L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

CARRIÈRE

GUIDE

GILLES DEVERS  

AVOCAT À LYON

Analyse de trois décisions de justice relatives à la pratique professionnelle des infirmiers : un licenciement non fondé (1), un avertissement pour manquement (2) et une révocation pour faute de comportement (3).

LICENCIEMENT POUR FAUTE

Une infirmière exerçant dans un EHPAD depuis sept ans s’est fait reprocher des fautes dans l’administration des médicaments, à savoir une double dose adressée à un patient, et par ailleurs une patiente restée sans traitement. Estimant que ces fautes mettent en cause la responsabilité de l’établissement, l’EHPAD a prononcé le licenciement pour faute grave. Toutefois, à l’examen du dossier, il apparaît que la clinique ne prouve pas l’existence des faits, et le licenciement est jugé abusif.

• Faits et procédure. Une infirmière engagée le 4 août 2007 par un EPHAD s’est vue infliger un avertissement le 14 décembre 2011, suivi d’un second le 29 juillet 2013 et d’un troisième le 22 septembre 2014, et elle a été licenciée pour faute grave le 29 décembre 2014.

La lettre de licenciement définit ainsi les griefs : « Le 12 novembre courant, le Dr B, médecin psychiatre de Monsieur Y, l’un de nos résidents, a changé la nature d’administration de son médicament, le Norset. D’une prescription de comprimé, celui-ci a prescrit une solution buvable pour des facilités d’administration.

« Vous n’avez pas tenu compte de la prescription et avez administré la solution en plus des comprimés, ce qui a eu pour effet de doubler la dose médicamenteuse. Cela aurait pu nuire gravement à la santé de M. Y et conduire à des effets secondaires désastreux comme des chutes, voire pire. »

« Le 3 décembre, le Dr C a prescrit à Madame Z des antibiotiques si sa température dépassait 38,5. Votre collègue a mis en route le traitement, mais vous avez décidé unilatéralement de l’arrêter malgré une température de 38,8. Comme je vous l’ai rappelé, nous ne sommes pas habilités à prendre des décisions en matière de prescriptions médicales que seuls les médecins peuvent prendre. Là encore, votre négligence aurait pu avoir de graves conséquences sur la santé des résidents. »

« Lors de notre entretien du 23 décembre, vous avez reconnu les faits et avez tenté de justifier votre comportement par une fatigue générale due à un problème de santé. »

« Néanmoins, ces différents manquements constituent pour nous des fautes professionnelles graves qui auraient pu avoir des conséquences irrévocables sur la santé de nos résidents en impliquant la responsabilité civile et pénale de l’établissement […]. Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible, y compris pendant la durée de votre préavis. »

L’infirmière conteste son licenciement.

• Droit applicable. La lettre de licenciement doit énoncer le ou les motifs du licenciement de manière suffisamment précise pour permettre au juge d’en apprécier le caractère réel et sérieux.

• Elle fixe les limites du litige, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux griefs comme au juge d’examiner d’autres griefs non évoqués dans la lettre. (Code du travail, Art. L. 1232-6).

• En cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. (Code du travail, Art. L. 1235-1).

• La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Il appartient à l’employeur qui s’est placé sur le terrain de la procédure disciplinaire de rapporter la preuve des griefs invoqués dans la lettre de licenciement dont les motifs réels et sérieux doivent reposer sur des faits objectifs et précis, présenter un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible, sans dommage pour l’entreprise, la poursuite du contrat du travail.

• Analyse. La juridiction analyse précisément les preuves produites par l’employeur.

• Les rapports d’incidents de dispensation des médicaments ne permettent pas de les imputer à l’infirmière, et en réalité on ne sait même pas si elle était présente dans l’établissement ces jours-là.

La preuve d’une double administration d’un traitement à M. Y ne résulte pas non plus des pièces produites. En effet, la mention relative à l’administration d’une double dose de Norset à cette personne le 12 novembre a été rayée par une personne non identifiée. L’employeur précise que la solution buvable devait être donnée en lieu et place du cachet de 18 heures, mais ce comprimé a été administré par un autre infirmier, au vu de l’émargement de la feuille de distribution.

• S’agissant de Mme Z, ce n’est pas la signature de l’infirmière qui figure à la date du 3 décembre. Là encore, le traitement est resté identique les 3 et 4 décembre, et il a été modifié le 5, sans qu’il soit établi que le pilulier a bien contenu l’intégralité du traitement ce jour-là.

• Par ailleurs, il ressort d’une attestation, annexée d’un document intitulé « constat des traitements retrouvés dans les piluliers les jours de distribution des médicaments par G. X. pour les piluliers du 5 au 11 décembre 2014 inclus », établie par la même personne, que l’infirmière n’aurait pas distribué aux résidents leur traitement les 5, 8 et 9 décembre. Mais il n’y a aucun autre élément objectif à l’appui, ni la preuve d’une vérification par l’employeur. Par ailleurs, des pièces produites, à savoir des échanges de courriers, montre le caractère conflictuel des relations entre l’infirmière et ce témoin.

