ONCOLOGIE
SUR LE TERRAIN
VILLE/HÔPITAL
Dans la région Midi-Pyrénées, les professionnels de santé et le réseau de cancérologie Oncomip élaborent des outils d’harmonisation des pratiques professionnelles en oncologie, à l’usage des soignants hospitaliers et de ville.
Comme dans toutes les spécialités, les pratiques de soin en cancérologie doivent garantir le même niveau de qualité, quels que soient le circuit de prise en charge du patient et le stade de sa maladie. La Haute Autorité de santé (HAS) et les sociétés savantes se sont prononcées sur les bonnes pratiques en oncologie, mais pas de façon exhaustive. « Et les recommandations qui en émanent concernent plutôt le côté médical, très peu le côté soignant, précise Frédéric Despiau, cadre de santé en oncologie médicale, à l’institut Claudius-Regaud, de l’IUCT(1) Oncopole. L’aspect pratico-pratique des prises en charge est peu décrit. »
À Claudius-Regaud, un thésaurus des bonnes pratiques en oncologie a été mis en place pour pallier ce manque. Cet outil de référence de plus de 600 pages, organisé par grand appareil (appareil digestif, sénologie, etc.), contient tous les protocoles de chimiothérapie des cancers solides et tous les renseignements utiles pour le bon déroulé du traitement. Véritable “bible” de l’oncologie, le thésaurus fait foi depuis 2011. Nicolas Lacourt est le « plus ancien » infirmier en hôpital de jour. Il ne pourrait plus se passer de cet outil. « Lorsque nous prenons en charge un patient, nous recevons le jour même son protocole de chimiothérapie, qui nous renseigne sur la nature du traitement et son dosage », explique-t-il. Mais les informations du thésaurus vont bien au-delà. « Il indique dans quel ordre passer les produits et durant combien de temps. Les prémédications à prévoir sont aussi précisées. Il aide les professionnels à comprendre le déroulé de la chimiothérapie et à harmoniser leurs pratiques. » Le thésaurus référence également les effets indésirables, ce qui permet aux IDE de savoir ce qu’il faut surveiller chez les patients. « Si, par exemple, je veux connaître les effets du protocole FEC(2), prépondérant dans le cancer du sein, tout est consultable rapidement. Je peux retrouver les effets secondaires des trois produits et de leur combinaison. »
Avant la création du thésaurus, les pratiques professionnelles différaient d’un service à l’autre. « Chaque service avait ses habitudes, sa culture de soin. Comme il n’y avait pas de document de base, tout dépendait de la bonne volonté des gens et de la formation par les pairs », note Frédéric Despiau. Nicolas Lacourt constate, lui aussi, qu’un certain “empirisme” est possible. « Même s’il y a un protocole, certains médecins interviennent dans les services pour dire qu’il vaut mieux faire de telle ou telle façon. » Décision a été prise de rédiger un document auquel chaque soignant pourrait se référer. « Les différences de pratiques constituent un danger : celui d’une perte d’informations », alerte Frédéric Despiau.
Le thésaurus est un outil précieux pour les nouveaux dans le service. « Comme il y a beaucoup de turn-over, il garantit la formation des personnes qui commencent à travailler avec nous », ajoute le cadre de santé. Les soignants de l’institut ont su s’approprier l’outil et l’intégrer à leur quotidien. « En pratique, c’est un PDF, disponible sur notre système d’information et dans le système de gestion des documents qualité. Mais les soignants l’ont également imprimé pour une meilleure accessibilité », décrit-il.
Le thésaurus n’est pas figé : il évolue avec les pratiques et recommandations en oncologie. « Depuis la première version, il y a eu de nouvelles molécules et de nouveaux protocoles », explique Frédéric Despiau. Le travail de mise à jour implique les soignants qui l’utilisent au quotidien. Nicolas Lacourt a participé à l’élaboration d’une des nouvelles “moutures”. « Le travail se fait en petites équipes. L’année où j’ai été impliqué, nous étions trois infirmiers de mon service. Nous nous sommes mis en rapport avec les IDE d’autres services, et chacun s’est occupé de sa spécialité. Nous avons essayé de repérer les incohérences et ce qui nous semblait obsolète. » Les infirmiers, constamment au contact des malades et premiers utilisateurs du thésaurus, ont un “feed-back” très important à apporter. « Avec l’expérience, nous savons que certaines choses marchent mieux que d’autres. C’est important de les évoquer. » Les modus operandi sont néanmoins toujours soumis pour validation aux médecins et pharmaciens.
