L'infirmière Magazine_Hors série n° 396 du 01/09/2018

 

PLAIES ET CICATRISATION

SUR LE TERRAIN

COORDINATION

Héloise Rambert  

Le soin des plaies et la cicatrisation ont longtemps échappé aux protocoles. Aujourd’hui, l’harmonisation des pratiques se base sur des outils cliniques et pédagogiques, et implique des experts présents physiquement ou via des plates-formes numériques.

Les pratiques ne sont toujours pas vraiment organisées. Il arrive que chacun continue à faire sa propre cuisine », confie Sylvie Palmier, infirmière consultante plaies et cicatrisation au CHU de Montpellier(1). Les soins des plaies sont un enjeu de santé publique. Une plaie qui dégénère, c’est souvent une qualité de vie qui se dégrade. Ce sont par ailleurs des soins coûteux, et souvent mal adaptés par manque de connaissances. Choisir le bon dispositif médical nécessite une bonne analyse de la plaie et de l’état général du patient.

Malgré ces enjeux, la réflexion autour de la protocolisation de la prise en charge des plaies est un domaine relativement nouveau. Les premiers congrès consacrés à ce thème ont une vingtaine d’années. Les conférences de consensus et procédures qualité dédiées aux plaies et à la cicatrisation sont, elles, apparues au début des années 2000. Au fur et à mesure, des protocoles de soin ont été élaborés pour tous les types de plaies (ulcères, escarres, stomies, etc.) par les infirmières et les médecins, à partir des données de la science et de leur expérience. Des diplômes universitaires plaies et cicatrisation ont également fait leur apparition dans les facultés de médecine.

Une hétérogénéité des pratiques qui résiste

« Aujourd’hui, on enseigne les bonnes pratiques éditées par la Haute Autorité de santé (HAS) et les sociétés savantes dans les écoles d’infirmières et les écoles d’aides-soignantes. Elles font ensuite l’objet de formations continues », explique Sylvie Palmier. De quoi assurer “sur le papier” une harmonisation des bonnes pratiques. Et pourtant, sur le terrain, quelque chose a tendance à “coincer”. « Quand nous demandons aux infirmières ce qui fonctionne, ou non, dans les soins de plaies, nous nous apercevons qu’une hétérogénéité des pratiques demeure. Les infirmières ont trop été habituées, par le passé, à se débrouiller seules », poursuit-elle.

Sylvie Palmier est une des deux infirmières détachées par la direction des soins du CHU de Montpellier pour œuvrer à l’harmonisation des pratiques sur les plaies, tous services confondus. Tout comme son homologue, elle se rend souvent compte, quand elle est appelée auprès de ses collègues, que les procédures de base ne sont pas respectées. « Il est classique, par exemple, que les professionnelles fassent trop confiance au matériel dans la prévention ou le traitement des escarres, et oublient de changer les patients de position toutes les deux heures, sur un matelas à air. Ou alors, qu’elles ne sondent pas la plaie. Ou encore, qu’elles ne fassent pas attention à l’état de nutrition qui sous-tend la plaie, qui est pourtant crucial pour la cicatrisation. »

Multiplier les supports

Si les protocoles de soins, écrits noir sur blanc et facilement accessibles par les soignants, sont nécessaires, ils ne sont absolument pas suffisants. « En pratique, dans l’harmonisation, il ne suffit pas de rédiger des procédures qualité, il faut multiplier les supports, martèle Sylvie Palmier. Ces procédures, sur le terrain, doivent être enseignées. Et il faut les faire vivre, pour que les professionnels de santé se les approprient. »

Au CHU de Montpellier, ce multi-support est encouragé par la direction des soins. Des outils pratiques et faciles d’utilisation sont mis à disposition des infirmières. Elles peuvent, par exemple, se référer à des palettes de poche très maniables (voir ci-dessus). « Nous disposons de palettes de choix de pansements avec, à la fois, du texte et des images. En fonction d’une évaluation colorimétrique de la plaie et de son aspect, les infirmières sont guidées par un arbre décisionnel qui les oriente vers tel ou tel protocole de soins, validé scientifiquement. De la même manière, nous avons conçu des palettes de choix de support contre les escarres, ou encore des choix de bandes de contention dans les ulcères », détaille l’infirmière. Ces outils sont remis aux infirmières sur le terrain, mais aussi aux étudiants et durant les formations continues.

