HARMONISATION DES PRATIQUES
ENJEUX
ENTRETIEN
Dans cet entretien croisé, Roselyne Vasseur, directrice de soins, et Christian Dupont, infirmier coordinateur, reviennent sur l’harmonisation des pratiques au quotidien, entre actualisation des connaissances, évolutions de la science et résistance des professionnels. Un travail d’équipe qui mise sur la pluridisciplinarité.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment définissez-vous l’harmonisation des pratiques ?
ROSELYNE VASSEUR : C’est avant tout la garantie pour l’usager que les mêmes critères de qualité des soins seront appliqués tout le temps, quels que soient le lieu, le soignant ou le contexte. Ceci n’entrave pas la dimension relationnelle du soin : la standardisation des bonnes pratiques n’empêche pas le soignant de prendre en compte l’individualité du patient.
CHRISTIAN DUPONT : Harmoniser, c’est faire en sorte de transmettre, de faire comprendre et d’aider à l’application, par le plus grand nombre, des pratiques de soins efficaces et sûres qui sont argumentées scientifiquement. Il doit s’agir d’un mode de diffusion, de communication souple et réfléchi, non d’un diktat imposé avec force, car la science et les recommandations évoluent.
L’I. M. : Pouvez-vous donner des exemples ?
R. V. : Dans le cadre du dispositif d’annonce d’un diagnostic de cancer, par exemple, certaines étapes doivent être respectées. L’objectif est de permettre au patient d’intégrer l’information pour pouvoir être acteur de sa prise en charge. Pour autant, ce dispositif comporte une grande latitude pour toujours s’adapter aux besoins spécifiques de chaque patient. Cela vaut d’ailleurs dans toutes les disciplines, qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes ou de personnes âgées, de soins éducatifs, curatifs ou palliatifs.
C. D. : ll y a une recommandation très forte de toujours désinfecter la peau avant de la piquer et logiquement, tout le monde le fait. La question est de savoir comment on désinfecte. C’est là que cela se complique car il n’y a pas le même degré de risque selon les interventions. Prenez l’exemple de la recommandation de la SF2H(1) de 2005 sur le changement systématique du cathéter veineux périphérique toutes les soixante-douze heures puis toutes les quatre-vingt-seize heures. A-t-il été suivi par toutes les IDE françaises ? Non. Malgré le matraquage de cette recommandation par les Clin(2) et les Ifsi(3), certaines IDE ont préféré surveiller régulièrement la survenue d’éventuelles complications. Aujourd’hui, la recommandation du changement toute les quatre-vingt-seize heures est largement remise en cause par les Australiens.
L’I. M. : À quelles difficultés l’harmonisation des pratiques se heurte-t-elle ?
R. V. : Les sciences infirmières n’ont pas de frontière et on dispose aujourd’hui d’un nombre croissant de recommandations émanantde sociétés savantes, sur le plan national et international, dont l’application ne relève pas du réglementaire mais s’y apparente. En cas de survenue d’un événement indésirable grave associé aux soins, la non-application des bonnes pratiques pourra être reprochée au professionnel concerné. Mais la médecine reste un art et il ne s’agit pas d’appliquer des équations toutes faites, comme des robots. Il faut sans cesse évaluer le bénéfice/risque pour le patient et faire en sorte qu’il devienne un usager acteur, en lui permettant de prendre sa place grâce à une information adaptée.
C. D. : Il faut faire passer les messages les plus appropriés et les plus argumentés aux IDE. Surtout, il est indispensable que celui qui émet le message entende également le retour des soignants. Cela demande du temps mais c’est le principe de la pédagogie. Pour certains, il suffira de transmettre une fois la recommandation, pour d’autres, il faudra la répéter et continuer de l’argumenter.
L’I. M. : Quels sont les leviers de l’harmonisation des pratiques ?
C. D. : Le premier principe est que tout le monde travaille sur une même base d’information et qu’il ne faut pas de discontinuité entre formation initiale et continue. Le problème, c’est quand les étudiants apprennent certaines façons de faire auprès des cadres formateurs à l’école et constatent des pratiques différentes sur leur terrain de stage. Le matériel médical est également un très bon support de recommandations. Avoir une aiguille de Huber, par exemple, qui facilite son retrait en “pression positive”, permet une meilleure adhésion à la recommandation.
R. V. : La démarche d’harmonisation des pratiques doit être pluridisciplinaire car on ne travaille pas seul mais en équipe, dans le cadre d’un parcours de soins. On constate que les événements indésirables sont souvent liés à des défauts de communication aux interfaces entre les différents intervenants. Il existe également des recommandations de bonnes pratiques dans le domaine de la communication et de la coordination. La check-list au bloc opératoire est une illustration de la collaboration/communication nécessaire entre les professionnels au service de la sécurité de l’opéré.
