L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

THIERRY PENNABLE  

Lorsque le cancer touche une personne âgée, la prise en charge infirmière concerne la gériatrie, l’oncologie et les répercussions de l’une sur l’autre.

Le patient âgé doit bénéficier d’une prise en charge optimale, au même titre qu’un patient plus jeune. Pourtant, en 2009, l’INCa relevait que les traitements des cancers des personnes âgées sont souvent incomplets, surtout en présence d’une comorbidité importante et/ou d’une dépendance (1).

1. LA CHIRURGIE

Aujourd’hui, avec une chirurgie mutilante qui conserve le plus possible l’organe concerné, des personnes de plus de 90 ans sont régulièrement opérées pour un cancer. La chirurgie doit être pratiquée quand elle est possible. Chez un patient âgé, le risque opératoire est le même que pour une chirurgie de la hanche. La décision d’une chirurgie du cancer est prise en fonction du gain présumé en autonomie et/ou en qualité de vie, des comorbidités, du désir du patient prépondérant et de la qualité de son entourage.

Bilan pré-opératoire

Le bilan pré-opératoire prend en compte les autres pathologies du patient dont il convient d’équilibrer les traitements en cours (diabète, hypertension, troubles du rythme cardiaque…). Il faut prévoir l’arrêt éventuel ou le changement d’un traitement (anticoagulant ou antiagrégant, en particulier) et restaurer la volémie souvent basse (déshydratation). Le bilan pré-opératoire permet de repérer des fragilités organiques, comme des altérations des fonctions cardiaque et respiratoire ou une baisse des capacités immunitaires.

Surveillance postopératoire

La fréquence des effets secondaires augmente avec l’âge. Le risque de thrombose ou d’escarre postopératoire doit être pris en compte avant une opération. La prévention et la surveillance des complications gériatriques porte notamment sur :

• L’état confusionnel aigu, observé chez 15 à 50 % des patients de plus de 70 ans ;

• La dénutrition avec le risque de perte d’autonomie, de fonte musculaire, de chute, de problèmes respiratoires, et enfin un risque infectieux ;

• Le syndrome dépressif, favorisé par le stress pré-opératoire et l’asthénie postopératoire. Un syndrome de glissement postopératoire est possible ;

• La perte d’autonomie.

2. LA RADIOTHÉRAPIE

Elle est utilisée, soit pour guérir un cancer en visant à détruire la totalité des cellules cancéreuses (radiothérapie curative), soit pour freiner l’évolution d’une tumeur et en traiter les symptômes sans espoir de guérison (radiothérapie palliative ou symptomatique).

Effets indésirables

Liés au risque d’altération de cellules saines à proximité de la zone traitée, les effets indésirables diffèrent selon la localisation et le volume irradié, la dose délivrée, la radiosensibilité individuelle et l’état général :

• Le « mal des rayons » est une réaction générale consécutive à une irradiation, en particulier de l’abdomen. Les symptômes les plus fréquents sont une asthénie et une perte de l’appétit ou anorexie. Nausées et vomissements sont possibles et traités avec plus ou moins d’efficacité. Ces symptômes disparaissent le plus souvent spontanément une semaine après la fin du traitement. Ils doivent être rapidement traités chez le patient âgé pour prévenir le risque de dénutrition et d’altération cutanée (escarre) ;

• Dysphagies et manque de salive dus aux irradiations de la bouche, du cou ou du haut du thorax.

• Divers types de lésions cutanées, tels que érythèmes fugaces, épidermites, radiodermites.

Prévention des lésions cutanées

Les précautions usuelles s’imposent chez les patients âgés qui ont une peau fine et moins protégée contre les agressions extérieures. Pendant toute l’irradiation :

- éviter absolument les douches et bains trop chauds ;

- laisser au maximum les zones irradiées à l’air libre ;

- ne pas savonner directement les zones irradiées, mais laisser couler l’eau savonneuse dessus ;

- employer un savon simple (de Marseille) ou le produit prescrit par le médecin ;

- ne jamais utiliser d’alcool, d’eau de toilette, de déodorant, de talc ou de crème sur les zones irradiées

- sécher sans frotter ;

- porter des vêtements amples, en coton.

3. LA CHIMIOTHÉRAPIE

Risque iatrogène

Le risque de toxicité d’une chimiothérapie augmente en présence de modifications organiques liées au vieillissement. Elles doivent être évaluées avant la mise en route du traitement :

• La baisse de la masse hydrique et l’augmentation de la masse graisseuse influencent le volume de distribution des médicaments (passage de la circulation sanguine aux tissus de l’organisme) ;

• La baisse des fonctions rénales aiguillonne la vitesse d’élimination des médicaments avec un risque de surdosage. Les insuffisances rénales patentes ou latentes doivent être repérées ;

• La diminution du pouvoir métabolique du foie augmente la part active du médicament qui atteint la circulation générale avec un risque de toxicité augmenté.

