Une intervention en équipe - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

CAROLINE BERBON  

Évaluer le patient âgé porteur d’une pathologie cancéreuse avant décision thérapeutique et offrir un suivi à des patients fragiles sont des missions essentielles de cette équipe mobile d’oncogériatrie toulousaine.

L’HISTOIRE

→ Mme B., âgée de 84 ans, présentait en février 2008 une tumeur gastrique traitée par gastrectomie des deux tiers.

→ En juin 2013, après cinq ans de surveillance clinique et tomographique, le scanner de contrôle affiche plusieurs métastases hépatiques chez cette patiente.

→ Depuis plusieurs semaines, elle connaît également une asthénie, l’ayant amenée à diminuer ses activités, alors qu’elle était jusqu’alors totalement autonome.

→ Pour la traiter, l’oncologue, confirmé par la réunion de concertation pluridisciplinaire, propose une thérapie ciblée par voie orale.

→ L’équipe mobile d’oncogériatrie rencontre alors Mme B. lors de son évaluation préthérapeutique à l’hôpital de jour d’oncologie digestive. En premier lieu, une analyse complète est effectuée pour déterminer la compatibilité de son statut gérontologique avec le traitement proposé. Un plan d’actions gériatriques est mené afin d’accompagner la réalisation du projet thérapeutique.

LE PLAN D’ACTION

Une des fonctions de l’équipe mobile d’oncogériatrie (lire encadré), composée d’un binôme médecin-infirmier, est d’évaluer, avant la décision thérapeutique, le patient âgé (plus de 70 ans) porteur d’une pathologie cancéreuse. Pratiquée de manière pluridisciplinaire et en collaboration avec le service demandeur – ici, l’hôpital de jour d’oncologie digestive –, cette évaluation revêt de multiples objectifs : envisager le traitement le plus adapté possible, favoriser la qualité de vie et le confort, établir un plan de soins personnalisé avec des actions individualisées et la prise en charge des facteurs de risque, prendre en compte les aidants et le milieu social et, enfin, prévenir la perte d’autonomie. Cette évaluation s’adresse à tout patient âgé à risque ou dont le score au questionnaire G8(1) est inférieur ou égal à 14/17. Elle doit être la plus complète possible afin d’explorer l’ensemble des domaines à risque de fragilité chez la personne âgée. Ceux-ci concernent principalement les comorbidités, les traitements, l’autonomie, la cognition, la thymie, la nutrition, la mobilité et la biologie. Nous effectuons pour cela un entretien avec le patient et ses proches afin de recueillir un maximum de données. Nous observons ensuite l’état clinique du patient, consultons son dossier et nous nous entretenons avec l’équipe du service référent. Le but : réaliser une évaluation avec des échelles de référence (ADL(2), MNA(3)…) et une observation synthétique. Sur le plan infirmier, nous repérons en particulier les besoins perturbés, le niveau de compréhension du patient, l’état thymique, le mode de vie, les aides au domicile et le vécu des proches.

Sous les 14/17 au questionnaire G8

Revenons au cas de Mme B. : elle a un score de 12,5 au questionnaire G8. Au cours de l’entretien d’évaluation à l’hôpital de jour d’oncologie digestive, elle nous apparaît autonome avec un ADL à 6/6 et un IADL à 8/8. Elle ne semble pas présenter de troubles de l’humeur et a bien compris l’ensemble des informations données. Mme B. vit avec son époux à son domicile, bénéficie d’un réseau social riche, elle est très proche de son fils et de sa belle-fille. La patiente présente un risque de dénutrition (MNA : 18/30) avec une perte de poids récente (trois kilos en trois mois). Elle se déplace à l’aide d’une canne. Très active jusque-là, Mme B. a diminué depuis quelques semaines la durée de ses sorties du fait de sa fatigue. Sur le plan médical, elle présente deux comorbidités prévalentes : une hypertension artérielle et un diabète insulino-requérant, tous les deux traités et équilibrés à ce jour. Son traitement comprend deux anti-hypertenseurs, une insuline lente et un hypocholestérolémiant. Mme B. a fait un AVC en 1995, sans séquelles cliniques. Elle a également eu un infarctus du myocarde avec pose de stent en 2001, pour lequel elle prend un antiagrégant plaquettaire. Elle prend un anti-nauséeux et un protecteur gastrique depuis sa gastrectomie des 2/3. Ses résultats biologiques et ses chiffres glycémiques sont normaux.

Diagnostic infirmier de « fatigue » et avis sur le projet thérapeutique

Au vu de notre évaluation, nous posons un ou deux diagnostics infirmiers majeurs. Nous allons proposer des actions auprès du patient, de ses proches et de l’équipe référente.

