L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

INFIRMIÈRES DE PRATIQUE AVANCÉE

DÉBAT

À LA UNE

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

L’amélioration de la prise en charge du cancer fait émerger de nouveaux métiers infirmiers. C’est le cas des IPA dont l’emploi est cependant bloqué par le manque de cadre statutaire.

Dans le cadre de la consultation que j’anime, j’assure le suivi des patients traités par radiothérapie. Au préalable, je les ai reçus pour leur expliquer le déroulement de leur prise en charge et répondre à toutes leurs questions. Puis, je les ai revus une seconde fois avec le médecin avant la première séance, témoigne Sabrina Mehiz, infirmière de pratique avancée, titulaire de master II de l’université Aix-Marseille et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), filière cancérologie(1). Lors de la consultation de suivi, j’effectue un examen clinique et cherche notamment à déceler les effets secondaires et ceux induits de la chimiothérapie lorsque les patients bénéficient de cette double thérapie. Si besoin, je préconise des traitements de support comme des topiques cutanés et prodigue, entre autres, des conseils hygiéno-diététiques. Aujourd’hui, je fais encore valider mes prescriptions par un médecin, mais d’ici à quelques semaines, je serai en totale autonomie, d’autant que la loi qui reconnaît le rôle des infirmières de pratique avancée doit être votée au premier semestre 2015. À l’heure actuelle, cette mission occupe 50 % de mon temps, le reste du temps, je suis infirmière “normale” dans un service de radio-oncologie ambulatoire. Ce qui me permet de rester en prise avec le terrain dans un domaine où les thérapies évoluent très vite. »

La reconnaissance suisse

Seulement voilà, Sabrina Mehiz ne travaille pas en France mais à Lausanne, en Suisse, où les profils professionnels comme le sien sont de plus en plus recherchés et où elle exerce d’ailleurs depuis l’obtention de son DE. De ce côté-ci de la frontière, compte-tenu de ses compétences, on lui proposait certes un poste en or, mais pas en argent… « Le médecin chef du pôle cancérologie du CHU était très motivé pour que je vienne travailler en tant qu’IPA, estimant que ce type de prise en charge était l’avenir. Bref, le projet correspondait parfaitement à ce que je voulais et ce pourquoi je m’étais formée pendant deux ans. Mais lorsqu’on m’a annoncé les conditions salariales, j’ai dû refuser. Quelque 1 800 euros par mois avec un niveau bac + 5 et dix ans d’expérience, ce n’est pas possible ! Je suis très déçue de ne pas pouvoir travailler en France et d’avoir consenti autant de sacrifices pour si peu de reconnaissance », se désole-t-elle. En Suisse, l’infirmière perçoit un salaire de plus de 5 000 € nets mensuel et lorsque les IPA seront reconnues pas la loi, elle obtiendra 1 500 € de plus par mois. Certes, le coût de la vie y est plus élevé que dans l’Hexagone, mais… « À terme, je souhaite que mon poste d’IPA évolue encore pour que le médecin n’ait plus qu’à donner le “OK chimio”. C’est un transfert de tâche intéressant et bénéfique pour le médecin et pour moi-même. Mais je suis, reste et resterai infirmière. »

Rayon bricolage…

Pour le Conseil international des infirmières (CII), « une infirmière qui exerce en pratique avancée est une infirmière diplômée qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. Un master est recommandé comme diplôme d’entrée. »

Alors qu’une petite vingtaine d’IPA spécialisées en cancérologie sont déjà diplômées en France depuis 2011, année de délivrance des premiers diplômes, il est bien difficile d’en rencontrer qui ont vraiment cette fonction au sein d’un service de cancérologie. Le manque de cadre législatif et statutaire n’est évidemment pas étranger à cette situation. « On a mis la charrue avant les bœufs », constate Fabien Linsolas, également IPA en cancérologie diplômé. À force de persuasion et de démonstration de la plus-value qu’il pourrait apporter dans la prise en charge des patients, l’infirmier est parvenu à se « bricoler » une consultation dans un service d’onco-dermatologie à Marseille. « Une journée par semaine, j’effectue le suivi, via de la photo-surveillance de nævus, de patients qui ont été atteints d’un mélanome. Ensuite, je rédige un compte rendu pour le médecin. Auparavant, c’est un médecin vacataire qui assurait cette consultation de suivi. Autour de cela, je tente de construire une consultation infirmière complète : information, éducation, prévention et relation d’aide car ces patients, qui ont une peau à risque, sont très anxieux et ont besoin d’être réassurés. On m’a aussi confié une mission d’attaché de recherche clinique. Une journée par semaine, j’épaule une collègue engagée dans un programme hospitalier de recherche infirmière. Dans ce cadre, je fais de la saisie de données, je mène des entretiens et effectue des bilans d’éducation thérapeutique », explique Fabien Linsolas. Et de conclure : « Pour vivre, je suis infirmier libéral le reste du temps… ».

