L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

POLÉMIQUE

ACTUALITÉS

FOCUS

ADRIEN RENAUD  

Diffusée sur les réseaux sociaux, une liste de soignants noirs à l’usage de patients craignant d’être victimes de discrimination a relancé le débat sur le racisme qui touche le secteur de la santé.

Deux tweets - l’un listant quatre « gynécologues noires en Île-de-France » et l’autre cherchant une « Idel racisée, pour des soins à domicile dans le XIIIe arrondissement de Paris » - auront suffi à enflammer les réseaux sociaux au cœur de l’été. Les messages originaux ont été écrits par le compte (supprimé depuis) de Globule noir, un collectif se présentant comme luttant contre le racisme à l’hôpital. Mais c’est la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) qui leur a donné un écho national, en les diffusant le 2 août sur son propre fil Twitter, dénonçant la « folie identitaire » qui conduit à « choisir son médecin en fonction de la couleur de son épiderme ». Une virulente polémique s’en est suivie. Les uns ont pris la défense de Globule noir, expliquant que les patients qui recherchent des soignants partageant leurs origines culturelles le font pour échapper à un parcours de soins émaillé de discriminations. Les autres ont au contraire taxé le collectif de communautarisme. L’Ordre national des infirmiers (ONI) et le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) se sont clairement rangés du côté des seconds. « Les professionnels de santé ont prêté serment de soigner avec le même dévouement et la même abnégation, quelles que soient les origines, la couleur de peau, la situation sociale ou les orientations religieuses, philosophiques ou sexuelles de leurs patients », écrivaient-ils le 11 août dans un communiqué commun, ajoutant que les accusations de racisme contre les soignants « attentent à leur honneur et jettent le discrédit sur leurs professions ».

Deux visions opposées

Cette indignation semble bien hypocrite à certains. « Les ordres nient le problème, ils sont dans une vision universaliste très française dans laquelle il n’y aurait pas de couleur, pas de différence entre les gens », estime ainsi Marina Salomé, sagefemme et membre de l’association Pour une médecine engagée, unie et féministe (Pour une Meuf) qui a pris position pour le collectif Globule noir. « Dans ma pratique, j’ai assisté de nombreuses fois à des comportements de racisme, à la minimisation des symptômes des patients racisés, témoigne-t-elle. Cela arrive fréquemment à des femmes, et c’est encore plus fréquent quand elles sont racisées. » La militante estime donc que les listes de soignants « safe » sont « une manière de se protéger comme une autre, qui a d’ailleurs toujours existé via le bouche-à-oreille ».

Une vision que ne partage pas Vincent Lautard, infirmier, juriste et membre de l’association Printemps républicain qui défend notamment le principe de laïcité. Celui-ci avait dénoncé sur Twitter les activités de Globule noir : « C’est de la discrimination professionnelle basée sur la couleur de peau », écrivait-il.

Contacté par L’Infirmière magazine, il précise sa pensée. « Le racisme, l’homophobie, la misogynie existent dans le milieu de la santé, mais il y a une différence entre dire qu’il y a des cas et dire que c’est institutionnel », estime-t-il. Pour lui, la solution n’est pas de créer des listes, mais de mieux informer les patients sur leurs droits, et de les aider à les exercer. « Qu’ils soient victimes de discrimination, de non-respect du consentement ou de défaut d’information, il faut que les patients sachent qu’ils peuvent déposer plainte auprès des ordres ou au pénal, qu’ils peuvent informer les directions d’établissements et les ARS (agences régionales de santé) ».

On pourrait croire que tout oppose la vision de Marina Salomé, qui appelle à laisser les patients développer des listes qui leur permettent de s’adresser à des professionnels en qui ils ont confiance, et celle de Vincent Lautard, qui voudrait stopper leur diffusion. Les deux soignants se rejoignent pourtant sur un point : les blouses blanches sont insuffisamment formées sur ces questions. « On nous parle encore de “syndrome méditerranéen” dans nos formations, il faut se remettre en question », estime la première. « Des efforts ont été faits, mais on doit encore renforcer des cours clairs sur l’empathie, la bientraitance, la laïcité, les discriminations », affirme le second. Mais le propre des actions de formation, c’est qu’elles mettent du temps à porter leurs fruits. Étant donné le contexte politique actuel influencé par des mouvements tels que le Black Lives Matter américain, on peut s’attendre à l’éclosion très prochaine de nouvelles polémiques sur ces sujets.