→ Dans le cas de Mme B., nous retiendrons essentiellement le diagnostic infirmier de « fatigue ». Nous encourageons la patiente à se ménager des temps de repos, sans toutefois passer trop de temps allongée en journée. Nous lui suggérons de prendre des repères horaires pour alterner ces différents moments. Nous lui recommandons la poursuite de ses promenades en les raccourcissant si besoin, tout en maintenant leur fréquence. Mme B est d’accord avec ces propositions qu’elle essaiera d’adapter dans son quotidien.

→ L’ensemble de l’équipe mobile d’oncogériatrie effectue ensemble une synthèse au cours de laquelle nous croisons nos points de vue et les résultats de notre évaluation. Nous donnons ensemble notre avis sur le projet thérapeutique de la patiente.

Nous considérons Mme B. comme fragile du fait de son risque de dénutrition, sa fatigue, ses comorbidités peu nombreuses mais aux impacts majeurs, et ses traitements essentiels. Les intervenants médicaux de l’équipe mobile n’émettent pas de contre-indication quant à la proposition de thérapie ciblée per os, sous réserve d’une adaptation des doses et d’une surveillance rapprochée.

→ Nous proposerons des actions de support pour accompagner au mieux le projet. Nous donnons des conseils d’enrichissement de l’alimentation à la patiente et à ses proches, et recommandons un suivi diététique lors des prochaines consultations. L’intervention d’un kinésithérapeute est proposée pour le renforcement musculaire et le travail de l’équilibre. La mise en place d’une aide ménagère de quelques heures par semaine est aussi conseillée afin de soulager M et Mme B. Le médecin de l’équipe mobile propose à l’oncologue référent un suivi oncogériatrique en consultation, complété, avec l’accord de la patiente, par un suivi téléphonique infirmier.

Repérage précoce

→ Ce suivi téléphonique est en lien direct avec les objectifs de la prise en soin oncogériatrique, et se place en complément du travail mené par les équipes lors des hospitalisations et consultations. Il est basé sur une fréquence spécifique à chaque patient et chaque projet. Ces appels doivent pouvoir repérer les signes d’alertes gériatriques : diminution de l’autonomie, fatigue des aidants, isolement, trouble thymique, perte d’appétit, perte de poids… En repérant précocement les situations problématiques, nous essayons de limiter la dépendance et les hospitalisations itératives néfastes pour une personne âgée.

→ Après discussion avec l’équipe d’oncologie et notre médecin oncogériatre, nous proposons à Mme B. un suivi téléphonique hebdomadaire et espacerons, par la suite, nos appels toutes les deux semaines. Il s’agit d’effectuer un travail d’écoute et de soutien pour le patient et les aidants et de repérer un besoin perturbé ou l’aggravation d’un symptôme (des troubles digestifs, par exemple). L’objectif est ici d’accompagner la prise de la thérapie ciblée et l’apparition des effets secondaires, ainsi que de donner des conseils d’hygiène de vie et de nutrition. De ce fait, nous pouvons intervenir le plus tôt possible auprès de ses médecins référents, selon la situation.

→ Cette approche globale et pluridisciplinaire permet l’adaptation du projet oncologique aux spécificités de la personne âgée. Celle-ci, à risque de fragilité, peut alors bénéficier de projets thérapeutiques adaptés et encadrés.

1- Le questionnaire G8 est un outil de dépistage gériatrique qui permet aux oncologues d’identifier, parmi les patients âgés atteints de cancer, ceux qui devraient bénéficier d’une évaluation gériatrique approfondie (voir p. 30)

2- Échelle d’autonomie de Katz pour les activités de base de la vie quotidienne ADL (Activities of Daily Living)

3- Le MNA, www.mnaelderly.com

FORMATION INFIRMIÈRE

Une double compétence

Au sein de l’équipe mobile d’oncogériatrie du CHU de Toulouse, les infirmières peuvent suivre leurs patients tout au long de la réalisation de leur projet de soin, réévaluer leur statut, les actions en cours ou à prévoir, et coordonner leur parcours de soin gériatrique, le tout en lien avec les équipes référentes et en collaboration avec les médecins de l’équipe. Elles ont dû, pour ces missions, développer une double compétence. D’une part, elles ont acquis des connaissances en oncologie : pathologies cancéreuses et hématologiques, protocoles thérapeutiques et leur réalisation, effets secondaires des traitements spécifiques, soins de support, objectifs de la prise en charge… D’autre part, elles ont approfondi la gériatrie : vieillissement physiologique et ses effets, vieillissement pathologique, fragilité et dépendance, modes et lieux de vie des personnes âgées, pathologies prévalentes, etc. Le Diplôme universitaire d’oncogériatrie de Toulouse(4), ouvert aux infirmiers, leur a ainsi permis de compléter et de consolider leurs connaissances dans ces disciplines, de créer un réseau de professionnels en oncogériatrie lors des sessions de formation et des journées de stage, et de mener un travail de recherche sur leurs pratiques par le biais d’un mémoire final.

4- Plus d’infos sur ce D.U. sur www.sofog.org (suivre petitlien.fr/7w80)