L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

USSO DE L’HEGP

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

MARIE-CAROLINE DISS  

À l’Hôpital européen Georges Pompidou de Paris, une nouvelle unité de soins de support oncologiques propose une prise en charge multidisciplinaire. Préserver la qualité de vie du patient et éviter les complications médicales sont ses préoccupations fondamentales.

Hébergée par le service d’ORL de l’Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), l’Unité fonctionnelle de soins de support oncologiques (Usso) résulte de plusieurs années de réflexion. Dans les années 2000, une Réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) de soins de support a été mise en place à l’HEGP, ainsi que des consultations et une prise en charge spécifiques en hôpital de jour. Quelque chose continuait néanmoins à manquer. « Nous nous sommes rendus compte que certains patients se trouvaient réellement en situation difficile. Pour eux, le temps court d’hospitalisation de jour s’avérait insuffisant, explique Florian Scotté, PH responsable de l’unité. D’où la nécessité de les garder quelques jours supplémentaires pour faire le point. » Le responsable du service ORL, ainsi que la direction de l’hôpital et de l’AP-HP, donnent leur feu vert. En décembre 2010, quatre lits sont dédiés aux soins de support en oncologie. Le personnel est mutualisé entre la chirurgie ORL et cette unité médicale.

En septembre 2013, après avoir fait ses preuves, l’unité passe à huit lits. Médecins spécialistes et équipes transversales de lutte contre la douleur, de psycho-oncologie, de diététique et de soins palliatifs interviennent tout au long du séjour du patient. Sophie Morin, actuelle chef de clinique de l’unité, en précise les enjeux : « Il s’agit pour nous d’anticiper les complications des cancers et des traitements anti-cancéreux, afin que les patients soient le moins longtemps possible hospitalisés, qu’ils supportent le mieux possible leur traitement pour que la maladie se stabilise et que leur qualité de vie soit préservée ». Quelque 67 % des patients arrivent directement de leur domicile, que 60 % d’entre eux retrouvent à leur sortie. Les autres patients sont orientés en SSR (Soins de suite et de réadaptation) voire, si leur état de santé s’est dégradé, vers une USP (Unité de soins palliatifs). Environ 10 % d’entre eux décèdent lors de leur séjour à l’Usso. Le temps de séjour moyen à l’unité s’élève à huit jours.

Lutte incessante contre la douleur

Les principaux motifs d’hospitalisation sont la dénutrition, la douleur et l’altération de l’état général. Chaque prise en charge commence par une évaluation multidisciplinaire. L’Usso offre toute une gamme d’accompagnements de support, en s’aidant des référentiels établis par l’Afsos(1). La plupart des patients (90 %) bénéficient d’un suivi diététique. « Nous essayons d’abord de repérer une altération éventuelle de la prise alimentaire liée à un problème physiologique, précise Virginie Siméone, diététicienne affectée à l’unité, puis nous nous intéressons à l’environnement du patient chez lui. Une enquête plus approfondie, parfois auprès de la famille, nous permet de mieux cerner la composition des repas du patient. Et l’on profite de son séjour pour calculer ses ingestats. En nous appuyant sur l’historique pondéral du patient, nous pouvons évaluer sa dénutrition. » Si nécessaire, une nutrition entérale ou parentérale est engagée. Il s’agit de stabiliser le poids du patient et, idéalement, si son état de santé le permet, d’envisager pour sa sortie de l’hôpital un retour à l’alimentation par la bouche.

La prise en charge de la douleur est un des fils conducteurs de la prise en charge de l’Usso. « Nous évaluons la douleur à chacun de nos passages dans la chambre, précise Karine Legeay, infirmière. Nous utilisons l’échelle numérique d’évaluation et affinons également les choses en demandant au patient de nous décrire sa douleur. Nous sommes particulièrement vigilants pour les patients très douloureux. Le traitement antalgique est évalué, de manière à être équilibré au moment de la sortie. »

Il est d’autant plus important de lutter contre la douleur qu’elle affecte le moral et ne favorise pas l’alimentation. L’équipe de lutte contre la douleur est mobilisée dès que cela paraît nécessaire. L’approche multidisciplinaire permet une vision globale de chaque patient et de dépister des souffrances non verbalisées. « Il peut y avoir des personnes ressentant une importante douleur et qui n’en parlent pas. Elles se referment, éprouvant le sentiment qu’on ne peut rien faire pour elles, décrit Najoua Oumima, psychologue référente de soins de support et ORL. En parlant avec ces patients, je peux les aider à formuler ce qu’ils ressentent et les convaincre d’accepter un traitement contre la douleur adapté. Quand ils s’aperçoivent que l’on prend en compte ce problème, que toute une équipe est derrière eux et peut les soulager, leur attitude change du tout au tout. Ils s’ouvrent. Quelque chose se dénoue en eux. »

Des gestes de radiofréquence, de chimio-embolisation ou de cimentoplastie sont pratiqués, si nécessaire, par l’équipe de radiologie interventionnelle, au plateau technique. L’initiation de chimiothérapies émétisantes peut être suivie à l’Usso, afin de majorer les traitements préventifs et d’assurer la meilleure tolérance possible au traitement. Une admission peut également être le moyen de temporiser une situation complexe, suite à l’annonce du diagnostic.

