L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

TABOU

DOSSIER

V. HUNSINGER  

Grande oubliée des plans cancer, la vie sexuelle des patients doit être prise en compte, même si la crainte de la mort prime sur tout souci intime.

Si diminuer l’impact du cancer sur la vie personnelle constitue bien l’un des dix-sept objectifs du Plan cancer 2014-2019, les conséquences de la maladie sur la vie intime et sexuelle des patients passent aujourd’hui encore complètement sous silence. Dès 2010 pourtant, la blogueuse Catherine Cerisey évoquait le sujet, regrettant le peu d’informations sur cette question et suscitant de nombreuses réactions(1), notamment celle d’un homme avouant que la mastectomie de sa compagne avait été pour lui rédhibitoire. « Accoler les mots sexualité et cancer demeure compliqué, il en est d’ailleurs de même avec le handicap, souligne Catherine Cerisey. Le sujet est encore tabou ». Un quasi-interdit qui touche à la fois les malades, leurs proches et les soignants. « On sait que le cancer peut avoir des conséquences délétères au sein d’un couple, rappelle Emmanuel Jammes, délégué à la mission société et politique de santé à la Ligue nationale contre le cancer. C’est particulièrement vrai pour le cancer du sein où la femme peut être touchée dans son image corporelle, ainsi que pour le cancer de la prostate dont les traitements aboutissent parfois à des troubles de l’érection ». La Ligue a édité une brochure très complète sur l’impact du cancer et de ses différents traitements sur la vie sexuelle. « Ce sujet peut être évoqué dans les groupes de paroles de patients animés par un psychologue, ajoute Emmanuel Jammes. En revanche, les groupes de paroles de proches ont moins de succès, ces derniers n’abordent pas ce thème volontiers ». Et pour cause puisque, à la lumière du dernier rapport de l’Observatoire sociétal des cancers, la première des craintes des proches est bien de perdre la personne malade.

Les débuts de la sexo-oncologie

Pour autant, quelques oncologues commencent également à se former à la sexologie via des diplômes universitaires et on commence à parler de « sexo-oncologie ». « J’ai le sentiment qu’une certaine forme de médicalisation de la vie intime du malade se met en place, se méfie Giovanna Marsico, directrice de la plate-forme web cancercontribution.fr. La question est simplement de préserver la qualité de vie de la personne malade. Dans certains centres de lutte contre le cancer où les soins de supports sont développés, il devient possible d’être accompagné par un psychologue ou sexologue. Les infirmières, à qui les patients confient plus aisément qu’aux médecins leurs difficultés personnelles, peuvent être des médiatrices ». Selon une enquête de l’Association française des soins de support (AFSOS), un tiers des patients estime que la sexualité n’est pas (ou plus) leur préoccupation, un tiers présente des troubles dont le traitement est très facile et accessible et un dernier tiers souffre de troubles plus complexes pour lesquels néanmoins des solutions existent. Toutefois, dans le même temps, « demeure la timidité de parler de quelque chose de très privé à son médecin et aussi la crainte de lui faire perdre du temps, explique Giovanna Marsico. Le patient se sent presque coupable d’aborder cette sphère de sa vie, redoutant de ne pas se montrer capable de repositionner les choses importantes ».

L’angoisse de la perte de l’autre l’emporte

Cause ou conséquence, dans les faits cet aspect du support est encore largement délégué aux associations de patients qui s’y sont investies, essentiellement celles qui s’adressent aux femmes atteintes de cancer du sein. « Les soins de support ne s’intéressent pas encore énormément à la sexualité, estime la psychologue Catherine Adler. Quand il est vrai, qu’au sein de l’hôpital, des psychologues prennent en charge ces questions, une fois les traitements terminés, les femmes ne savent pas où aller ». Catherine Adler travaille pour l’association Étincelles destinée aux femmes touchées par le cancer. Elle y reçoit des patientes en consultation d’onco-psychologique et anime des groupes de paroles de femmes et de proches. « Dans les groupes de paroles pour les conjoints, je souhaite qu’ils viennent seuls afin qu’ils s’expriment librement, explique-t-elle. Pour autant, ils ne viennent pas spontanément et sont souvent poussés par leur femme. En outre, quand je les interroge sur l’impact de la maladie sur la sexualité du couple, la plupart répondent que telle n’est pas leur priorité, alors même qu’ils sont dans l’angoisse de perdre leur compagne ». Selon les associations de patientes, les séparations provoquées par l’apparition de la maladie seraient relativement peu fréquentes. « C’est exceptionnel que l’homme s’en aille dans ces moments, témoigne Catherine Adler. Quand cela se produit, c’est que le couple était déjà en crise depuis longtemps ou alors qu’il s’agit de couples très jeunes ou de fraîche date ». Parfois, c’est la femme malade qui décide de s’éloigner de son conjoint « si elle ne s’aime plus et ne veut plus se placer dans la séduction ».

1- https://catherinecerisey.wordpress.com