FORMATION
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Parmi les soins infirmiers, la gestion du risque infectieux est une compétence fondamentale. Elle reste centrée sur l’application des précautions standards. En France, on estime à 2,5 millions le nombre de plaies prises en charge, tant en soins de ville qu’à l’hôpital (1). Étant par définition une brèche cutanée, toute plaie présente un risque infectieux pour le patient.
L’enquête nationale de prévalence réalisée en 2017 place les infections du site opératoire (ISO) au 2e rang des infections nosocomiales (2). Le risque d’infections iatrogènes étant potentiellement grave, une attention particulière doit être portée au niveau des plaies chirurgicales. La survenue d’infections du site opératoire reste multifactorielle au regard du type de chirurgie et des facteurs de comorbidité du patient.
Si l’acte opératoire est soumis à des conditions d’asepsie strictes, accompagnées d’une antibioprophylaxie selon le type de chirurgie, les recommandations sur la prise en charge de la cicatrice en post-opératoire sont moins bien établies, générant une hétérogénéité dans les pratiques.
De manière générale, deux principaux types d’antimicrobiens topiques peuvent être utilisés dans la gestion des plaies : les antiseptiques et les antibiotiques. Les antiseptiques ont un plus large spectre, mais peuvent avoir des effets toxiques importants sur la peau en voie de cicatrisation (3). Utilisés en solution alcoolique, ils sont désormais largement recommandés pour l’antisepsie sur peau saine, et déconseillés dans la prévention du risque infectieux sur plaie du fait d’un effet délétère sur la cicatrisation par cytotoxicités (3,4). Les antibiotiques sont généralement mieux tolérés en application locale, mais peuvent générer des résistances au niveau de la flore cutanée du patient.
Récemment, la Société française de médecine d’urgence (SFMU) a publié des recommandations portant sur les plaies traumatiques dans lesquelles elle s’est prononcée contre l’utilisation d’antiseptiques pour ce type de plaie (5).
En complément de ces recommandations, nous avons souhaité faire une synthèse des connaissances sur l’utilité des antimicrobiens topiques pour un autre type de plaie : la plaie post-opératoire simple.
Une recherche d’articles scientifiques a été réalisée avec le moteur de recherche Pubmed, sur la base des mots-clés identifiés dans la construction de l’objectif : utilité des antimicrobiens topiques dans la plaie post-opératoire simple. (Les différents mots-clés utilisés sont présentés dans le tableau 1.) Afin de maximiser le nombre d’articles pertinents identifiés, une combinaison entre les mots-clés du thésaurus MeSH (Medical SubHeading) ont été autant que possible associés à des expressions en texte libre. Ceci permet de récupérer des articles qui n’auraient pas été associés aux mots-clés MeSH utilisés mais qui aborderaient néanmoins le sujet de la recherche.
→ Les mots-clés ont été associés à des opérateurs boléens « OR », « AND » et « NOT » avec l’expression « traumatic ». Deux équations de recherche bibliographiques ont été développées :
(« Wound Infection/prevention and control » [MeSH] AND (« Antisepsis » [MeSH] OR « Anti-Infective Agents, Local » [MeSH] OR « Antiseptic » [MeSH]) AND (« Wound Care » [tw] OR « Bandages » [MeSH]) NOT « Traumatic » [All Fields]) OR ((« Surgical Wound » [MeSH] OR « Surgical Wound » [All Fields] OR « Post-operative wound » [All Fields] OR « Postoperative wound » [All Fields]) AND (« Antisepsis » [MeSH] OR « Anti-Infective Agents, Local » [MeSH] OR « Antiseptic » [MeSH]) AND (« Wound Care » [tw] OR « Bandages » [MeSH]))
Les articles publiés avant le 1er janvier 1990 et après le 1er février 2020 n’ont pas été considérés. Les articles identifiés via la stratégie de recherche ont été sélectionnés sur le titre, puis l’abstract et, enfin, le texte dans son intégralité.
→ Les critères d’exclusion des articles étaient :
- les revues de la littérature, les articles en langue autre que l’anglais et le français, les études expérimentales, les séries de cas, les études portant sur les pansements imprégnés ;
- les types d’interventions et procédés exclus : brûlures, greffes de peau, interventions avec pose de matériel, procédés mécaniques.
Seules les études répondant à la question de recherche sur un critère de jugement clinique (infection du site opératoire superficielle ou profonde) ou microbiologique (colonisation de la plaie) ont été retenues. Les études portant sur les pansements imprégnés ont été exclues du fait de la publication récente d’une méta-analyse sur le sujet (6), de même que celles portant sur des plaies post-opératoires avec implantation de matériel, car présentant un risque d’infection plus élevé. Les revues de la littérature ont été parcourues pour s’assurer qu’aucun article n’avait échappé à la stratégie de recherche.
