L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

ACCÈS AUX TRAITEMENTS

DÉBAT

FOCUS

SANDRA MIGNOT  

La France est le pays d’Europe de l’Ouest où les inégalités de santé sont les plus criantes. L’accès aux soins oncologiques ne fait pas exception. Les causes demeurent complexes.

Quel que soit le pays, ce sont toujours les citoyens les plus défavorisés qui présentent les plus mauvais pronostics, résume le professeur Guy Launois, directeur de l’unité 1086 Inserm/université de Caen Basse-Normandie. Et si les inégalités se construisent tout au long du parcours de vie, il est certain que perfectionner la prise en charge permettrait d’améliorer la survie. »

Les chiffres sur le sujet sont délicats à extraire, compte tenu des différents facteurs qui peuvent influencer la survie et des variations entre les différentes localisations du cancer. Ainsi, des recherches ont montré que le fait de ne pas disposer d’une mutuelle constituait un obstacle. C’est notamment vrai pour le dépistage du cancer du col de l’utérus qui nécessite l’accès à un médecin spécialisé. En revanche, les facteurs socio-économiques ne sont pas un agent d’influence constant, puisque les populations les plus précaires se saisissent assez largement du dépistage systématique, notamment en ce qui concerne le cancer du sein. Or, pour ce type d’affection, actuellement plus fréquent chez les femmes cadres, la mortalité demeure davantage élevée chez les femmes issues d’une catégorie socio-professionnelle (CSP) plus modeste…

Globalement, les données révèlent néanmoins que le risque de décès est multiplié par 2,5 entre les personnes affichant les niveaux d’études le plus élevé et le plus faible. Pire : ces inégalités se sont creusées au fil des dernières années, en particulier chez les hommes.

Elles ne concernent toutefois pas que le cancer puisque la géographie de son taux de mortalité recoupe peu ou prou celle de la mortalité générale, avec une incidence supérieure dans le Nord… Tout se passe pourtant comme si les progrès thérapeutiques ne bénéficiaient qu’aux mieux insérés dans la société.

Disparités géographiques

La participation au dépistage apparaît comme la première étape du parcours de soin mise en cause. « Il peut y avoir jusqu’à dix points de différence en faveur des plus favorisés, poursuit Guy Launois. Même si, dans l’ensemble, on considère que le dépistage fonctionne plutôt bien en France. » Alors que des études ont montré aux États-Unis de fortes disparités « ethniques », l’Hexagone est, lui, davantage impacté par la distance géographique avec les centres de santé. « On peut identifier des quartiers entiers ou des communes rurales où il serait fort utile d’installer des actions locales de dépistage », affirme Guy Launois.

L’éclairage géographique joue également un rôle en ce qui concerne l’accès aux traitements. Et plus la densité en médecins généralistes est grande, plus l’accès aux soins sera facilité. « La filière de soin est déterminée par le lieu de vie, observe encore Guy Launois. On note, par exemple, un taux d’abstention chirurgicale, voire thérapeutique, plus élevé dans certaines communes rurales ou chez des personnes sans activité professionnelle. Et le fait d’habiter à plus de 50 km d’un centre de référence divise par deux la probabilité d’être pris en charge à cet endroit. Ces patients sont donc suivis dans des services moins spécialisés, ce qui peut, au final, avoir une incidence sur leur survie… » D’une région à l’autre, les délais de prise en charge ne sont pas les mêmes. Sans que l’on sache clairement aujourd’hui à quels facteurs attribuer ces variations.

Renoncement aux soins

Pour les patients plus âgés, mais pas seulement, la distance à parcourir afin d’accéder au traitement peut représenter un réel obstacle. « Certaines personnes vont préférer ne pas bénéficier du traitement optimal pour rester dans leur environnement familier », observe Guy Launois. De même pour l’accès aux soins de suivi. « L’inégalité territoriale est un vrai problème, remarque Emmanuel Jammes, délégué à la mission Société et Politiques de santé, de La Ligue contre le cancer. Pendant l’intercure, par exemple, vous avez également besoin d’accéder à votre généraliste. Et si vous vivez dans un désert médical, vous êtes fatalement désavantagé. »

Enfin, même si, théoriquement, l’accès aux soins est garanti à tous, l’accès aux soins de support subit les effets de la précarité sociale : « Les consultations psychologiques, diététiques ou sophrologues, ne sont pas prises en charge », rappelle Anne Festa, directrice du réseau AC Santé 93, en Seine-Saint-Denis. Si les patients n’ont pas l’opportunité d’y accéder à l’hôpital, ou dans une association, ils devront alors s’en passer. « Et nous avons des femmes qui vivent de ménages et planifient leurs séances de chimiothérapie entre leurs heures de travail », poursuit Anne Festa. Laquelle attire l’attention sur un autre fait : la précarité constitue en elle-même un obstacle à l’observance, quand ce n’est un retard au diagnostic et à la prise en charge.

