L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

IDE DE RECHERCHE CLINIQUE

DOSSIER

Leurs compétences sont très demandées par les médecins investigateurs. Pourtant, les infirmières de recherche clinique (IRC) exercent un métier aux contours flous et insuffisamment valorisé.

Ce sont un peu les grandes inconnues de la recherche clinique. Difficile même de savoir combien sont exactement les infirmières de recherche clinique (IRC) en France, faute d’un statut dédié. La plupart sont des IDE ayant effectué une première partie de carrière en service de soins classiques et ayant découvert la recherche parfois par hasard. Ainsi, Antonia Goncalves est diplômée depuis 2009 et a exercé pendant huit ans en psychiatrie, à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, qui dispose d’un centre de recherche clinique. « J’en connaissais la cadre et j’ai été intéressée par la recherche après avoir eu le sentiment d’avoir fait le tour de la psychiatrie, raconte l’IDE. Je me suis lancée sans vraiment savoir ce que c’était. »

Une fonction exigeante

Même s’il existe plusieurs diplômes inter-universitaires (DIU) de formation des assistants de recherche clinique et des techniciens d’études cliniques (Farc-Tec), ce diplôme n’est pas requis pour postuler comme IRC bien que, souvent, une fois en poste, les infirmières décident de le passer. « Il ne faut pas avoir peur de l’amplitude de la charge de travail en arrivant, même si une fois qu’on y est, cela apparaît moins compliqué, estime Antonia Goncalves. Les protocoles sont généralement en anglais et, comme c’est un domaine très réglementé, ils peuvent faire jusqu’à 400 pages car tout doit être parfaitement bien documenté. »

Les compétences d’IDE restent théoriquement suffisantes pour répondre à la fiche de poste. « Il ne faut pas non plus avoir peur de s’éloigner du soin, car on ne travaille plus avec des patients mais avec des sujets d’étude », met-elle en garde. Une fois que le centre est sélectionné pour une étude, une réunion de “mise en place” est réalisée avec toute l’équipe pour parler du protocole, du matériel et de l’organisation. À Sainte-Anne, le centre ne dispose pas de lits d’hospitalisation pour la nuit. « Ce sont les IRC qui accueillent les malades, vont les chercher dans les services de soins, raconte Antonia Goncalves. Nous réalisons les prises de sang, les constantes, les ECG, les questionnaires d’évaluation et les soins propres au protocole, comme par exemple chez nous la stimulation magnétique transcranienne. »

Le protocole de recherche n’est pas indiqué dans le dossier médical du patient mais celui-ci porte toujours une carte du protocole en cours avec les contacts du centre de recherche. Particulièrement en psychiatrie, les IRC veillent à s’assurer que le patient a bien compris le protocole dans lequel il est inscrit et alertent le médecin investigateur en cas de doute.

Autant de relationnel

Philippine Alphand est également arrivée à la recherche au hasard d’une ouverture de poste au CHR de Lille. « C’est un domaine que j’ai découvert et qui me passionne, raconte l’IDE, également diplômée depuis une dizaine d’années et qui a débuté sa carrière en soins intensifs et urgences cardiologiques. Je m’y retrouve complètement parce que je me sens aussi utile que quand je travaillais au lit du malade, dans les services conventionnels. Nous avons un relationnel avec les patients aussi riche que dans le soin, car nous les voyons régulièrement et les suivons pendant cinq à dix ans. »

Philippine Alphand n’exerce pas dans un service dédié à la recherche car celle-ci se pratique dans quasiment tous les services de l’hôpital. Elle reste néanmoins spécialisée dans son domaine d’origine, la cardiologie et l’échographie, et participe à une trentaine de protocoles simultanément. « L’avantage d’être IDE par rapport aux attachés de recherche clinique, même si nous avons les mêmes missions qu’eux, est qu’en plus du recueil de données, nous pouvons réaliser tous les examens », souligne l’infirmière, qui s’apprête néanmoins à suivre le DIU.

