L'infirmière Magazine_Hors série n° 396 du 01/09/2018

 

SOINS INFIRMIERS

SUR LE TERRAIN

REGARDS CROISÉS

Véronique Hunsinger  

L’harmonisation des pratiques est un objectif de longue date.?Il n’y a pas de définition toute faite de cette notion, qui interroge les grandes thématiques rencontrées par la profession. Elle incite IDE et étudiantes à développer une posture réflexive.

Sylvie Palmier

« Il faut que l’harmonisation des façons de faire soit discutée en équipe et partagée »

Depuis quand parle-t-on de cette notion d’harmonisation des pratiques ?

Cette notion, d’autant que je m’en souvienne, a toujours été annoncée comme un objectif de nos formations initiales et continues. Pour autant, c’est un sujet très vaste : harmoniser les pratiques ne doit pas vouloir dire que tout le monde est obligé de procéder exactement de la même façon pour tous les soins. Cela sous-entend qu’on doit d’abord identifier des pratiques qui nécessitent d’être harmonisées pour une meilleure qualité de soins.

Doit-on tenter de tout harmoniser ?

Non, pas nécessairement, car la dimension du soin est trop vaste. En revanche, il faut tendre vers l’harmonisation à chaque fois que c’est possible dans le but d’améliorer la qualité du soin attendue pour le patient. L’harmonisation est en lien avec des savoirs. Dans le domaine des plaies, il existe des recommandations, outre les escarres, sur les ulcères ou encore sur la prise en charge du pied diabétique. En revanche, il n’y a pas de recommandations, par exemple, sur les plaies traumatiques. C’est peut-être plus facile de produire des recommandations sur les escarres car c’est un soin qui reste largement du domaine infirmier et qui intéresse peu les disciplines médicales.

Comment les infirmières appréhendent-elles ces recommandations ?

Cela dépend de quoi on parle. Quand il s’agit de pratiques de base, qu’il faut apprendre et appliquer, cela ne doit pas interroger les infirmières. Après, la question qui se pose est de savoir comment on doit harmoniser les façons de faire. À partir d’une pratique écrite, comment l’adapter dans son quotidien ? Les check-lists sont utiles car elles permettent de ne rien oublier et d’assurer une bonne sécurité des soins. Pour schématiser, on pourrait dire que saluer le patient à chaque début d’entretien est un objectif d’harmonisation des pratiques. Mais la façon de dire « bonjour », de serrer ou non la main ou de se présenter, va dépendre du contexte de soin et du ressenti du vécu du patient par l’infirmière.

Dans quelles pratiques les recommandations sont-elles peu suivies ?

Il y une pratique qui m’interpelle particulièrement, alors qu’elle fait l’objet d’une conférence de consensus depuis 2001. Il s’agit de la prise en charge de l’escarre. La recommandation indique que, pour décrire le lit de la plaie, il faut parler en évaluation colorielle, c’est-à-dire décrire la part qu’occupent les zones nécrotiques, fibrineuses ou bourgeonnantes. C’est enseigné ainsi dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), dans les diplômes universitaires (DU) et en formation continue, et pourtant, on ne retrouve que très peu cette façon de faire dans les transmissions. Interrogées sur ce constat, les équipes disent qu’elles n’y pensent pas, que c’est une description subjective ou encore, que les autres ne le font pas non plus. Il y a parfois des pratiques modèles minimales qui ne sont pas reproduites par l’ensemble d’une équipe. D’où la difficulté à faire changer les choses.

Quelles sont les conditions d’une harmonisation des pratiques ?

Il faut tout d’abord que les recommandations et les référentiels soient diffusés et accessibles dans les services. Ensuite, il faut que l’harmonisation des façons de faire soit discutée en équipe et partagée. Le problème est qu’avec l’alourdissement constant de la charge de travail à l’hôpital, il y a de moins en moins de temps pour les transmissions et les formations et donc, pour les temps d’échanges.

Anita Durupt

« L’important est de pouvoir argumenter sur les raisons qui ont fait agir de telle ou telle façon »

Que recouvre l’harmonisation des pratiques, selon vous ?

