L’approche oncogériatrique - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

THIERRY PENNABLE  

Il y a une vingtaine d’années, l’oncologie et la gériatrie donnaient naissance à une toute nouvelle spécialité : l’oncogériatrie. Objectif : améliorer la prise en charge du cancer des personnes âgées après 70 ans en tenant compte des fragilités de cette population.

1. ÂGE ET CANCER

Aujourd’hui, deux tiers des cancers surviennent après 65 ans et un tiers après 75 ans, ce qui fait de l’âge un des principaux facteurs de risque d’apparition du cancer et de celui-ci « une maladie de la personne âgée ». Première cause de mortalité

Première cause de mortalité

En 2011, le cancer représente 48 % des décès entre 65 et 74 ans et 32 % entre 75 et 84 ans(1). Il est la première cause de mortalité pour les 65 ans, devant les maladies cardiovasculaires.

Tous les cancers sont concernés, avec une fréquence importante des cancers colorectaux ou gastriques, du poumon, de la prostate chez l’homme et du sein chez la femme.

L’âge : un critère variable

Toutefois, la diminution des réserves fonctionnelles de l’organisme au cours du vieillissement étant très variable d’un individu âgé à l’autre, l’âge reste une donnée très relative. Il ne peut en lui-même conditionner les choix thérapeutiques car de nombreux traitements sont possibles après 80 ans. Ainsi, la chirurgie, lorsqu’elle est envisageable, doit être appliquée. Le risque opératoire est le même que pour un patient moins âgé.

Deux idées fausses à proscrire

Contrairement à une idée répandue, le cancer n’évolue pas plus lentement et n’est pas moins agressif chez un patient âgé. Un diagnostic exact et un traitement efficace sont aussi essentiels que pour les patients plus jeunes.

L’âge n’est pas en lui-même un obstacle à la chirurgie. Le risque opératoire est le même que pour un patient plus jeune. Ainsi, la chirurgie, lorsqu’elle est envisageable, doit être appliquée. En revanche, les comorbidités ou le stade trop avancé d’un cancer peuvent justifier une décision de ne pas traiter.

2. UNE SPÉCIALITÉ MÉDICALE

Apparue il y a une vingtaine d’années, l’oncogériatrie est issue de la réunion de deux autres spécialités : l’oncologie et la gériatrie. Elle a pour rôle d’améliorer la prise en charge du cancer après 70 ans. Gériatres ou oncogériatres, oncologues, spécialistes d’organe, pharmaciens et radiologues travaillent ensemble afin de proposer des thérapies adaptées aux phénomènes du vieillissement, que celui-ci soit sain ou pathologique. Pour faire face au nombre croissant de patients âgés, l’oncogériatrie a été structurée à l’initiative de l’Institut national du cancer, en cohésion avec les directives du troisième Plan cancer (2009-2013). Les 24 Unités de coordination en oncogériatrie (Ucog) réparties sur le territoire ont permis le développement d’une oncogériatrie structurée et performante. Les obstacles à la prise en charge onco-gériatrique persistent néanmoins. D’une part, certains services ne font pas appel à l’oncogériatrie, comme d’autres n’ont pas recours aux soins palliatifs ou aux spécialistes de la douleur. Les mentalités doivent encore évoluer. D’autre part, le nombre important de patients concernés oblige les Ucog à ne proposer un suivi qu’aux personnes âgées présentant un signe de fragilité et de vulnérabilité accrue vis-à-vis des traitements du cancer. L’oncogériatrie traite des cas complexes qui ont déjà été discutés en Réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), mais qui posent problème en présence de fragilités ou de comorbidités.

3. ÉVALUATION ET SUIVI

L’évaluation des fragilités

Une évaluation est réalisée lors d’une consultation spécialisée d’environ deux heures en hôpital de jour. Son but est de repérer les éventuelles fragilités qui nécessiteraient une adaptation des traitements et/ou un suivi oncogériatrique avant et pendant le traitement. Le plus souvent effectuée par un oncogériatre, parfois par un oncologue ou un gériatre, l’évaluation s’appuie sur un interrogatoire et un examen médical. Elle permet d’apprécier l’état fonctionnel d’un patient, son degré d’indépendance dans les gestes et activités de la vie quotidienne, son état psychique (humeur, anxiété), cognitif et son état de nutrition. Elle vise également à évaluer les risques d’effets secondaires des traitements du cancer et leurs interactions avec les autres pathologies et traitements du patient.

Suivi oncogériatrique

Une hospitalisation peut être proposée, soit pour des examens complémentaires, soit parce que l’état du patient doit être amélioré avant la mise en route du traitement (réhabilitation fonctionnelle, « re-nutrition »…). « L’accompagnement oncogériatrique proposé au patient doit l’aider à supporter le traitement et à préserver son autonomie. Il intervient de préférence avant l’instauration du traitement, parfois entre deux traitements. Il est aussi possible d’instaurer un suivi après les traitements en cas de problématique gériatrique », ajoute le docteur Lauren Aubert du Service de médecine aiguë gériatrique du CHU de Nantes (44).

4. PROGRAMMES DE DEPISTAGE ET DIAGNOSTIC

À la marge du dépistage

Les cancers les plus mortifères font régulièrement l’objet de programmes de dépistage qui consistent à détecter des lésions précancéreuses ou cancéreuses à un stade très précoce, avant même l’apparition des premiers symptômes. Ces programmes s’adressent à des populations cibles dont les critères d’âge excluent les personnes les plus âgées, lesquelles sont pourtant les plus touchées.