La stratégie de recherche a permis d’identifier 166 articles dont trois correspondaient à la question de recherche (voir figure 1). Aucun article n’a été ajouté après lecture des revues de la littérature portant sur le sujet. Les principales caractéristiques des articles sont présentées dans le tableau 2.
→ L’étude publiée par Strong et al. est descriptive et ne permet pas d’évaluer l’intérêt de l’utilisation d’un antiseptique sur les plaies post-opératoires.
→ L’étude de Takahashi et al. est un essai clinique randomisé comparant trois types de prise en charge des plaies post-opératoires simples dans des interventions urologiques sur la survenue d’une infection du site opératoire : une prise en charge par sérum physiologique seul, une seconde par polyvidone iodée (PVPI) seule et une troisième combinant les deux premières (PVPI+ sérum physiologique). Cette étude n’a pas permis de montrer de différences significatives dans la survenue d’ISO (p = 0,42). La comparaison de la colonisation bactériologique des plaies entre les groupes n’a pas relevé de différences significatives.
→ Enfin, la troisième étude retenue, celle de Smack et al., s’est appuyée sur le même type de méthodologie que celle de Takahashi et al. Dans cette étude, c’est la bacitracine, un antibiotique d’application locale non utilisé en France dans cette indication, qui est comparé à de la vaseline seule en post-opératoire d’interventions dermatologiques. Bien qu’aucune différence significative n’ait été constatée sur les infections post-procédures (p = 0,37), les auteurs ont noté une différence significative sur la fréquence des infections à staphylocoque aureus (neuf infections dans le groupe vaseline, contre zéro dans le groupe bacitracine, p = 0,004). Différence expliquée par le spectre d’action de la bacitracine. Compte tenu du surcoût lié à l’utilisation de la bacitracine et de l’absence d’effet significatif sur les infections rapportées, les auteurs ne recommandent pas son utilisation dans ce contexte.
Fournie, la littérature sur la question de recherche choisie compte surtout des revues de littérature. En excluant certains types de chirurgies plus à risque (implantation de matériel) ainsi que les pansements imprégnés (déjà analysés par ailleurs (6)), seules trois études correspondent aux critères de recherche, dont une qui ne permet pas d’analyser directement l’intérêt de l’application des antiseptiques. Les deux études restantes aboutissent à la même conclusion : pas d’efficacité constatée sur la survenue des infections avec un coût et un risque d’effets secondaires majorés. Le niveau de preuve reste néanmoins faible car les études identifiées n’ont permis d’éclairer l’efficacité que de deux types d’antimicrobiens topiques : la bacitracine, un antibiotique, et la polivydone iodée, un antiseptique, dans des contextes restreints (interventions urologiques et dermatologiques).
Nous noterons que nos conclusions sont concordantes avec la méta-analyse de 2016, qui n’a pas démontré de bénéfice à l’utilisation des pansements imprégnés d’argent ou de polyhexanide sur le risque d’ISO (6). La revue de la littérature réalisée aboutit également à la même conclusion que la conférence de consensus sur la prise en charge des plaies aiguës traumatiques aux urgences (5) et celle sur l’hygiène en cabinet médical ou paramédical de la Haute Autorité de santé (4). Elle est partiellement en désaccord avec une conférence de consensus européenne publiée en 2018 (10). Celle-ci recommandait l’utilisation des antiseptiques dans les plaies chirurgicales pour la prévention des infections chez les patients à risque infectieux majoré, ce risque étant mesuré selon une échelle publiée en 2011 (11). Néanmoins, selon cette échelle, la plupart des patients de chirurgie ne seraient pas classés dans un niveau de risque infectieux élevé. Dans l’état des connaissances actuelles, l’absence de preuve d’efficacité, l’effet délétère sur la cicatrisation et les effets indésirables cités (réactions locales ou systémiques et émergence de résistance aux antibiotiques)(3) semblent justifier la non-utilisation d’antimicrobiens topiques dans la prise en charge de plaies propres post-opératoires.
Néanmoins, en l’absence de preuve formelle ou de recommandations en milieu hospitalier, il appartient à chaque établissement d’élaborer des protocoles afin d’harmoniser les pratiques et d’améliorer la qualité des pratiques de soins en fonction des situations de travail rencontrées. Il conviendrait également de favoriser la recherche dans le domaine afin de pouvoir répondre à cette question de façon plus définitive.
CHAQUE MOIS, UNE INFIRMIÈRE RÉALISE UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE À PARTIR D’UN QUESTIONNEMENT SUR SA PRATIQUE ET VOUS LIVRE LE RÉSULTAT DE SES RECHERCHES.
EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE
ARTICLE RÉALISÉ PAR : SANDRINE BONNOTTE cadre de santé, service d’épidémiologie et d’hygiène hospitalières, CHU de Dijon sandrine.bonnotte@chu-dijon.fr
L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
COORDINATION : VALÉRIE BERGER IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associé temporaire, université de Bordeaux. valerie.berger@chu-bordeaux.fr EMMANUELLE CARTRON IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR. emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr