L'infirmière Magazine n° 419 du 01/09/2020

 

RELATION PATIENT

SUR LE TERRAIN

MON QUOTIDIEN

MARGUERITE COGNET*   LISETTE GRIES**  


*MAÎTRESSE DE CONFÉRENCES À L’UNIVERSITÉ DE PARIS, SPÉCIALISTE DU RACISME ET DES DISCRIMINATIONS DANS LE DOMAINE SANITAIRE ET MÉDICO-SOCIAL

Ah non, pas vous ! Je ne veux pas être soignée par une Noire ! » Timidement, souvent anonymement, des infirmières racontent être victimes de ce genre de remarques de la part de patients. Un problème souvent minimisé par les équipes et l’encadrement. « Le secteur hospitalier et médico-social, parce qu’il considère qu’il est organisé autour de valeurs humanistes, a tendance à penser qu’il est protégé du racisme, remarque Marguerite Cognet, sociologue spécialiste du racisme et des discriminations dans le monde clinique. Pourtant, comme dans le reste de la société française, il y a du racisme à l’hôpital, chez les soignants et chez les soignés. Le pire est de l’invisibiliser. » Il n’est pas rare que les cadres tentent de régler la situation en proposant uniquement à l’infirmière de ne plus s’occuper de ce patient, en justifiant : « C’est mieux pour tout le monde. » Parfois, les patients sont même « excusés » en raison de leur âge ou de leur état de santé. Pourtant, cette situation n’a rien d’anodin. Il s’agit d’une injure à caractère raciste et diffamatoire, vécue par la victime comme une agression verbale. « Ne pas réagir, c’est cautionner le racisme, met en garde Marguerite Cognet. Si l’on ne met pas de mots sur l’événement, la victime est laissée face à elle-même, avec sa souffrance. » Il est donc important de ne pas laisser passer, et qu’une discussion soit entamée avec le patient. « L’infirmière peut essayer, mais, si elle ne le souhaite pas ou que le patient persiste, c’est à la cadre d’intervenir. Il faut signifier au patient qu’il enfreint la loi, que l’injure raciste et la diffamation sont interdites. » La responsabilité est collective : l’établissement a l’obligation de protéger les salariés, mais les autres membres de l’équipe peuvent aussi défendre leur collègue.

LES BONNES PRATIQUES

→ Garder à l’esprit que si un patient prononce des paroles racistes, c’est lui qui est en tort, notamment face à la loi.

→ Essayer d’ouvrir la discussion, ou faire appel à la cadre. Signifier tout de suite au patient que sa réaction est inacceptable et interdite par la loi.

→ Ne pas hésiter à parler des sentiments que cet événement a provoqués, même à distance.

→ Envisager en équipe de mettre en place des mesures de prévention, par exemple en mentionnant dans le livret d’accueil que les remarques ou actes racistes ne seront pas tolérés, et que le patient n’a pas le choix de ses soignants.

→ Se tourner vers les délégués du personnel et/ou le CSE si l’on en ressent le besoin.

→ Demander que l’établissement soit accompagné par le Défenseur des droits en cas de difficultés récurrentes. La demande se fait sur Internet.

Un collectif mobilisé

→ En 2016, une soignante noire, qui se fait appeler « Calypso », décide de lutter contre le racisme dans le milieu du soin. Dans ce but, elle crée le collectif Globule noir. Il rassemble une vingtaine d’infirmières noires qui exercent dans des hôpitaux publics et privés ou encore en libéral. Le collectif s’est aussi penché sur la question du racisme envers les patients noirs. « Il est important pour nous que la population noire soit actrice de sa santé et qu’elle arrête de subir sans rien dire les microagressions et mauvaises expériences vécues lors d’une hospitalisation ou d’une consultation », insiste la fondatrice. Pour répondre à la demande de patients noirs, Globule noir met à leur disposition d’un répertoire de soignants noirs. Démarche qui a récemment créé une polémique (lire p. 9). Les membres interviennent aussi à l’Université, lors de manifestations ou auprès d’autres associations de soignants.

La loi pour soi

→ Si le refus de soin de la part du patient, motivé par un critère raciste, est prononcé devant un nombre restreint de personnes, toutes soignantes, par exemple dans une chambre, une salle d’examen ou un service, il s’agit d’une diffamation non-publique à caractère discriminatoire. L’article R 625-8 du code pénal pose la sanction encourue en ces termes : « La diffamation non-publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. » Cette amende, pénale et non forfaitaire, est d’un montant de 1500 euros. La même sanction s’applique en cas d’injure raciste.

→ Si la diffamation ou l’insulte peut être considérée comme publique (prononcée de manière à ce que des personnes sans lien entre elles puissent l’entendre, comme dans la rue ou dans un hall d’accueil, par exemple), l’auteur encourt une amende de 45 000 euros et un an d’emprisonnement (art. 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

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