Au service de la recherche

« Le métier d’IRC est un métier émergent qui existe depuis quelques années, qui paraît encore flou pour beaucoup », estime Benoît Chalançon, infirmier de recherche clinique au CH Le Vinatier, à côté de Lyon, qui s’est intéressé à la recherche dès le début de sa carrière. « C’est un domaine passionnant qui peut parfois susciter de l’inquiétude car il nous amène à réinterroger nos pratiques et à apporter des changements », note-t-il. Lorsqu’il travaillait dans un service d’urgences psychiatriques, il a commencé à faire des interventions en Ifsi. Puis, de fil en aiguille, il a commencé à écrire des articles professionnels, notamment sur la question de la relève infirmière, et s’est inscrit dans un DU d’attaché de recherche clinique, avant de trouver rapidement un poste d’IRC dans son service. « Souvent, les équipes apprécient la présence d’un IRC car, par rapport à un attaché de recherche clinique, il a une vision plus globale du projet, raconte Benoît Chalançon. De même, lorsqu’il va dans les autres services pour parler d’une étude et proposer des inclusions, il a des codes que n’a pas forcément un attaché de recherche clinique. »

Dans son service, les axes de recherche actuels portent sur la prévention du suicide, l’impact du suicide sur les proches et l’accès aux soins psychiatriques. « Je travaille sur la coordination générale de l’étude, la gestion des inclusions, le traitement des bases de données ainsi que la promotion et la communication autour des études », explique-t-il. À court terme, il envisage de poursuivre son chemin dans la recherche avec un master. « Il y a un continuum entre le métier d’infirmier de recherche clinique et la recherche proprement dite, car l’un sert l’autre », estime-t-il.

Manque de reconnaissance

Étienne Kimmel est aussi titulaire du DIU Farc-Tec et exerce au GHU Paris psychiatrie et neurosciences, après un parcours professionnel plus atypique. En effet, après cinq ans aux urgences, il est passé par la recherche au sein d’entreprises du secteur du dispositif médical. « Notre métier est très peu connu à l’hôpital, constatet-il. Ce qui n’est pas étonnant car nous ne figurons pas dans le répertoire de la fonction publique hospitalière alors qu’apparaissent les métiers d’attaché de recherche clinique, de technicien ou de coopérateur d’étude clinique. Sur ma fiche de paie, il est indiqué simplement “infirmier en soins généraux”, sans rémunération complémentaire. » Dans l’industrie, lorsqu’il occupait un poste comparable intitulé « spécialiste de support clinique » grâce à sa double casquette d’IDE et de titulaire du DIU, son salaire était le double de celui qu’il touche à l’hôpital. Dans sa structure actuelle, le poste existe depuis plusieurs dizaines d’années, au départ sous l’intitulé « IDE recherche ». « Souvent, selon l’endroit, la fiche de poste n’est pas exactement la même, a-t-il remarqué. La particularité de notre métier est d’avoir été inventé localement par des chefs de service. » L’évolution actuelle semble plutôt à la création de centre de recherche clinique commun à un hôpital, voire à un GH, où des postes d’IRC interviennent dans plusieurs services. « Ce n’est que là où il y a une très grosse activité de recherche qu’on va trouver des postes d’IRC », commente Étienne Kimmel. C’est aussi ce qui explique la diversité des missions des IRC. Certaines réaliseront surtout des prélèvements tandis que d’autres auront un rôle plus transversal, en particulier en centre de recherche.

Le manque, pour l’instant, de reconnaissance institutionnelle des IRC inquiète également Isabelle Fromantin, infirmière chercheuse. « Il faudrait que les IRC aient leur propre diplôme et un statut qui permette de mieux définir les contours du métier et de mieux les valoriser, estime-t-elle. Aujourd’hui, les IRC connaissent bien les rouages de la recherche et ont des compétences importantes. » Autant d’atouts pour franchir le pas, comme Isabelle Fromantin, et se lancer à son tour dans la recherche ou pour servir de pont aux IDE qui sont tentées par la recherche. « J’ai très à cœur dans le cadre de mes fonctions d’aider les infirmières à publier, confirme Étienne Kimmel. Je pense que c’est une opportunité très intéressante pour une IRC de faire avancer la profession infirmière, car une fois qu’on est familier avec les méthodes et les habitudes de la recherche, on peut devenir une ressource pour les autres. » Entre infirmière de recherche clinique, infirmière chercheuse et chercheur en sciences infirmières, les frontières n’ont pas de raison d’être complètement étanches.