Adaptation des traitements

Les chimiothérapies anticancéreuses ont une efficacité considérée équivalente quel que soit l’âge du patient. Les molécules utilisées sont les mêmes. En revanche, les dosages et le rythme du traitement sont adaptés à l’état général et aux effets indésirables. L’équilibre bénéfices/risques doit être analysé afin de ne pas verser dans une diminution systématique des doses pour les patients âgés, avec un risque de sous-dosage pour éviter les effets indésirables. La prévention de la toxicité peut alors se faire de deux façons : soit un facteur de fragilité fixe précisément une limite au traitement (ex. : insuffisance rénale), soit l’oncologue instaure progressivement les doses.

De nouveaux protocoles

Le caractère variable des effets indésirables du traitement selon les médicaments et selon les patients complique leur prévention. La Société internationale d’oncogériatrie a émis des recommandations dans plusieurs types de cancers, plus en terme de protocoles que de dosages. Certains protocoles et certaines molécules sont privilégiés chez les patients âgés. Ces recommandations pourraient être soulevées par les familles en cas de problème grave.

Chimiothérapie orale

Contrairement à une idée courante, une chimiothérapie orale n’est pas moins toxique qu’un traitement intraveineux. Elle peut l’être davantage avec certaines molécules, par exemple avec le 5-Fluorouracile (5-FU), un des médicaments les plus prescrits en cancérologie, y compris chez les patients âgés. Selon une directive du dernier plan cancer, la chimiothérapie orale est privilégiée chez les patients âgés car sa mise en œuvre est moins lourde que pour la voie intraveineuse.

Facteurs aggravants

La plus ou moins grande fragilité des organismes âgés est surtout préjudiciable dans les situations de stress (maladie, traitements, chirurgie…). Cette vulnérabilité organique est aggravée par la présence d’autres pathologies (hypertension artérielle, diabète…) et de leurs traitements. La toxicité d’une chimiothérapie peut avoir des effets « démultipliés » chez une personne âgée. Il existe un risque de complications en cascade (perte d’appétit, fatigue, alitement…) qui entraînent le patient vers une grabatisation, voire vers le décès.

Effets indésirables fréquents

→ Toxicité hématologique : ce risque est augmenté en cas de vieillissement fonctionnel de la moelle osseuse. Signes cliniques :

- anémie pouvant nécessiter une transfusion de globules rouges ou l’administration d’agents stimulant l’érythropoïèse (érythropoïétine, par exemple) ;

- thrombopénie : saignements des gencives ou du nez, petites marques rouges sur la peau. Des transfusions de plaquettes peuvent être nécessaires. L’oncologue peut proposer un arrêt du traitement ou une réduction de la posologie ;

- neutropénie : les signes d’infection nécessitent un signalement au médecin. La présence de symptômes d’infection chez un patient apyrétique doit être considérée comme une possible infection, surtout chez des patients neutropéniques.

→ Toxicité neurologique : certaines chimiothérapies peuvent favoriser des neuropathies se manifestant par des troubles sensoriels et des paresthésies (picotements, fourmillements, sensation de froid…). Il est important d’évaluer des neuropathies périphériques débutantes qui risquent de se dégrader rapidement.

→ Nausées et vomissements : ils sont fréquents avec de nombreuses chimiothérapies y compris orales. Un traitement antiémétique standard peut être prescrit. Des vomissements importants après un traitement très émétisant (ex. : cisplatine) peuvent entraîner des problèmes de déshydratation ou de fatigue du rein. Conseiller au patient de boire entre les repas, d’éviter les aliments frits, gras ou épicés, de manger lentement et de faire plusieurs petits repas légers.

→ Diarrhée : elle nécessite un traitement symptomatique en complément d’une réhydratation orale. À éviter : café, boissons glacées, lait, fruits et légumes crus, céréales, pain complet et alcool. Boire au moins 2 litres par jour (eau, thé, tisanes…) et privilégier les féculents, les carottes, les bananes.

→ Constipation : rarement due à la chimiothérapie, d’autres médicaments peuvent entraîner des constipations importantes (antalgiques, antiémétiques…). À signaler rapidement au médecin si arrêt des gaz ou vomissements.

→ Chute des cheveux : un casque réfrigérant peut être proposé pendant la séance de chimiothérapie pour diminuer la chute.

