L'infirmière Magazine_Hors série n° 396 du 01/09/2018

 

BONNES PRATIQUES

EN PRATIQUE

LES OUTILS

Pascale Thibault  

Les recommandations de bonnes pratiques sont la garantie, pour le patient, de bénéficier d’une prise en charge de qualité, en adéquation avec les connaissances actualisées de la science.

Les recommandations de bonnes pratiques sont le socle sur lequel les professionnels vont s’appuyer pour harmoniser les prises en charge. Mais ce n’est pas suffisant. Cette démarche implique un travail et une réflexion d’équipe, ainsi qu’une capacité d’analyse des situations particulières, objet de discussions. La Haute Autorité de santé (HAS) définit les « recommandations de bonnes pratiques » (RBP) comme « des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données »(1). Elles constituent une synthèse rigoureuse de l’état de l’art et des données de la science. Les objectifs sont multiples : aide à la prise de décision dans le choix des soins, harmonisation des pratiques, réduction des traitements, actes inutiles ou à risque, et des ruptures dans les parcours de santé.

Pourquoi des recommandations ?

Les recommandations professionnelles dans le champ de la médecine, et plus largement de la santé et des soins, ont été élaborées dans la seconde partie du XXe siècle. À cette période, et compte tenu du foisonnement de publications de travaux de recherche médicale, il devenait impossible pour chaque clinicien de se tenir informé et de décider de la pertinence d’un résultat d’un travail de recherche. Pour aider les praticiens, particulièrement les médecins, est alors née l’Evidence Based Medicine, la médecine basée sur les preuves. Il s’agissait de colliger l’ensemble des travaux de recherche publiés à l’échelle internationale sur une question de santé et de déterminer quelle était la conduite prioritaire à suivre au regard de l’avancée des recherches, découvertes, nouvelles connaissances, etc.

Progressivement, dans les pays où la formation infirmière suit la voie universitaire, des travaux de recherche en soins infirmiers ont également fait l’objet de recommandations, créant ainsi l’Evidence Based Nursing, les soins infirmiers basés sur les preuves.

L’objectif principal des recommandations est de garantir au patient une qualité de prise en charge médicale, et plus largement soignante, correspondant aux connaissances actualisées et ce, quels que soient le lieu de réalisation des soins et le professionnel qui les assure. Elles constituent la base de l’élaboration des protocoles et permettent dès lors aux soignants d’assurer la la qualité et la continuité des soins.

Comment sont-elles élaborées ?

Actuellement, les recommandations sont de plus en plus fréquemment rédigées par des équipes pluri-professionnelles, regroupant à la fois des experts sur la question et des utilisateurs. Il existe plusieurs méthodes d’élaboration des recommandations.

→ Les recommandations pour la pratique clinique : elles sont rédigées par un groupe de travail au terme d’une analyse des données disponibles. Cette méthode implique deux groupes de travail : un groupe qui rédige et un groupe qui relit et critique. Les recommandations sont élaborées en deux temps. Les groupes sont constitués d’experts et de non-experts du thème traité. Cette méthode convient lorsque les données de la littérature scientifique sont nombreuses et qu’il y a peu de controverses professionnelles sur le sujet traité. En 2013, la recommandation « Prévention de la transmission croisée par voie respiratoire : air ou gouttelettes » par la SF2H(2), a été établie selon cette méthode.

→ Les recommandations par consensus formalisé : elles sont rédigées à partir de l’avis et de l’expérience d’un groupe de professionnels experts du thème, interrogés sur la conduite à tenir dans un ensemble de situations cliniques élémentaires concrètes. En 2013, les recommandations pour la prise en charge des patients à risque et/ou porteurs d’escarres(3) ont résulté de cette méthode utilisée par différentes sociétés savantes en partenariat.

→ La conférence de consensus : les recommandations sont rédigées par un jury multidisciplinaire, composé de scientifiques non experts du sujet traité, réunis pendant quarante-huit heures en huis clos après une réunion publique. Ils répondent à une liste de quatre à six questions pré-élaborées, auxquelles des experts du thème ont prélablement répondu lors de la réunion publique. Cette méthode est adaptée en cas de controverse importante dans la communauté d’experts, nécessitant l’avis d’un jury indépendant. La recommandation « Gestion pré-opératoire du risque infectieux »(4) de la SF2H (2013) a été établie selon cette méthode.

→ L’audition publique : les recommandations rédigées à partir de l’« audition publique » impliquent de réunir une assemblée représentative du thème, après avoir réalisé un premier état des lieux des connaissances et avis sur le sujet. À l’issue de l’audition, une commission rédige un rapport d’orientation contenant des propositions destinées aux décideurs, institutionnels, professionnels, patients et usagers. On peut citer, par exemple, l’audition publique de 2010 : « Suivi post-professionnel après exposition à l’amiante ».

Pour chaque type de recommandation, la méthode choisie est expliquée dans l’introduction du document. Quelle que soit la formule retenue, le travail d’élaboration comprend plusieurs étapes et répond à une méthodologie rigoureuse et précise qui est toujours explicitée.

Quels niveaux de preuve ?

Pour toute recommandation, il est important de connaître le niveau de preuve des résultats retenus. Ce dernier est fonction du type et de la qualité des études disponibles ainsi que de la cohérence ou non de leurs résultats ; il est explicitement spécifié pour chacune des méthodes et interventions considérées selon la classification suivante :

niveau A : il existe une (des) méta-analyse(s) « de bonne qualité » ou plusieurs essais randomisés « de bonne qualité » dont les résultats sont cohérents ;

niveau B : il existe des preuves « de qualité correcte » telles qu’essais randomisés (B1) ou études prospectives ou rétrospectives (B2). Les résultats de ces études sont cohérents dans l’ensemble ;

niveau C : les études disponibles peuvent être l’objet de critiques d’un point de vue méthodologique ou leurs résultats ne sont pas cohérents dans l’ensemble ;

niveau D : il n’existe pas de données ou seulement des séries de cas ;

accord d’experts : il n’existe pas de données issues de la recherche pour la méthode concernée mais l’ensemble des experts compétents dans le domaine concerné est unanime sur la conduite à tenir.

Qui élabore les recommandations ?

Les recommandations de bonnes pratiques sont élaborées aux niveaux mondial, national et régional.

→ Au niveau mondial : on trouve l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont le rôle est d’inciter l’ensemble des nations à suivre les priorités en matière de santé, d’acquérir, diffuser et appliquer les connaissances utiles, issues des travaux de recherche actualisés. Elle encourage chaque état à appliquer les normes et les critères, afin d’harmoniser l’état de santé des individus sur l’ensemble de la planète. L’OMS intervient particulièrement sur des thématiques internationales telles que les pandémies (grippe H1N1), la santé des jeunes enfants (l’allaitement maternel), le traitement des maladies les plus répandues (Sida par exemple).

→ Au niveau national : on trouve la HAS, qui élabore des recommandations pour tous les professionnels de santé, quel que soit le secteur d’activité. Dans le champ social et médico-social, l’Agence nationale pour les établissements sociaux et médico-sociaux (Anesm) a un rôle sensiblement identique. Ces deux instances ont fusionné le 1er avril 2018 afin d’harmoniser les pratiques sur l’ensemble des parcours des patients qui ont recours aux différents types d’établissements.

Viennent ensuite des instances spécialisées telles que l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le Haut Conseil à la santé publique (HCSP).

Les sociétés savantes regroupent des médecins, et parfois des professionnels de santé non médicaux (infirmiers, kinésithérapeutes), voire des professionnels dont l’exercice n’est pas régi par le code de santé publique (comme les psychologues). Elles sont plus de quatre-vingt en France, représentant l’ensemble des types de prise en charge (de la néonatologie à la gériatrie, en passant par des sociétés spécialisées comme l’anesthésie-réanimation ou l’hygiène).

Il existe également des groupes d’experts professionnels, parfois par catégories professionnelles. On peut citer, par exemple, le groupe des infirmiers de soins intensifs, mais également des groupes pluriprofessionnels.

→ Au niveau régional : des instances sont plus particulièrement dédiées à la diffusion et à la réalisation de supports de diffusion destinés aux établissements de soins, mais aussi aux professionnels libéraux. On peut citer :

les centres de prévention des infections associées aux soins (Cpias), dont le but est de mettre à disposition les outils à l’ensemble des professionnels. Par exemple, un kit « Les gants au bon moment » ;

l’Observatoire des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (Omedit), qui est une structure régionale d’appui et de vigilance, d’évaluation, d’information et d’expertise scientifique constituée auprès de l’ARS de chaque région depuis 2005. Les Omedit produisent différents outils pédagogiques et, en particulier, des fiches de bon usage. Par exemple, sur le site de l’Omedit Pays de la Loire, on peut trouver des fiches de recommandations sur les pratiques d’administration des médicaments chez la personne âgée.

les structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients (SRA) sont désignées par les agences régionales de santé (ARS), elles apportent leur expertise et leur aide aux professionnels de santé concernant les démarches d’amélioration de la qualité et la sécurité des prises en charge des patients. Elles peuvent également apporter une aide concernant l’analyse des évènements indésirables graves.

Quelle utilisation ?

Chaque soignant doit pouvoir trouver des recommandations professionnelles rédigées dans son champ d’exercice. Elles doivent être systématiquement recherchées par les étudiants en soins infirmiers au cours de leur apprentissage, particulièrement pour leur travail de fin d’études. C’est ainsi que les recommandations de bonnes pratiques seront intégrées à la pratique professionnelle de façon systématique, favorisant une connaissance commune à tous les soignants, basée sur des preuves scientifiques. Elles doivent aussi être systématiquement recherchées durant l’élaboration de protocoles ou procédures.

Que faire en l’absence de recommandations ?

Aujourd’hui, certaines pratiques, insuffisamment évaluées, ne font pas encore l’objet de recommandations. Il est alors difficile pour les professionnels de savoir quelle est la « bonne pratique ». En l’absence de recommandations, il convient de s’appuyer sur des avis d’experts. Et ensuite d’inciter à la réalisation de travaux d’évaluation… Dans le domaine des soins infirmiers, les chantiers sont multiples.

Comment actualiser ?

Les recommandations sont actualisées en fonction des avancées des travaux scientifiques. Il peut toutefois exister un décalage entre les recommandations officielles, datées, et des avancées constituant des données probantes. Ainsi, par exemple, les recommandations concernant l’évaluation de la douleur chez la personne âgée datent de 2000. Or, des outils mieux adaptés ont été développés depuis cette date, ils ont fait l’objet de travaux de recherche de qualité. Mais, faute de disponibilité des professionnels de santé, médecins et infirmiers, dans le cadre de ces prises en charge, les recommandations n’ont pas encore été modifiées. En ce cas, la formation professionnelle continue permet de diffuser des informations fiables, via des sociétés savantes, en l’occurrence la Société française d’études et de traitement de la douleur (SFETD), avant que les recommandations aient été actualisées.

1 - Méthodes d’élaboration des recommandations de bonne pratique, à lire sur : bit.ly/2EZ1nHN

3 - Société française d’hygiène hospitalière. À lire sur : bit.ly/2l60JAM

4 - À lire sur : bit.ly/2JuZ5Hs

5 - À lire sur : bit.ly/2Jv0HB0

JURIDIQUE

Une obligation de moyen

→ Depuis l’arrêt Mercier de 1936, chaque professionnel de santé se doit de travailler au regard des avancées de la science. Ainsi, la Cour de cassation reconnaît « qu’il se crée entre le patient et le médecin une relation contractuelle, le médecin s’engageant à fournir des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données actuelles de la science ». C’est ce que les professionnels connaissent sous le terme d’obligation de moyens.

→ Concernant les infirmiers, cette obligation a été reprise récemment dans l’article R. 4312-10 du code de déontologie qui leur est propre : « L’infirmier agit en toutes circonstances dans l’intérêt du patient. Ses soins sont consciencieux, attentifs et fondés sur les données acquises de la science. Il y consacre le temps nécessaire en s’aidant, dans toute la mesure du possible, des méthodes scientifiques et professionnelles les mieux adaptées. Il sollicite, s’il y a lieu, les concours appropriés… »

→ En cas de litige, de difficultés, voire de plainte, les experts professionnels vérifient que l’infirmier a assuré ses soins au regard de ces données. Dans le cas contraire, et indépendamment de la prescription médicale, l’infirmier peut être tenu pour responsable de négligence, refus, etc.

TRAÇABILITÉ

Des protocoles en adéquation

Il existe actuellement de plus en plus de recommandations professionnelles, plus nombreuses dans le champ médical que dans celui de l’exercice infirmier, compte tenu de l’insuffisance de travaux de recherche. Afin de connaître les recommandations existantes, il est intéressant de s’orienter en priorité vers le site de la Haute Autorité de santé (HAS), puis sur celui de la ou des sociétés savantes concernant le champ d’exercice concerné. Par ailleurs, lors de la réalisation de protocoles au sein des institutions, les professionnels doivent les rédiger à partir des recommandations existantes, puisqu’elles constituent les références professionnelles actualisées au regard des avancées des travaux de recherche. L’inscription des références des recommandations sur lesquelles s’appuie une équipe soignante permet de garantir la qualité et la sécurité des soins adaptés au contexte des patients accueillis.