Le dépistage du cancer du sein s’adresse aux femmes âgées de 50 à 74 ans (mammographie). Le dépistage du cancer colorectal vise, quant à lui, les hommes et femmes dans la même tranche d’âge, alors que le risque de cancer colorectal est sept fois plus important chez les 75-79 ans que chez les 50-74 ans et huit fois plus important pour les patients âgés entre 80 et 84 ans(2).

Un diagnostic insuffisant

Des symptômes, tels un amaigrissement, une fatigue persistante ou des troubles de la digestion, sont souvent mis sur le compte du vieillissement. Les personnes âgées hésitent à consulter pour ces nouveaux symptômes. Les médecins eux-mêmes, lorsqu’ils sont consultés, ont tendance à s’orienter vers d’autres pathologies liées à l’âge, alors qu’un diagnostic précoce permet d’optimiser la prise en charge, souvent avec des traitements moins intenses. S’ajoute à cela que « la démarche diagnostique des cancers varie en fonction de l’âge des patients ; chez les personnes âgées, cette démarche diagnostique est moins approfondie »(3).

Avec, chez les plus de 70 ans, un pourcentage davantage élevé de cancers de stades indéterminés ou avancés (métastasés ou avec un envahissement locorégional), d’absence de confirmation histologique ou cytologique du cancer, de bilans d’extension réalisés par des techniques moins performantes.

5. TRAITEMENT

Le résultat de l’évaluation gériatrique aide au choix de la stratégie thérapeutique la plus adaptée par l’oncologue.

Choix thérapeutiques

Les questions sont identiques à tout âge. Le cancer est-il curable ? Dans le cas contraire, les traitements peuvent-ils augmenter la survie, tout en préservant une qualité de vie acceptable ? Quel que soit l’âge du patient, l’efficacité et la tolérance des traitements sont pratiquement les mêmes. Le risque est souvent de surestimer la fragilité de l’organisme âgé, de proposer un traitement sous-dosé, donc insuffisant(3).

L’approche oncogériatrique associe la prise en charge de l’état de santé général du patient et celle spécifique au cancer. À partir du traitement optimal du type de cancer et de son stade, il s’agit d’identifier ce qu’il est possible d’envisager pour chaque patient âgé. Sachant que 20 à 30 % de ces patients atteints d’un cancer seraient porteurs de pathologies cardiaques, 21 à 36 % de pathologies vasculaires, 14 à 25 % de pathologies pulmonaires(4).

La décision de traiter

La décision de traiter revient toujours au patient à qui l’oncologue explique les avantages et les inconvénients du traitement le mieux adapté après concertation avec l’équipe d’oncogériatrie. La famille et les proches sont aussi consultés, mais le patient reste l’interlocuteur principal. « Sa volonté est systématiquement recherchée, insiste le docteur Aubert. Sont aussi pris en compte d’éventuels troubles thymiques en fonction du moral du patient, de son ressenti face à l’annonce de la maladie et de sa réaction. Il faut vérifier ce qu’il a compris de la maladie et des traitements ». En présence de troubles cognitifs ou de la mémoire, « certains patients peuvent encore exprimer leur volonté ou leur accord au traitement, cela dépend du stade et du type de troubles. Cet accord ne va pas forcément être maintenu dans le temps en raison des troubles. Il faut alors le redemander à chaque proposition de traitement ». Un traitement administré sans l’accord du patient risque d’être mal vécu, avec un risque de mise en échec. La volonté du patient est d’autant plus importante lorsque le cancer est incurable. Ce dernier doit alors choisir de vivre le temps qui lui reste en se soignant ou non. Il convient parfois faire de comprendre et admettre ce choix à la famille pour qu’il n’y ait pas de conflit délétère pendant le suivi du patient. Lorsque le cancer est curable, la possibilité d’une guérison, une chirurgie par exemple, doit être considérée.

1- Principales causes de décès des personnes âgées en 2011, Insee.

2- « Estimation Francim » pour 2005. Données disponibles sur : www.invs.sante.fr

3- État des lieux et perspectives en oncogériatrie, INCa, mai 2009.

4- Cancer chez la personne âgée : le diagnostic, Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, mars 2010.

ARBRE DÉCISIONNEL

Une aide pour effectuer les choix thérapeutiques

Exemple d’arbre décisionnel proposé en 2000 par Lodovico Balducci, physicien et oncologue américain, considéré par certains comme « le père de l’oncogériatrie ».

QUELQUES CHIFFRES

En 2012, chez les personnes de 75 ans et plus :

→ 115 310 nouveaux cas de cancer (53,7 % chez l’homme) ;

→ près d’un tiers des cancers diagnostiqués ;

→ cancers les plus fréquents chez les hommes :

• 15 359 cancers de la prostate,

• 9 298 cancers colorectaux

• 7 230 cancers du poumon ;

→ cancers les plus fréquents chez les femmes :

• 11 619 cancers du sein,

• 9 741 cancers colorectaux

• 3 093 cancers du poumon.

→ 77 005 décès par cancer sont estimés chez les personnes âgées de 75 ans et plus (dont 53 % chez l’homme), soit 52 % de la totalité des décès observés en France dans cette tranche d’âge.

Source : Institut national du cancer

OUTIL

Dépistage avec le questionnaire G8

Parmi les échelles de dépistage des fragilités gériatriques validées, le questionnaire G8 (étude oncodage) est la plus utilisée chez les personnes âgées atteintes de cancer. Cet outil permet d’identifier un risque de mauvaise tolérance avant un traitement anticancéreux en présence de dénutrition, comorbidités, polymédication, troubles cognitifs ou autre facteur de fragilité.

Un score inférieur ou égal à 14 est le reflet d’une vulnérabilité ou d’une fragilité gériatrique qui doit conduire vers une consultation adaptée aux anomalies dépistées et/ou une évaluation gériatrique approfondie, avant de commencer le traitement anticancéreux.