C’est important que l’harmonisation ne soit pas une uniformisation des pratiques. Il existe un certain nombre de recommandations dans la pratique infirmière, dont la plupart sont issues de la Haute Autorité de santé (HAS). Puis, au niveau des établissements, il y a des procédures institutionnelles qui sont généralisées et validées par la commission médicale d’établissement (CME), en tenant compte des recommandations. Tout cela est très réglementé. Mais à partir du moment où vous allez avoir une procédure, un protocole ou simplement une prescription, une fois au lit du malade, il peut y avoir différentes manières de les appliquer et c’est là qu’intervient l’analyse des pratiques professionnelles (APP).

Quel est le but de cette démarche ?

Cette méthode doit devenir un habitus réflexif dans le but d’améliorer la qualité des soins dans les services. Pour ma part, l’APP a toujours fait partie de mon quotidien, en partie parce que j’ai débuté ma carrière à l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne), qui est une institution qui favorisait cet état d’esprit. C’était alors une démarche novatrice. C’est peut-être aussi un propre de la cancérologie, car les séjours y sont relativement longs. De manière générale, quand on fait un soin, il faut s’interroger tout de suite après sur la façon dont se sont déroulées les choses et comment on peut les améliorer. Par exemple, quand les infirmières font le tour des chambres, en respectant l’ordre des numéros, pour distribuer les médicaments, elles peuvent se demander s’il ne vaudrait pas mieux commencer par tel patient, parce qu’il est diabétique par exemple.

L’analyse des pratiques tend-elle vers leur harmonisation ?

Normalement oui, mais c’est un sujet compliqué. Si on considère que l’APP engendre une amélioration de la qualité des soins, cela va normalement de pair avec une harmonisation des pratiques par le haut. Je crois que l’harmonisation des pratiques signifie que tout le monde va respecter de la même façon les grands invariants déclinés dans les recommandations et les référentiels, mais cela ne veut pas dire, encore une fois, que chacun doit faire exactement de la même manière. L’important est de pouvoir argumenter sur les raisons qui ont fait agir de telle ou telle façon et de montrer qu’ainsi, on a bien respecté les critères de qualité de soins.

Les étudiants sont-ils aujourd’hui formés à l’APP ?

Oui, parce que nous avons voulu développer cette posture réflexive, l’outil de l’APP s’est imposé. Pour autant, il peut être décliné de diverses manières mais il est prévu, depuis le référentiel de formation dans les Ifsi qui date de 2009, que l’étudiant rédige une analyse des pratiques à l’issue de ses stages. Dans notre Ifsi, nous avons décliné le projet de manière à ce qu’il prenne en compte la progression. La première année, nous demandons aux étudiants de décrire ce qu’ils ont vu et nous leur apprenons à avoir un questionnement professionnel. À partir de la 2e année, on passe à un niveau d’analyse en lien avec les concepts mobilisés pendant le stage. Nous faisons également des APP en groupe à chaque retour de stage, avec une douzaine d’étudiants et un formateur qui est là pour les guider. Cela permet d’analyser les choses de manière plus approfondie. Le fait de comparer les expériences permet aussi de se sentir moins isolé et d’apprendre à limiter son stress professionnel.

L’APP n’est-elle cependant pas un révélateur de l’hétérogénéité des pratiques ?

On ne peut pas le dire comme cela. L’APP sert d’abord à développer des compétences et l’identité professionnelle de chaque soignant.

Sylvie PALMIER

Consultante IDE spécialisée et responsable formation « plaies et cicatrisation »

→ 1997 : IDE au CHRU de Montpellier

→ 2013 : master 2 de sciences de l’éducation-responsable de formation à l’université d’Aix-Marseille

Anita DURUPT

Cadre de santé formatrice à l’Ifsi de Villeneuve Saint-Georges (Val-de-Marne)

→ 1986-1997 : IDE au service de chimiothérapie de l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (94)

→ 1997-2009 : IDE en neurologie à l’ADAPT Centre du Château, Soisy-sur-Seine (91)

→ 2009 : formation cadre de santé à l’École supérieure Montsouris (94)

→ 2013 : master de sciences de l’éducation