Recours à la télémédecine

Le plus récent rapport de l’Observatoire sociétal du cancer, s’il ne quantifie pas les situations, mentionne de nombreux témoignages de malades ayant dû renoncer à certains soins pour la prise en charge de leurs effets secondaires, changer d’établissement de santé afin de limiter leurs dépenses, voire refuser franchement la prise en charge psychologique.

Et si plusieurs voies sont actuellement explorées pour parfaire l’accès au dépistage (recommandations de certains tests auto-administrés par des travailleurs sociaux ou professionnels non soignants, dispositifs de dépistages mobiles), améliorer l’accès aux soins s’avère plus complexe. « La télémédecine pourrait représenter une solution pour les zones rurales, estime Guy Launois. Mais il faut aussi faire en sorte que les grands centres de soins ne constituent pas des repoussoirs pour les populations les plus défavorisées… ».

La connaissance du système de soins constitue également un obstacle. « Celle-ci est généralement liée à la position socio-économique du patient, résume Hermann Nabi, responsable du département recherche en Sciences humaines et sociales (SHS), santé publique, épidémiologie de l’Institut national du cancer. Les personnes qui ont le moins d’instruction sont aussi très souvent celles qui connaissent le moins bien l’ensemble de leurs droits. Elles n’ont pas accès à l’information nécessaire pour bien naviguer dans le système, bien comprendre non seulement le diagnostic mais aussi le schéma de traitement. »

Conséquences sociales

Les difficultés tant linguistiques que culturelles ne sont pas rares, elles amènent certaines associations à « doubler » les consultations d’annonces, parce que les patients n’ont pas compris la pathologie, le protocole de soin, l’incidence sur leur vie quotidienne, etc. C’est aussi la raison pour laquelle l’INCa a décidé de créer différents guides patients, voire des documents, à l’intention des médecins traitants. « Par exemple, si nous voulons favoriser l’accès aux thérapies innovantes, il faut aussi que les professionnels de santé soient informés et puissent renvoyer leur patient vers la bonne filière », poursuit Hermann Nabi.

Enfin, s’il demeure difficile d’identifier les causes des difficultés d’accès au traitement et de les différencier des obstacles à la prévention ou au dépistage, pour les associations ces inégalités ne sont pas nécessairement les plus aiguës. « La prise en charge n’est pas forcément le problème le plus criant, résume ainsi Emmanuel Jammes. Les conséquences sociales du cancer en terme d’appauvrissement, de perte d’emploi et de désinsertion, font que cette maladie peut réellement faire basculer dans la précarité. »

Ainsi, les difficultés économiques, bien avant les difficultés d’accès aux soins de support, sont les demandes d’aide les plus fréquemment formulées (54 %) auprès des comités départementaux de la Ligue contre le cancer. Et cette proportion ne cesse d’augmenter.

Plan cancer 2014-2019

L’axe 5 “Vivre pendant et après un cancer” prévoit d’améliorer la qualité de vie et que soit combattue toute forme d’exclusion

DISCRIMINATION

Le handicap intellectuel laissé pour compte

« On accepte actuellement que les personnes déficientes intellectuelles soient davantage mal traitées que les autres patients », s’insurge le Pr Jean-Bernard Dubois, ancien radiologue et président de l’association Oncodefi, basée à Montpellier. L’organisation a constitué une équipe de soin et de recherche spécialisée, qui travaille notamment à évaluer le nombre de personnes concernées en France (les premiers résultats de cette étude sont attendus pour la fin 2015). « À ce jour, l’incidence globale serait comparable à celle de la population générale, estime le spécialiste. Mais alors que nous avons les moyens de détecter des tumeurs millimétriques, ces patients arrivent tous avec des tumeurs très évoluées, voire métastasées. » Les établissements accueillant des personnes handicapées ne sont, en effet, pas sensibilisés et les campagnes d’information ou de dépistage n’atteignent pas ces populations. Autre difficulté : l’observance thérapeutique des patients. « Les suites opératoires sont difficiles et l’hospitalisation non comprise. Les personnes arrachent les perfusions. La radiothérapie est aussi difficile à administrer. Le pronostic est donc forcément mauvais. » La solution, selon Oncodefi, passe par un meilleur accompagnement humain. « Il faut être très présent auprès du patient qui, par ailleurs, n’écoute que les accompagnants auxquels il est habitué. »