Au niveau régional, le réseau en cancérologie Oncomip(3) veille aussi à l’harmonisation des pratiques en ville. Il met à disposition des professionnels de santé des outils clé-en-main sous forme de fiches. Certaines, destinées aux patients, sont nées sous l’impulsion de Josiane Ménard, infirmière à l’institut Claudius-Rigaud depuis plus de trente ans. « Nous avons pensé que nous devions concevoir des fiches auxquelles toutes les infirmières, quelles qu’elles soient et où qu’elles exercent, pourraient se référer pour avoir des attitudes et des conseils identiques pour les patients. »
En 2008, Josiane Ménard a constitué un groupe de réflexion, avec des infirmières de tous horizons. « Nous l’avons fait sur notre temps libre. Nous nous sommes retrouvées pour discuter avec des collègues du privé et du public. Les filles venaient de leur propre gré. Nous voulions voir comment chacune travaillait, quelles informations elle donnait spécifiquement, et déterminer ce que nous pouvions apporter à nos patients », se souvient-elle. Le groupe s’est intéressé, notamment, au domaine socio-esthétique, peu évoqué avec les médecins. « Nous avons travaillé sur les conseils à donner aux patientes atteintes de cancer du sein, face à la toxicité chimio-induite sur les ongles. Elles étaient nombreuses à se demander quel vernis à ongles elles pouvaient utiliser et comment. Ce sont des questions importantes pour les patientes, sur lesquelles ne s’appesantissent pas les médecins. » Au-delà du fond, les infirmières se sont attachées à uniformiser la forme de la réponse à apporter. « Nous nous sommes focalisées sur un langage commun et adapté. Ni trop médical ni trop alambiqué, pour que nos mots aient un écho dans la vie des patients. » Les fiches, consultables sur le site d’Oncomip, ont reçu un accueil enthousiaste. « Sur le plan régional, cela a été un succès : notre initiative a été très bien perçue et les fiches ont été téléchargées des centaines de fois. »
Après ce projet, des médecins ont initié la création de fiches à l’attention des professionnels de santé pour, cette fois, harmoniser les conduites en cas d’évènements indésirables entre les cures. Elles sont aussi accessibles sur le site d’Oncomip. « Quand un patient est face à un symptôme, il sollicite son généraliste ou son infirmière pour savoir ce qu’il doit faire. Mais les professionnels de ville ne peuvent pas connaître les effets indésirables de tous les médicaments et ne sont pas forcément spécialistes », constate le Dr Éric Bauvin, médecin de santé publique et directeur du réseau Onco-Occitanie. Les fiches permettent aux professionnels de mieux réagir en se référant à un outil commun. « Sur le site Oncomip, ils peuvent, par exemple, trouver une fiche qui leur indique quoi faire devant des effets cutanéo-muqueux, qui sont des effets indésirables importants avec les nouvelles molécules anticancéreuses. » Rédigées à partir des recommandations nationales ou internationales et validées par l’ensemble des professionnels compétents, ces fiches se veulent utiles, synthétiques et faciles à s’approprier. « Même quand des recommandations existent déjà, il y a souvent un intérêt à les décliner localement car, au niveau national, elles sont souvent lourdes et très longues », souligne le directeur d’Onco-Occitanie. « Ce sont seulement quelques régions, et parfois même seulement quelques territoires qui, comme nous, se sont emparé des recommandations pour en faire des outils pratiques et opérationnels. » L’intérêt des fiches à l’attention des professionnels a fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’une thèse de médecine générale. « Ce travail a montré qu’elles répondaient à un véritable besoin et que, quand elles étaient utilisées, elles étaient jugées utiles : nous sommes sur des taux de satisfaction de 85 %. Cependant, elles restent sous-utilisées. Elles doivent être diffusées un maximum, pour que nous puissions mesurer l’impact sur les pratiques », admet Éric Bauvin.
1 - L’Institut universitaire du cancer de Toulouse.
2 - Traitement standard du cancer du sein. Il associe trois médicaments : le 5-fluorouracile, l’épirubicine et le cyclophosphamide.
3 - Il vient de fusionner avec le réseau Languedoc- Roussillon pour devenir le réseau Onco-Occitanie.