PROFESSION MÉDICALE INTERMÉDIAIRE : LE SÉGUR SÈME LE TROUBLE - L'Infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

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ADRIEN RENAUD  

L’une des mesures du Ségur de la santé prévoit la création d’une « profession médicale intermédiaire ». Un nouveau métier qui suscite bien des interrogations dans le monde infirmier en général, et chez les Infirmières de pratique avancée (IPA) en particulier.

Imaginez un gamin qui jette un pavé dans une mare, et qui s’enfuit aussitôt en courant. C’est un peu ce qu’a fait le gouvernement avec la mesure 7 de son Ségur de la santé, qui prévoit de « lancer une réflexion en vue de créer une profession médicale intermédiaire ». Annoncée mi-juillet sans beaucoup plus de précisions, cette décision a laissé les observateurs dans une certaine confusion, chacun cherchant à savoir ce que pouvait être le rôle de ces futurs professionnels. Et parmi les nombreuses questions qui se posent, celle de l’articulation de ce nouveau métier avec les IPA n’est pas la moindre.

Pour l’heure, on sait bien peu de choses au sujet de cette fameuse profession intermédiaire. Contactée fin août par L’Infirmière magazine, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) n’avait toujours pas été en mesure d’apporter des précisions sur ses intentions. Malgré tout, les conclusions du Ségur précisent que la nouvelle profession exercera « en milieu hospitalier ». L’exemple donné pour justifier la mesure 7 est celui d’une infirmière qui travaille depuis vingt ans dans une unité de soins, et qui doit appeler le médecin de garde dès qu’il faut prescrire une radio ou un médicament, même si elle sait pertinemment ce dont le patient a besoin. « Dommage qu’en France, on n’ait personne entre le bac + 3 de l’infirmière et le bac + 10 du docteur », estime la soignante citée dans le document.

Autre certitude, en plus du cadre d’exercice du futur métier, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) et l’Ordre national des infirmiers (ONI) vont rapidement devoir plancher sur le sujet. Interrogé par nos confrères de APMNews le 3 août dernier, le ministre de la Santé Olivier Véran avait en effet indiqué qu’il allait leur confier « une mission préfiguratrice sur ce que pourrait être cette profession », et qu’ils devraient « faire des propositions très concrètes dans les six mois ». Mais le moins que l’on puisse dire est que le travail ordinal n’a pas encore commencé. « Il est prématuré de s’exprimer à ce stade, et ce d’autant plus que l’Ordre n’a pas encore reçu de lettre de mission du gouvernement à ce sujet », indiquait le Cnom fin août à L’Infirmière magazine. À la même date, l’ONI déclarait qu’il n’avait « pas assez d’informations sur le sujet pour pouvoir s’exprimer ».

Boulot de technicien ou boulot d’IPA ?

Pour tenter de dissiper le brouillard, les responsables infirmiers en sont donc réduits aux conjectures. Certains craignent que le gouvernement ne s’oriente vers une vision purement technique de la future profession médicale intermédiaire. « On voit clairement que le modèle que le gouvernement a en tête est celui des paramedics américains », croit savoir Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC), se référant aux professionnels états-uniens du secours, experts en soins d’urgence, mais dont le champ d’action est strictement limité à ce domaine. Pour le syndicaliste, « il ne faut pas s’engager sur cette voie, mais sur un élargissement des compétences des IPA ». Or, si le Ségur prévoit bien que les IPA doivent avoir un rôle dans le premier recours, Thierry Amouroux relève que celui-ci fait l’objet d’une mesure séparée (la mesure 6), ce qui tendrait selon lui à prouver que, pour le gouvernement, pratiques avancées et profession médicale intermédiaire sont deux choses bien distinctes.

Voilà qui inquiète les IPA, qui ont un peu de mal à se positionner par rapport à la nouvelle profession. Sophie Chrétien, présidente de l’Association nationale française des IPA (Anfipa), estime ainsi qu’il est « très étonnant de proposer la création d’un nouveau métier, alors que les IPA ne sont pas encore pleinement en place, et qu’il y a encore beaucoup de freins dans le développement de leur activité ». Pour elle, « on n’a pas encore été jusqu’au bout de la logique des pratiques avancées ». Ce n’est que lorsque les IPA auront donné leur pleine mesure qu’on pourra dire s’il y a besoin d’une nouvelle profession, ou si ce rôle peut être rempli par les IPA elles-mêmes. Une vision qui semble partagée par les futurs infirmiers. Félix Ledoux, président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), estime lui aussi que « créer une nouvelle profession n’est pas forcément une bonne idée, alors qu’on a déjà les IPA », et que la priorité est à l’élargissement du champ de compétences de ces dernières.