Prise en charge globale

La notion d’annonce est d’ailleurs capitale à l’Usso, au fil de l’avancée de la maladie. « Il est important de laisser au patient le temps d’assimiler les informations qui lui sont données et de s’assurer de ce qu’il veut entendre », souligne Najoua Oumima. Le temps de l’hospitalisation laisse aux soignants la possibilité de révéler une annonce difficile en plusieurs temps, en fonction des réactions du patient. Période de traitements adaptés et d’évaluations, l’hospitalisation dans l’unité constitue l’occasion, pour le patient, de se sentir entouré par une équipe, de se reprendre, de souffler. Diverses activités, comme la réflexologie ou la musicothérapie, peuvent également lui être proposées en vue d’améliorer son confort, en collaboration avec l’association Artic(2). Tout au long du séjour, l’ensemble du personnel est attentif aux signes du patient, à ce qu’il peut exprimer. « La prise en charge globale du patient est la raison pour laquelle j’ai choisi ce métier. Ici, nous la pratiquons pleinement, s’enthousiasme Karine Legeay. Et l’évolution des patients au cours de leur séjour ne trompe pas. Ils arrivent avec une importante altération de leur état général et beaucoup retrouvent de l’autonomie. Souvent, ils peuvent rentrer à la maison. Nous parvenons à soulager leur douleur. Sur le plan psychologique, nombre d’entre eux arrivent fermés, crispés ; ils ressortent souriants et détendus. »

Une parole élargie

L’approche même des soins de support, issue de la démarche en soins palliatifs, exige le temps de l’écoute, de l’analyse de situations complexes et du dialogue entre professionnels. « Il ne s’agit pas d’une discipline, mais d’une coordination des compétences, précise Florian Scotté. L’idée que l’on puisse avancer en équipe m’est chère en médecine. À côté de la hiérarchie administrative, obligatoire pour gérer un service, chacun a un rôle majeur à jouer dans l’accompagnement du malade. Chacun est là pour dire ce qu’il pense et aider aux décisions. C’est ce qui autorise une vision globale du patient. » Ainsi, lors de chaque grande visite hebdomadaire, avant d’entrer dans la chambre du patient, l’ensemble de l’équipe se réunit, chacun donne à son tour sa vision de la situation. Cette approche permet d’assurer une bonne qualité de vie des soignants, ce qui fait partie des objectifs des soins de support. Les professionnels ont ainsi le sentiment d’être écoutés et reconnus dans leur rôle.

Des groupes de parole, animés par la psychologue, se réunissent de manière régulière ou exceptionnelle lors de situations critiques marquant fortement l’équipe.

Le lien avec les familles est également pris en compte, comme en témoigne Sophie Morin : « Je vois les proches au moins une fois avant la sortie du patient. Cela me permet d’évaluer s’ils sont présents ou non, s’il existe vraiment un réseau et un soutien. C’est également important de préparer les familles. Le cancer est une maladie chronique lourde. À certains moments, cela ne va pas bien se passer. Du fait de l’hospitalisation, je dispose également de ce temps avec les proches. »

L’évaluation de l’environnement du patient est d’autant plus fondamentale que, comme le résume Christophe Aubaret, cadre de l’unité : « Nous préparons la sortie du patient dès son admission. » Pour les patients qui retrouvent leur domicile à l’issue de leur séjour, il peut s’agir d’organiser une aide ou des soins à domicile. Des liens étroits sont entretenus avec différents prestataires de services et réseaux de santé. Certains participent d’ailleurs aux RCP du mardi après-midi. « Nous travaillons également sur le suivi après la sortie, précise Christophe Aubaret. Il est important que les retours dans notre unité s’effectuent de manière anticipée. Il y a des phénomènes que l’on a pressentis, qui pourraient arriver, par rapport à l’état de santé, à la pathologie ou au traitement. »

Une anticipation qui sera grandement facilitée quand sera achevé, probablement avant la fin de l’année 2015, en lien avec le laboratoire d’éthique de Paris-Descartes du professeur Christian Hervé, le prochain projet de l’Usso. À savoir, la mise en place d’une plate-forme de coordination, afin de resserrer le lien avec les professionnels de ville et assurer un véritable partenariat ville-hôpital.

1- Consultables sur le site de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support, www.afsos.org

2- www.association-artic.org

TÉMOIGNAGE

« Réapprivoiser les aliments »

Pour Virginie Siméone, diététicienne intervenant à l’Usso, tout un travail de réapprentissage et de dédramatisation est à faire auprès du patient et de ses proches afin de faciliter la réalimentation.

Avec un patient pour lequel la situation alimentaire peut se rétablir, la notion de plaisir doit être travaillée en entretien. Certains traitements altèrent le goût, d’où l’importance, selon Virginie Siméone, d’« aider à reconquérir une mémoire gustative ». Mais ce souvenir est davantage lié aux circonstances dans lesquelles l’aliment a été dégusté qu’à son goût propre. « Les patients rêvent de quelque chose et quand ils l’ont, il ne lui trouvent pas le même goût. Il leur faut se réapproprier les aliments », explique-t-elle.

Pour la diététicienne, il est également important de dédramatiser la question de l’alimentation auprès de la famille : « Manger est signe de bonne santé.?Quand un conjoint, un père ou une mère ne mange pas, cela devient vite angoissant… ». Pouvoir évoquer ensemble la question permet de décrisper le moment des repas. La diététicienne insiste également auprès du patient et de ses proches sur les efforts que celui-ci fournit pour s’alimenter, la lutte de tous les jours qu’il engage.

L’alimentation peut également se révéler un moment redouté par les patients, après de mauvais souvenirs.

Une consultation conjointe, menée avec un orthophoniste, permet de reprendre confiance. L’orthophoniste travaille sur la déglutition et la diététicienne sur les apports alimentaires adaptés.

Il peut être demandé au patient de venir avec un aliment qu’il aime, que les professionnels savent qu’il peut avaler, mais qu’il redoute de manger depuis sa maladie et son traitement.

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