→ Fatigue, variable selon les traitements. Conseils :

- toilette assis, se laver les cheveux sous la douche et non au-dessus d’un lavabo ;

- main courante dans la baignoire, tabouret dans la douche, pour se sécher : peignoir plutôt que serviette ;

- prévoir des vêtements amples et aisés à enfiler, chaussures faciles à chausser, agrafer le soutien-gorge devant, puis le tourner vers l’arrière ;

- repassage assis, aides ménagère et des proches ;

- mains courantes le long des escaliers, chaises disposées à des endroits stratégiques pour se déplacer.

→ Dénutrition : en cancérologie, une dénutrition modérée ou sévère est observée chez 60 % des patients de plus de 70 ans. Cette complication fréquente des cancers et de leurs traitements augmente le risque de mortalité. À l’inverse, l’amélioration de l’état nutritionnel permet au patient de mieux résister aux toxicités du traitement et de conserver une meilleure activité physique. C’est un soin à part entière.

La perte de poids est le critère le plus révélateur et le plus facile à évaluer par rapport à une mesure du poids antérieure, surtout le poids avant le début de la maladie. Chez une personne de plus de 70 ans, une perte de 2 kg en un mois ou de 4 kg en six mois doit alerter le médecin.

→ Dépression : Les causes de dépression sont multiples : crise du vieillissement, difficultés sociofamiliales, polypathologies, évolution du cancer ou effets indésirables des traitements, détérioration physique, handicap, pronostic vital écourté… Le risque suicidaire est accru, surtout en cas de perte d’autonomie ou de conception très négative des soins. L’infirmière peut repérer les symptômes dépressifs spécifiques aux patients âgés (émoussement affectif, irritabilité, idées de persécution, ralentissement psychomoteur…). Il faut aussi expliquer qu’une aide psychologique consiste à verbaliser ce qui pose problème pour essayer d’apporter des solutions. Et qu’une consultation n’implique pas forcément un suivi.

1- État des lieux et perspectives en oncogériatrie, INCa, mai 2009.

REPÈRES

Survie nette à 10 ans

→ Il s’agit de la survie observée chez les 75 ans et plus si le cancer fut la seule cause de décès.

→ Le pronostic, moins bon en terme de survie chez les sujets âgés, s’explique par un diagnostic plus tardif et des comorbidités limitant le traitement :

- cancer du sein : 65 % contre 83 % chez les 45-54 ans ;

- cancer du poumon : 5 % contre 9 % tous âges confondus ;

- cancer de la prostate : 61 % pour les 75-84 ans contre 83 % pour les 55-64 ans ;

- cancer colorectal : 45 %, comparable aux adultes plus jeunes.

Source : Institut national du cancer

TÉMOIGNAGE

De l’évaluation à la formation

SYLVIE PERRIN

INFIRMIÈRE EXPERTE EN ONCOGÉRIATRIE AUPRÈS DE L’UCOG DU SILLON RHODANIEN ET DU CENTRE RÉGIONAL DE LUTTE CONTRE LE CANCER LÉON BÉRARD À LYON (69)

Quel est votre rôle à l’UCOG ?

Comme toute infirmière d’Unité de coordination en oncogériatrie (Ucog), ma principale fonction est le développement et la coordination des prises en charge oncogériatriques. À commencer par la mise en place des pré-dépistages des fragilités gériatriques dans les établissements médicaux. Je participe aussi directement aux évaluations gériatriques pluridisciplinaires. À l’appui de tests gériatriques, je suis chargée d’évaluer d’éventuels troubles chez les patients sur les plans cognitif et thymique, ainsi que les aptitudes aux activités basales et instrumentales de la vie quotidienne. Je réunis ensuite les synthèses des différents professionnels intervenant dans l’évaluation (assistante sociale, diététicienne…). Et j’assiste à la consultation du patient avec le gériatre. Parallèlement à cela, j’ai une fonction de formation et d’information sur l’oncogériatrie.

Sur quoi mettez-vous l’accent dans vos formations ?

Lorsque j’interviens dans les IFSI, j’insiste toujours sur le versant gériatrique et l’importance des fragilités liées à l’âge dans le cadre du cancer. Sur la nécessité de porter un regard « gériatrique » sur le patient âgé prenant en compte les champs social, nutritionnel et cognitif, sans quoi « on va dans le mur ». Dans le cadre de l’Ucog, j’ai développé deux types de formations au sein du Réseau régional de cancérologie* : l’une plus orientée sur les « fragilités gériatriques » destinée aux infirmières qui maîtrisent la cancérologie ; l’autre, plus cancérologique, sur le parcours de soins, la chimiothérapie, les thérapies ciblées, etc. C’est plus intéressant pour les infirmières exerçant en Ehpad ou SSR gériatrique. Nous formons aussi des infirmières de tous horizons, y compris des libérales.

* http://espacecancer.sante-ra.fr