DÉPISTAGE DES CANCERS, QUELLE EFFICACITÉ ? - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

PRÉVENTION

DÉBAT

REGARDS CROISÉS

VÉRONIQUE HUNSINGER  

Le dépistage organisé du cancer inspire toujours des résistances, tant auprès du grand public que chez les professionnels. Son intérêt est pourtant reconnu. À condition d’y mettre les moyens et d’en parler d’une seule voix.

Claude Leicher « C’est à l’équipe de soins primaires d’organiser le dépistage »

Estimez-vous que la politique de dépistage des cancers est à la hauteur des enjeux ?

Actuellement, le dossier est très mal géré parce qu’on a éclaté les lieux et les propositions de dépistages. L’ensemble des dépistages des cancers devrait absolument être recentré sur les soins primaires et les organiser autour de la fonction de médecin traitant. Notre proposition est relativement simple et facile à mettre en œuvre. Il faut que l’équipe de soins primaires, réunie autour du médecin généraliste, prenne en charge le dépistage et l’organise. C’est un travail que nous pouvons nous partager entre médecins et infirmières libérales, grâce notamment au développement des pratiques avancées.

Comment les professionnels pourraient-ils s’organiser ?

Que l’équipe de soins soit formalisée ou non dans une structure commune, le médecin et l’infirmière peuvent parfaitement travailler de manière collaborative. Mais pour cela, nous aurions besoin d’un secrétariat nettement plus développé, de manière à pouvoir repérer plus aisément les patients qui échappent aux dépistages, ceci dans le but de les relancer. L’incitation au dépistage et la prévention de manière générale relèvent de compétences que les infirmières pourraient très bien développer, par exemple en organisant des rencontres avec les patients et les médecins sur ce thème.

Il me semble également extrêmement important que tous les professionnels de santé de ville – des médecins aux pharmaciens et à tous les paramédicaux – tiennent un discours commun et cohérent sur le dépistage. À l’heure actuelle, les patients sont désorientés parce qu’ils entendent les échos de polémiques et des discours différents. La répétition des messages par des acteurs de proximité constitue un facteur de succès plutôt qu’une organisation administrative extérieure. Nous ne voulons pas non plus que ce soit l’hôpital qui vienne s’occuper de nos patients en ville.

Les polémiques récentes sur le bien-fondé du dépistage organisé du cancer du sein ont-elles compliqué votre travail ?

Je crois sincèrement qu’aujourd’hui les femmes, dans leur grande majorité, éprouvent une très grande peur du cancer du sein et la demande d’examen de dépistage reste forte. Elle me semble même quelquefois exagérée pour certaines femmes. La relative faiblesse de la participation aux campagnes de dépistage organisé n’a pas pour principale cause, à mon avis, les discours qui courent de plus en plus sur les risques du « surdépistage » et des surtraitements qui leur seraient liés. La principale raison réside dans le fait que les femmes ne sont pas toutes assez sensibilisées à cet investissement, en particulier dans les milieux les plus défavorisés où le recours au dépistage apparaît extrêmement catastrophique (lire l’article p. 8). Les inégalités sociales de santé naissent justement du fait qu’on ne met pas assez de moyens sur les soins primaires.

Giovanna Marsico « Le dépistage organisé est un moyen de réduction des inégalités »

La question du dépistage des cancers vous semble-t-elle bien abordée ?

La notion de dépistage est très perturbée dans la représentation du grand public. Pour les patients atteints de cancers, il est évident que le dépistage est utile : plus tôt le diagnostic est posé, mieux c’est. En revanche, la crise de confiance générale vis-à-vis de l’autorité fait que l’on constate de plus en plus de résistances à ce type de message chez le grand public et, depuis plus récemment, chez les professionnels de santé. Depuis quelques années, on entend des généralistes remettre en cause le dépistage organisé. Il peut y avoir un débat scientifique sur ce dernier, mais cela reste aujourd’hui un débat d’experts. Du coup, certains patients peuvent se sentir désorientés. Qu’il s’agisse du cancer de la prostate (pour les hommes) ou du sein (pour les femmes), les médecins généralistes n’ont de toute façon pas assez de temps, dans leurs conditions de travail actuelles, pour mener à bien ce travail d’explication. C’est bien là le problème. Du coup, les patients se déterminent encore beaucoup par le bouche-à-oreille sur la question du dépistage, parfois selon les expériences de leur entourage.