Sortir du « tout-médecin »

Pour se rassurer, les infirmières peuvent tout de même se tourner vers le Pr Yvon Berland, pour qui le futur métier intermédiaire et les pratiques avancées constituent « la même notion ». Ce néphrologue, ex-président de l’université d’Aix-Marseille et auteur entre 2003 et 2011 de nombreux rapports sur le sujet des professions intermédiaires, admet ne pas être dans « le secret des dieux » gouvernemental. Ayant été le candidat (certes malheureux) du parti présidentiel aux élections municipales dans la cité phocéenne, on peut supposer que ses opinions ont quelque crédit auprès du ministère. « Il faudra bien préciser le rapport entre cette profession intermédiaire et les IPA, mais, selon moi, cela devrait être quelque chose d’équivalent, détaille le Marseillais. L’essentiel, c’est de sortir du “tout médecin”, et d’introduire une certaine gradation des interventions. » Et pour préciser sa pensée, Yvon Berland fait une comparaison entre le futur métier et les premières expérimentations de délégations de tâches, très techniques, initiées dans le sillage de ses rapports des années 2000, comme les fameuses infirmières Asalée. « Ces expérimentations avaient pour but de démontrer l’intérêt des professions intermédiaires. Il faut maintenant sortir de ce cadre, donner davantage d’autonomie et des compétences suffisamment larges à ces professionnels. »

Reste une question : Comment cette profession intermédiaire, qui ne semble correspondre ni à une demande des médecins, ni à une demande des infirmières, a-t-elle pu se retrouver dans les conclusions du Ségur ? Félix Ledoux, dont la fédération est l’une des seules organisations infirmières à avoir été invitées à la table des négociations, a sa petite idée. « Dans les discussions qu’on a pu avoir, aucun corps professionnel, aucun partenaire social n’avait fait cette demande, souligne-t-il. C’est un vœu du ministre en personne, qui s’est exprimé sur ce sujet notamment lors d’un point d’étape du Ségur début juillet. » La grande question est donc : Peut-on compter sur l’Ordre infirmier et l’Ordre des médecins pour remettre cette idée quelque peu brumeuse en ordre ?

Ailleurs

Des « super infirmières » venues d’outre-Atlantique

Le concept de profession médicale intermédiaire n’est pas neuf. C’est ainsi qu’aux États-Unis, les patients peuvent depuis les années 1960 être pris en charge par des nurse practitioners. Ces soignants sont définis par l’association qui les représente comme des « cliniciens autonomes », et ils sont souvent spécialisés en fonction du type de population qu’ils prennent en charge. On trouve ainsi des nurse practitioners en pédiatrie, en gérontologie ou encore en gynécologie. Ils ont un diplôme de niveau master, généralement obtenu après avoir exercé pendant quelques années en tant que registered nurse (l’équivalent de nos IDE). Un métier extrêmement attractif d’après le classement annuel du magazine américain US News & World Report qui se fonde sur des critères tels que le salaire, le niveau de chômage ou l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. La profession de nurse practitioner occupe ainsi la 4e place dans le secteur de la santé, derrière celle de dentiste ou d’orthodontiste, mais devant celle de médecin. Toujours de l’autre côté de l’Atlantique, mais cette fois au Québec, on trouve celles que l’on qualifie souvent de « super infirmières », mais qui préfèrent le nom d’infirmières praticiennes spécialisées (IPS), arguant que les infirmières sont toutes « super ». C’est un métier que l’on peut exercer après avoir travaillé pendant au moins deux ans en tant qu’infirmière, et après avoir suivi à la fois une maîtrise en sciences infirmières et un diplôme complémentaire en sciences médicales, pour un total d’au moins 510 heures de cours et 950 heures de stages, explique-t-on à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Les IPS peuvent être spécialisées dans cinq domaines : les soins de première ligne, les soins aux adultes, les soins pédiatriques, la santé mentale ou la néonatalogie. En plus des compétences des infirmières, elles peuvent notamment prescrire des tests diagnostiques et des traitements, ainsi qu’effectuer certaines interventions invasives.