L’I. M. : Quel rôle jouent les Ifsi ?
C. D. : Les travaux pratiques sont très importants. Plutôt que de faire des soins sur des mannequins en plastique, il vaut mieux mettre les étudiants en situation, par binôme. On peut, par exemple, mettre une chambre implantable sur une fausse peau sur celui qui joue le patient, tandis que l’autre fait l’IDE et pique. Chacun prend alors conscience des risques encourus et de l’importance du repérage avant ponction.
R. V. : Il faut acculturer les futurs professionneles à l’harmonisation des pratiques dès la formation initiale. Je crois que ceux-ci sont davantage conscients que leurs aînés que le fait de normer certaines pratiques techniques leur permet paradoxalement de gagner en autonomie. Les étudiants doivent aussi apprendre que la médecine et les recommandations de bonnes pratiques évoluent très vite. Ce qui prévaut aujourd’hui sera différent demain : par exemple, la façon de coucher les bébés pour éviter la mort subite du nourrisson ou encore, les recommandations en matière de nutrition. Il faut donc continuer à se former toute la vie, une obligation qui figure d’ailleurs dans le décret infirmier. Et c’est pourquoi il est fondamental de s’entraîner dès la formation initiale à la lecture critique d’articles.
L’I. M. : Quels sont les freins à l’harmonisation dans les services ?
C. D. : La difficulté, c’est la mise à jour des connaissances de chacun. Parfois, les soignants sont en décalage avec la découverte scientifique. Ils se fient à ce qu’ils lisent mais aussi parfois aux personnes qui sont les plus charismatiques dans le service. Il est également important de ne pas se jeter sur la dernière étude parue sur un sujet mais de d’abord mesurer son niveau de force de preuve.
R. V. : Les cadres ont un rôle majeur à jouer pour rappeler les règles de bonnes pratiques et s’assurer que les IDE les connaissent et les appliquent. Désormais, les entretiens individuels d’évaluation sont couplés avec les entretiens de formation. En dehors des services, l’harmonisation des pratiques passe, dans nos institutions, par des comités experts tels que le Clud(4), le Clin, le Clan(5) ou encore, la direction qualité. Cependant, les résistances restent nombreuses, par méconnaissance, individualisme ou habitude.
L’I. M. : Quelles sont les meilleures sources ?
C. D. : Dans le domaine des cathéters par exemple, le vecteur d’information capital est la SF2H. Cependant, leurs recommandations sont par définition focalisées sur la prévention du risque infectieux. C’est très utile mais nécessairement insuffisant. C’est pour cela que nous avons créé, avec des collègues belges, suisses et canadiens, le Groupe interprofessionnel francophone pour les abords vasculaires (Gifav) pour diffuser les bonnes pratiques. Nous organisons un congrès en janvier(6). Nous mettons surtout l’accent sur le geste et la clinique, sans oublier les axes recherche. De même, nous abordons le thème de la thérapie intra-veineuse dans une optique pluriprofessionnelle. À l’image des IDE plaies et cicatrisation qui diffusent les bonnes pratiques et aident à la résolution de cas atypiques, nous soutenons le projet de faire reconnaître des postes d’IDE cliniciennes spécialisées en thérapie intra-veineuse, qui pourraient avoir des fonctions transversales dans les établissements comme au domicile. Des “IDE veinardes”, en somme.
R. V. : Contrairement aux pays anglo-saxons, en France, la recherche en soins infirmiers est encore en devenir. J’espère que l’universitarisation permettra de combler ce retard. Nous avons maintenant des IDE qui sont docteurs, mais il n’y a pas encore de doctorat en sciences infirmières. C’est aujourd’hui une nécessité d’y parvenir pour développer l’harmonisation des pratiques basée sur des données probantes. La mise en place d’enseignants-chercheurs facilitera la mobilité requise entre l’enseignement dans les Ifsi et l’exercice clinique. On peut souhaiter que le développement de la recherche infirmière favorise la pluriprofessionnalité au bénéfice du patient.
1 - Société française d’hygiène hospitalière.
2 - Comité de lutte contre les infections nosocomiales.
3 - Institut de formation en soins infirmiers.
4 - Comité de lutte contre la douleur.
5 - Comité d’alimentation et de nutrition.
6 - Le 10e congrès du Gifav aura lieu à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris, du 31 janvier au 1er février 2019.