il évite le grignotage et est incontournable pour assurer les apports nutritionnels globaux et le confort digestif des patients. » Il est très important d’instaurer ce rythme avant l’intervention pour vérifier que le patient est capable de s’adapter à cette contrainte et faciliter la transition nutritionnelle post-chirurgicale. La diététicienne « anime quatre ateliers thérapeutiques collectifs d’une demi-journée au cours desquels différentes thématiques sont abordées telles que l’équilibre alimentaire, les principes et l’adaptation du fractionnement des repas, le “bien manger” (prendre le temps, manger en pleine conscience, mettre ses sens en éveil), ainsi que la réalimentation spécifique à chaque chirurgie en post-opératoire. Celle-ci est associée à des contraintes en matière de texture (mixée, hâchée, normale), et à des restrictions (diminution des sucres simples, des fruits et crudités crus, des aliments favorisant les ballonnements, légumes secs, chou, fromages fermentés, par exemple) qui s’effacent progressivement dans le mois qui suit l’intervention. En binôme avec la psychologue, nous abordons les notions de faim, d’envie, de satiété, pour amener les patients à écouter les réactions de leur corps et faciliter l’adaptation post-opératoire aux changements induits par la chirurgie. »

Parallèlement, les diététiciennes libérales réalisent un travail individuel sur six séances pour approfondir avec chaque patient, en fonction de leurs habitudes, de leur contexte culturel et de leurs contraintes personnelles et familiales, les points qui posent problème pour bien équilibrer l’alimentation et mettre en place le fractionnement. Au terme du parcours, elles envoient leurs comptes-rendus à la diététicienne (libérale) du CMCO qui les analyse et formule un avis lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) de fin de parcours. Couplée à l’APA, la mise en place du fractionnement permet généralement de stabiliser le poids voire de démarrer un début de perte de poids, d’autant plus bénéfique que le patient a réalisé un travail psychologique profitable.

Prise en charge psychologique

« Chez ces patients souvent hypersensibles, améliorer les comportements alimentaires nécessite, entre autres, de travailler sur la gestion des émotions, les pensées et croyances erronées, l’estime de soi et la confiance en soi, explique Julie Emeriaud. La plupart des patientes (soit 85 % de notre patientèle) ont, dès l’enfance ou l’adolescence, été soumises à des régimes restrictifs et se sont faites à l’idée que l’alimentation plaisir leur était interdite, ce qui a entraîné une relation à l’alimentation sur des bases totalement erronées. De même, le fait de se sentir systématiquement jugées et dévalorisées les a conduites à porter sur elles-mêmes un regard très négatif. Le travail psychologique va avoir pour but de les aider à faire preuve de plus d’indulgence à leur égard, à reprendre le contrôle de leurs émotions, à reconnaître leurs échecs et à valoriser leurs compétences (le fait d’être un bon parent, un professionnel efficace…), et à rétablir une relation plus apaisée à la nourriture en conciliant plaisir, modération et équilibre alimentaire. » Une fois l’évaluation psychiatrique initiale réalisée par la psychiatre du CMCO, les patients candidats à la chirurgie peuvent, selon les problèmes identifiés, bénéficier d’un accompagnement psychologique dans le cadre d’ateliers de groupe au sein de l’unité d’ETP ou d’une prise en charge individuelle par un psychologue libéral. « Ces professionnels réalisent des thérapies brèves, travaillent sur l’hypersensibilité et la réflexion cognitive, précise la psychiatre. Les thérapies comportementales (TC) sont particulièrement adaptées dans ce cas car elles sont très ancrées dans le concret et la “vraie” vie. Nous travaillons beaucoup sur la notion de “pleine conscience” dans le but de rompre avec les automatismes et de remettre du sens à ce que font “machinalementles patients en matière d’alimentation. Beaucoup d’habitudes alimentaires relèvent d’automatismes (manger des gâteaux en regardant la télé, grignoter en préparant les repas). Or, tant que ces automatismes gouvernent leur alimentation, rien ne peut changer. À l’aide d’outils (planning alimentaire par exemple), nous les aidons à prendre conscience de ces habitudes réflexes et ils peuvent ainsi en pleine conscience tenter de reprendre la main, de changer leur rapport à la nourriture et de faire disparaître ces automatismes. Ce travail leur permet de se poser la question de savoir “pourquoi je grignote à ce moment-là ?” et d’y répondre (“parce que je suis angoissée, seule, déprimée, fatiguée…”), ce qui permet de travailler sur le nœud du problème (“comment gérer mes angoisses, ma solitude, ma fatigue ?”) autrement qu’en cédant à l’automatisme de manger. »

À SAVOIR

Au terme de ce parcours pré-opératoire, dans la file active du CMCO d’Anger, « environ 60 % des patients accèdent à la chirurgie, détaille le Dr Topart. Parmi les 40 % restants, certains abandonnent en cours de route ou ne sont pas jugés aptes, souvent après plusieurs tentatives, parce qu’ils n’ont pas réussi à atteindre les objectifs du parcours et/ou ne se sont pas montrés assez volontaires et déterminés. » Ceux qui sont éligibles accèdent aux ateliers d’ETP pré-opératoires et sont associés au choix de la technique chirurgicale (lire p. 43).