Comment peut-on remédier à cette situation ?

La question de se faire dépister ou non pour un cancer n’appartient qu’à la personne elle-même, laquelle doit être capable de prendre sa décision en disposant de tous les outils de compréhension lui permettant d’effectuer un choix éclairé. Ce n’est pourtant pas le cas aujourd’hui. Chacun sait que, pour que le dépistage organisé du cancer du sein soit efficace, il faudrait qu’au moins 80 % des femmes y participent. Or, nous tournons aujourd’hui autour de seulement 52 %.

Du coup, pour atteindre un taux correct et recruter davantage de femmes, le discours des pouvoirs publics a consisté trop longtemps à mettre en avant uniquement les bienfaits du dépistage, sans permettre à la population de comprendre les enjeux. On entend encore trop souvent « Le dépistage sauve des vies », ce qui n’est pas exact sur le plan intellectuel. Le dépistage permet en vérité de détecter un cancer de façon précoce et d’éventuellement réduire l’impact des soins. C’est en cela qu’il est intéressant.

Les moyens mis à disposition en France sont-ils suffisants ?

En termes de plateaux techniques, la France est extrêmement bien placée par rapport aux autres pays européens. De plus, le dispositif de dépistage organisé du cancer du sein intègre une double lecture des images, ce qui constitue une garantie de qualité très forte. Beaucoup de femmes ne le savent pas d’ailleurs. D’un autre côté, le dépistage individuel s’adresse seulement aux femmes qui ont les moyens d’y recourir, alors que le dépistage organisé présente l’intérêt de toutes les concerner. En cela, il est un moyen de réduction des inégalités. C’est pourquoi il est d’autant plus important d’expliquer son intérêt avec un langage adapté à tous. L’INCa travaille actuellement sur ce point. Nous nous en réjouissons et apportons notre contribution. Les politiques de dépistage représentent un véritable exercice de démocratie.

CLAUDE LEICHER

PRÉSIDENT DU SYNDICAT DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES MG FRANCE

→ 1985 - 2007 : médecin attaché au CH de la Drôme

→ Décembre 2009 : élu président de MG France

Plan cancer 2014-2019

La mesure 14 (axe 3) prévoit de lutter contre les inégalités d’accès et de recours au dépistage. Le cancer du col utérin est visé en particulier.

GIOVANNA MARSICO

DIRECTRICE DE LA PLATE-FORME COLLABORATIVE CANCERCONTRIBUTION.FR

→ 1991 - 2000 : Avocate au Studio Legale Marsico

→ 2012 - Cofondatrice Patients & Web

→ 2013 - Administratrice Europe Donna Forum France

POINTS CLÉS

→ Le dépistage organisé du cancer du sein a concerné, en 2012, plus de 2,4 millions de femmes âgées de 50 à 74 ans, soit un taux de participation de 52,7 %, avec des variations entre 27 et 67 % selon les départements. En outre, 10 % des femmes ont recours au dépistage individuel.

→ Le dépistage organisé du cancer colorectal, mis en œuvre depuis 2009, s’adresse aux personnes de 50 à 74 ans, sans risques identifiés. Le taux moyen de participation est de 31,7 %, plus élevé chez les femmes (33,7 %) que chez les hommes (29,6 %).

→ Le dépistage organisé des cancers de la prostate n’a pas été mis en place en France. L’Association française d’urologie a proposé un dépistage individuel modulé en fonction de l’âge.

→ Le dépistage du cancer du col de l’utérus est individuel. Il est recommandé chez les femmes de 25 à 65 ans tous les trois ans. Selon les dernières données de l’Assurance maladie, le taux de recours est de 56,6 %.

Source : INCa

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