Nouvelle opportunité

Ni « cadre spécialisé », ni « super infirmière » et encore moins, « petit médecin », comme on les appelle parfois, les IPA ont beaucoup de mal à trouver leurs marques dans l’organisation des soins en France, alors que dans les pays anglo-saxons, elles ont leurs lettres de noblesse et leur autonomie depuis plus de cinquante ans ! Pourtant, la nécessaire évolution de la profession infirmière est régulièrement mise en avant dans les rapports sur les professions de santé. En 2011, par exemple, le rapport Hénart-Berland-Cadet portant sur les métiers de niveau intermédiaire(2) préconisait la création de nouveaux métiers de la santé sur la base de pratiques avancées : les professionnels paramédicaux praticiens de soins. Dans le champ de la cancérologie, les rapporteurs estimaient que les IPA pourraient ainsi assurer une partie de la prise en charge médicale des patients. « On ne veut pas remplacer les médecins, ce qu’on veut c’est du renforcement, explique Florence Ambrosino, IPA et co-animatrice du GIC Repasi (lire encadré). Nous voulons une profession infirmière qui va monter en compétences et qui, selon le principe de subsidiarité, accomplira des tâches qui ne peuvent pas être assurées par le niveau juste en dessous. La pratique avancée constitue une nouvelle opportunité de carrière pour les IDE. Elle l’est aussi pour les médecins qui pourront se recentrer sur les tâches médicales plus importantes. Elle l’est enfin pour les patients car ils auront à leurs côtés des soignants totalement dédiés et à l’écoute de leur besoins et demandes. La mission de l’IPA est de faciliter, de fluidifier la prise en charge et de sécuriser les pratiques. » Cette nouvelle dimension du travail infirmier semble avoir trouvé un défenseur en la personne du chef de l’État lui-même. Lors du lancement du Plan cancer III, en février 2014, François Hollande a ainsi annoncé, pour faire face aux besoins nouveaux, notamment en matière de suivi des chimiothérapies orales ou de coordination des parcours de soin, « que le métier d’infirmier clinicien en cancérologie sera créé ». Le déploiement des premières formations est déjà prévu pour la prochaine rentrée universitaire. Comme le précise le plan, il « s’agit d’une formation universitaire qui reconnaît la possibilité à un infirmier de réaliser des pratiques dites avancées, au-delà du métier socle d’infirmier. »

Une volonté qui devrait trouver sa traduction dans l’article 30 de la future loi de santé et donner ainsi chair à cette nouvelle spécialité et des repères statutaires à celles déjà diplômées. « Nous sommes des pionnières, confie Florence Ambrosino. Pour l’instant, faute de reconnaissance, de fiche de poste et de financement, nous avons une “employabilité” proche de zéro, mais d’ici cinq ou six ans, les IPA auront davantage de facilité pour trouver leur place ». On ne peut que l’espérer…

RÉSEAU

Avancer en pratique…

Réactivé il y a un an, sous l’égide de Anfiide(1), et copiloté par quatre infirmières de pratique avancée, le groupement d’intérêt commun – Réseau de pratique avancée en soins infirmiers (GIC-Repasi) promeut le rôle des infirmières de pratique avancée.

Donner de la visibilité aux infirmières de pratique avancée, tel est l’objectif du GIC-Repasi(2). « En un an, nous avons créé beaucoup de liens, rejoint nombre de groupes de travail, notamment au sein de la Haute autorité de santé, et pris des contacts avec la plupart des Agences régionales de santé. Par ailleurs, deux d’entre nous sommes membres de l’Ordre infirmier », détaille Florence Ambrosino. Le Repasi travaille également à la mise sur pied d’un « réservoir » d’infirmières expertes (cliniciennes certifiées ou de pratique avancée diplômées) qui pourraient être sollicitées pour apporter leur expertise dans le domaine du soin, de la recherche ou de la qualité. Cela, afin d’accompagner des projets d’établissements et d’équipes ou répondre à des besoins spécifiques d’ARS, d’IFSI voire de maisons de santé pluridisciplinaires. « En un mot, nous faisons du lobbying en expliquant la plus-value que l’on peut apporter à la prise en charge des patients, sans pour cela empiéter ni sur le travail, des infirmières, ni sur celui des médecins, puisque la pratique avancée infirmière investie un champ de la prise en charge qui, aujourd’hui, n’est pas couvert », conclut Florence Ambrosino. À noter que le Gic-Repasi et l’Anfiide co-organisent le 13e Congrès européen francophone des infirmières cliniciennes, consultantes et de pratique avancée. Cette rencontre se déroulera les 1er et 2 octobre prochains à Avignon.

1- Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants.

2- anfiide-gic-repasi.com

Plan cancer 2014-2019

Le plan prévoit la création d’un métier d’infirmière clinicienne, déployé principalement en cancérologie.