Les bonnes pratiques au CHU font aussi l’objet d’évaluations des pratiques professionnelles (EPP), qui sont en fait des auto-évaluations des équipes de leurs pratiques par rapport aux référentiels, selon une méthodologie stricte définie par la HAS. Et les moyens déployés pour “tirer les équipes vers le haut” ne s’arrêtent pas là. « Nous avons également recours à des analyses de pratiques professionnelles, ajoute Sylvie Palmier. À intervalles réguliers, nous nous réunissons avec une quinzaine d’infirmières et, sur la base du volontariat, nous leur offrons la possibilité d’évoquer avec nous un cas clinique qui leur a posé problème. S’en suit alors une co-analyse bienveillante de leur expérience. »

Pour l’infirmière, pas de mystère : seul le déploiement simultané de tous ces outils cliniques, pratiques et pédagogiques, peut favoriser l’harmonisation du soin des plaies à l’hôpital. « Il faut attaquer la problématique sous tous les angles : faire des procédures qualité, des posters, des formations initiales et continues, accompagner sur le terrain et inciter les professionnels à réfléchir sur leurs pratiques. Sans cette association, c’est impossible d’y arriver. » Et attention à ne pas croire que les objectifs sont définitivement atteints : le travail n’est jamais fini et fait l’objet d’un éternel recommencement. « J’ai été détachée par la direction des soins sur cette thématique au début des années 2000, au départ pour trois ou quatre ans, se souvient Sylvie Palmier. À chaque fois, j’ai été réattribuée à cette mission. »

La télé-expertise au service des plaies

L’harmonisation des soins des plaies en dehors des murs de l’hôpital est aussi un enjeu de taille. Plusieurs régions ont mis en place des projets pour y parvenir. C’est le cas du projet Geco plaies(2), dont une version expérimentale sera lancée en juin sur l’île de La Réunion. Gaëlle Ollivier Gouagna, experte en santé publique (consultante à Santé publique sud), en est à l’origine, avec des médecins et infirmiers de l’île. « À la base, il y a eu un constat alarmant. Il y a, à La Réunion, 250 amputations liées au pied diabétique chaque année. Les bases de données de la Caisse nationale d’assurance maladie mettent aussi en évidence une errance thérapeutique pendant les trois mois qui précèdent l’opération. La prise en charge de la plaie au niveau ambulatoire est mauvaise, notamment parce que chacun a son propre protocole et sa façon de soigner. » De plus, la prévalence du diabète est deux fois plus élevée qu’en métropole et tend à augmenter.

De ce constat est née l’urgence de penser un outil pour refaire le parcours de la plaie pour une prise en charge en ambulatoire protocolisée et harmonisée. Tout était à faire. « J’ai été frappée de voir que les infirmières libérales travaillaient sans protocole, contrairement à l’hôpital. Épidémiologiste de formation, j’ai fait une petite étude auprès d’elles, qui a montré que, souvent, confrontées à des plaies problématiques qui dégénèrent, elles se sentent un peu désemparées. Elles ne savent pas quoi faire ni à qui s’adresser, rapporte Gaëlle Ollivier Gouagna. En pratique, les infirmières ont tendance à appeler des collègues, pas forcément experts, pour leur demander un conseil, ou un laboratoire, qui a tout intérêt à leur vendre des produits. » Pour uniformiser les pratiques, Geco plaies, plate-forme numérique d’expertise pour les professionnels de ville, a été pensée. Elle s’appuie sur des protocoles rédigés pour chaque type de plaie et validés par un conseil scientifique. Et elle repose sur le parcours de soins traditionnel, tout en ayant recours à des experts de la plaie. « Si l’infirmière qui prend en charge le patient est dépassée et a besoin d’aide, elle peut entrer dans l’application numérique tous les éléments cliniques du patient et les envoyer au médecin traitant, explique Gaëlle Ollivier Gouagna. Et si lui non plus n’est pas sûr du soin à adopter, il peut faire passer la demande d’expertise à une infirmière experte de Geco plaies, qui appartient à notre conseil scientifique et qui est d’astreinte ce jour-là. »

En un clic, tout le dossier du patient (photo, description de la plaie, historique, état général, etc.) part sur une plate-forme numérique sécurisée et est analysé par l’infirmière experte. Elle fait alors une recommandation de protocole, basée sur les données de la science. Cette recommandation est ensuite validée, ou non, par un médecin expert de Geco Plaies. « Cet expert peut tout à fait orienter vers un troisième recours, par exemple parce qu’il considère qu’un écho-Doppler ou une consultation en externe à l’hôpital se justifie. » Quoi qu’il en soit, en moins de douze heures, une réponse validée scientifiquement est donnée sur le terrain. « La conduite du changement est très difficile pour tout le monde. Mais, avec Geco plaies, nous espérons diminuer de 50 % les amputations sur l’île de La Réunion », annonce Gaëlle Ollivier Gouagna.

1 - Auteure de Plaies et cicatrisation : guide pratique pour les IDE. De l’évaluation au raisonnement clinique infirmier, éditions Lamarre, 2016.

2 - Voir la présentation sur : bit.ly/2th9j3Y