Au final, la clinique n’apporte pas la preuve des manquements qu’il a décrit dans la lettre de licenciement. Le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

• Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 10 janvier 2020, n° 17/03500.

FUGUE D’UN PATIENT

Lors d’une sortie accompagnée de patients psychiatriques, le fait qu’un patient échappe à la surveillance des infirmiers caractérise une faute professionnelle qui peut être sanctionnée sur le plan disciplinaire.

• Faits. Le 5 septembre 2014 vers 19 heures, lors d’une sortie thérapeutique dans un théâtre situé en centre-ville d’un groupe de cinq patients du service psychiatrique encadré par trois infirmières, l’un des patients s’est échappé et n’a été retrouvé par les services de police que le surlendemain.

Les trois infirmières ont été sanctionnées d’un avertissement par le directeur d’établissement.

• Droit applicable. Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire. (Loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 29).

• Analyse. Les trois infirmières avaient organisé des groupes pour surveiller les patients et l’une d’elles avait dû s’éloigner pour rattraper un patient qui avait traversé la chaussée. Mais cela ne dispensait pas une infirmière qui s’était arrêtée au seuil du restaurant dans lequel la troisième infirmière était entrée afin d’attendre le reste du groupe, de s’assurer que le dernier patient les rejoignait. De telle sorte, la faute de surveillance est établie. Pour contester la qualification de faute, cette infirmière invoque la réduction de quatre à trois du nombre d’infirmières, mais ce changement a été décidé par le cadre de santé en raison de la réduction de huit à cinq du nombre de patients participants. De même, l’infirmière dénie le rôle de surveillance incombant aux infirmières chargées de l’encadrement de la sortie, et soutient que les patients n’étant pas hospitalisés sous contrainte, ils étaient libres d’aller et venir. Ce faisant, elle ignore sa fonction générale de surveillance et de prévenance vis-à-vis de personnes fragilisées.

Dès lors la faute est caractérisée, et l’avertissement est justifié.

• Cour administrative d’appel de Bordeaux, 11 février 2020, n° 18BX00532.

FAUTE DE COMPORTEMENT

Le fait pour un infirmier d’avoir des relations sexuelles avec une patiente qui avait été hospitalisée constitue une faute professionnelle, même si les relations ont eu lieu dans la vie privée, et cette faute, à apprécier dans le contexte du comportement général, peut justifier la sanction de la révocation.

• Faits et procédure. Un infirmier, recruté en 2010 et affecté au service de nuit en psychiatrie, s’est vu reprocher d’avoir eu des relations sexuelles avec une patiente après son hospitalisation au cours de l’année 2014.

Par décision du 5 septembre 2014, le directeur du centre hospitalier a prononcé la sanction de la révocation, qui avait été proposée à l’unanimité par le conseil de discipline.

• Droit applicable. En matière disciplinaire, il appartient au juge de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes, en tenant compte de la manière de servir de l’intéressé et de ses antécédents disciplinaires.

• La faute. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l’entretien d’évaluation et du compte-rendu établi par le médecin chef de service à la suite d’un entretien qu’il a eu avec l’intéressé, que cet infirmier a reconnu avoir eu des relations intimes pendant plusieurs semaines avec une patiente rencontrée alors qu’elle était hospitalisée dans son service. Le fait est donc établi.

Pour justifier un comportement pour le moins inapproprié à l’égard d’une personne en situation de particulière vulnérabilité, l’infirmier a expliqué qu’il s’agissait d’une relation extra professionnelle relevant de la sphère privée. Il a par ailleurs tenu au sujet de cette personne des propos péjoratifs et en se plaignant, notamment, du harcèlement dont il se disait victime de sa part. Un tel comportement constitue un manquement particulièrement grave aux devoirs d’un membre du personnel soignant en secteur psychiatrique.

• La sanction. L’enquête administrative menée au sein du service a fait apparaître d’importantes difficultés à travailler avec cet infirmier en raison de son comportement professionnel inadapté à l’égard des patients, de son caractère qualifié de violent, impulsif, ou menaçant et de son attitude inappropriée à l’égard du personnel féminin de son service. Dans ces conditions, la sanction de révocation est justifiée.

• Cour administrative d’appel de Marseille, 6 février 2020, n° 19MA03607.

1- Extrait d’un article paru dans la revue Objectif Soins & Management, n° 275.

2 Extraits de deux articles parus dans la revue Objectif Soins & Management, n° 274.

3- Extraits de deux articles parus dans la revue Objectif Soins & Management, n° 274.