L’amélioration de la prise en charge du cancer fait émerger de nouveaux métiers infirmiers. C’est le cas des IPA dont l’emploi est cependant bloqué par le manque de cadre statutaire.
Dans le cadre de la consultation que j’anime, j’assure le suivi des patients traités par radiothérapie. Au préalable, je les ai reçus pour leur expliquer le déroulement de leur prise en charge et répondre à toutes leurs questions. Puis, je les ai revus une seconde fois avec le médecin avant la première séance, témoigne Sabrina Mehiz, infirmière de pratique avancée, titulaire de master II de l’université Aix-Marseille et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), filière cancérologie
Seulement voilà, Sabrina Mehiz ne travaille pas en France mais à Lausanne, en Suisse, où les profils professionnels comme le sien sont de plus en plus recherchés et où elle exerce d’ailleurs depuis l’obtention de son DE. De ce côté-ci de la frontière, compte-tenu de ses compétences, on lui proposait certes un poste en or, mais pas en argent… « Le médecin chef du pôle cancérologie du CHU était très motivé pour que je vienne travailler en tant qu’IPA, estimant que ce type de prise en charge était l’avenir. Bref, le projet correspondait parfaitement à ce que je voulais et ce pourquoi je m’étais formée pendant deux ans. Mais lorsqu’on m’a annoncé les conditions salariales, j’ai dû refuser. Quelque 1 800 euros par mois avec un niveau bac + 5 et dix ans d’expérience, ce n’est pas possible ! Je suis très déçue de ne pas pouvoir travailler en France et d’avoir consenti autant de sacrifices pour si peu de reconnaissance », se désole-t-elle. En Suisse, l’infirmière perçoit un salaire de plus de 5 000 € nets mensuel et lorsque les IPA seront reconnues pas la loi, elle obtiendra 1 500 € de plus par mois. Certes, le coût de la vie y est plus élevé que dans l’Hexagone, mais… « À terme, je souhaite que mon poste d’IPA évolue encore pour que le médecin n’ait plus qu’à donner le “OK chimio”. C’est un transfert de tâche intéressant et bénéfique pour le médecin et pour moi-même. Mais je suis, reste et resterai infirmière. »
Pour le Conseil international des infirmières (CII), « une infirmière qui exerce en pratique avancée est une infirmière diplômée qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. Un master est recommandé comme diplôme d’entrée. »
Alors qu’une petite vingtaine d’IPA spécialisées en cancérologie sont déjà diplômées en France depuis 2011, année de délivrance des premiers diplômes, il est bien difficile d’en rencontrer qui ont vraiment cette fonction au sein d’un service de cancérologie. Le manque de cadre législatif et statutaire n’est évidemment pas étranger à cette situation. « On a mis la charrue avant les bœufs », constate Fabien Linsolas, également IPA en cancérologie diplômé. À force de persuasion et de démonstration de la plus-value qu’il pourrait apporter dans la prise en charge des patients, l’infirmier est parvenu à se « bricoler » une consultation dans un service d’onco-dermatologie à Marseille. « Une journée par semaine, j’effectue le suivi, via de la photo-surveillance de nævus, de patients qui ont été atteints d’un mélanome. Ensuite, je rédige un compte rendu pour le médecin. Auparavant, c’est un médecin vacataire qui assurait cette consultation de suivi. Autour de cela, je tente de construire une consultation infirmière complète : information, éducation, prévention et relation d’aide car ces patients, qui ont une peau à risque, sont très anxieux et ont besoin d’être réassurés. On m’a aussi confié une mission d’attaché de recherche clinique. Une journée par semaine, j’épaule une collègue engagée dans un programme hospitalier de recherche infirmière. Dans ce cadre, je fais de la saisie de données, je mène des entretiens et effectue des bilans d’éducation thérapeutique », explique Fabien Linsolas. Et de conclure : « Pour vivre, je suis infirmier libéral le reste du temps… ».
Ni « cadre spécialisé », ni « super infirmière » et encore moins, « petit médecin », comme on les appelle parfois, les IPA ont beaucoup de mal à trouver leurs marques dans l’organisation des soins en France, alors que dans les pays anglo-saxons, elles ont leurs lettres de noblesse et leur autonomie depuis plus de cinquante ans ! Pourtant, la nécessaire évolution de la profession infirmière est régulièrement mise en avant dans les rapports sur les professions de santé. En 2011, par exemple, le rapport Hénart-Berland-Cadet portant sur les métiers de niveau intermédiaire
Une volonté qui devrait trouver sa traduction dans l’article 30 de la future loi de santé et donner ainsi chair à cette nouvelle spécialité et des repères statutaires à celles déjà diplômées. « Nous sommes des pionnières, confie Florence Ambrosino. Pour l’instant, faute de reconnaissance, de fiche de poste et de financement, nous avons une “employabilité” proche de zéro, mais d’ici cinq ou six ans, les IPA auront davantage de facilité pour trouver leur place ». On ne peut que l’espérer…
Réactivé il y a un an, sous l’égide de Anfiide
Donner de la visibilité aux infirmières de pratique avancée, tel est l’objectif du GIC-Repasi
1- Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants.
Le plan prévoit la création d’un métier d’infirmière clinicienne, déployé principalement en cancérologie.