L'infirmière Magazine_Hors série n° 385 du 01/09/2017

 

EHPAD

COORDINATION

ÉCLAIRAGES

Françoise Vlaemÿnck  

Infirmière, responsable de la coordination des soins dans un Ehpad de 127 lits en région parisienne, Blandine Delfosse estime que la coordination doit se fonder sur le jugement clinique infirmier et le dialogue permanent avec toutes les parties prenantes.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Que signifie coordonner la prise en charge des résidents en Ephad ?

BLANDINE DELFOSSE : Au quotidien, cela implique d’articuler l’intervention de l’hospitalisation à domicile (HAD), des professionnels de santé libéraux ou encore des réseaux de santé spécialisés autour de la personne en fonction de la complexité de son parcours et de ses besoins de soins du moment. En préalable, cela nécessite d’avoir parfaitement identifié les ressources médicales et médico-sociales du territoire de l’établissement afin de savoir qui fait quoi, quand et comment.

L’I. M. : Toutes les ressources sont-elles disponibles pour assurer cette mission ?

B. D. : Non. À telle enseigne que trouver un médecin traitant est un véritable casse-tête alors que, comme prescripteur, il est au cœur de la coordination. Pour les « séduire », nous avons imaginé de grouper les consultations une fois par mois, mais ce dispositif a ses limites. Quant aux cardiologues et aux dermatologues, deux spécialités importantes en gériatrie, ils ne se déplacent plus du tout. Dès lors, les infirmières coordinatrices doivent organiser des consultations en ville ou à l’hôpital, ce qui n’est pas toujours simple en termes de délais, mais également de déplacement pour nos résidents et leurs proches

L’I. M. : De quelle façon bâtissez-vous la coordination des soins autour du patient ?

B. D. : C’est un travail d’équipe. Chaque jour, les infirmières coordinatrices référentes, les aides-soignantes, le médecin coordonateur et moi-même échangeons lors d’un staff afin de réévaluer et d’ajuster la prise en charge. Nous passons en revue les cas du jour – chute, décompensation cardiaque avec apparition d’un œdème, absence de selles depuis plusieurs jours… par exemple –, puis posons un diagnostic infirmier et décidons des conduites à tenir. Le cas échéant, en accord avec le médecin coordonateur, nous faisons appel à un médecin traitant. En « routine », il s’agit pour les infirmières référentes, en plus des soins infirmiers qu’elles dispensent, d’organiser la prise en charge au sein de l’établissement (médecin, kiné, orthophoniste…) et à l’extérieur (consultation à l’hôpital ou en ville, examens, radiologies, soins dentaires, ophtalmologie…). Coordonner, c’est aussi beaucoup dialoguer ; entre nous évidemment, mais aussi avec les résidents et leur famille afin de prendre, avec eux, la meilleure décision possible. Une démarche qui nécessite de connaître les limites de nos compétences pour, au regard de la situation, passer la main à d’autres professionnels de santé, comme l’équipe de l’HAD(1). Le plus souvent, il s’agit de résidents qui présentent des plaies nécessitant des compétences pointues en la matière ainsi que du matériel spécifique de soins (thérapie par pression négative, pompe à morphine…). Dans ce cas, les décisions sont, là aussi, toujours collégiales et je suis particulièrement attentive à l’avis de l’infirmière référente, qui connaît parfaitement ses patients et ne doit pas avoir le sentiment d’être « dépossédée » des soins.

L’I. M. : Quelle place ont justement les réseaux de santé dans la coordination des soins ?

B. D. : Du fait de leur expertise, ils sont indispensables. Ils nous guident aussi bien en oncogériatrie, un pôle important en Ephad, qu’en soins palliatifs. Pour consolider notre collaboration, nous avons d’ailleurs établi des conventions avec plusieurs d’entre eux. À notre niveau, la difficulté est de faire appel à eux à bon escient ce qui, en amont, nécessite d’avoir bien analysé la situation en staff. À ce stade, le jugement clinique et le dialogue avec le médecin coordonnateur sont essentiels. C’est aussi un peu notre crédibilité professionnelle qui se joue, car il s’agit de faire appel aux réseaux au bon moment, ni trop tôt, ni surtout trop tard. Pour les plaies et cicatrisation complexes, nous collaborons également avec l’HAD ainsi que pour la prise en charge de la douleur puisque certains de nos résidents ont des pompes à morphine 24 h/24 – pour les aides-soignantes, qui sont seules la nuit, ce support est très sécurisant car elles peuvent joindre l’infirmière de l’HAD à tout moment. Cette dernière va alors la guider s’il s’agit d’un problème technique – ce qui est fréquent –, ou en fonction de la situation décrite par l’aide-soignante préconiser le recours à un médecin. Certaines infirmières d’HAD se déplacent, mais cela reste exceptionnel.

L’I. M. : Constatez-vous une évolution du profil des résidents au cours des dernières années ?

B. D. : Oui, aux côtés des résidents traditionnels, nous accueillons de plus en plus de personnes en post-aigu ou post-chirurgie pour de courts séjours avant leur retour à domicile. Le plus souvent, elles nous sont adressées par les assistantes sociales hospitalières. Nous faisons office d’établissement de soins de suite et de rééducation, car ces structures manquent alors que les Ephad se sont beaucoup développés. Ces personnes ont davantage un profil « patient » que celui de résident. Au regard de la rotation, le surcroît de travail pour l’équipe n’est pas négligeable. Par ailleurs, nous accueillons désormais régulièrement de manière temporaire des personnes atteintes de pathologies neurodégénératives afin d’offrir aux aidants familiaux un répit de quelques semaines

L’I. M. : Comment voyez-vous évoluer la coordination des soins au cours des prochaines années ?

B. D. : Comme toute organisation de santé, l’évolution de la coordination est une dynamique liée au temps politique. Le dernier quinquennat, par exemple, a privilégié le maintien à domicile. Cette orientation a, entre autres, permis un mouvement important des réseaux de santé qui se sont regroupés par thématique (gériatrie, oncologie, soins palliatifs…). Par ailleurs, les relais ville-hôpital comme les centres locaux d’information et de coordination (Clic) et les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (Maia) se sont aussi développés et sont désormais bien implantés et identifiés par tous. Dans ce contexte, je reste très optimiste. À terme, je pense d’ailleurs que les Ehpad vont devenir des établissements de référence en gériatrie, car ces structures seront les plus à même d’accompagner les personnes vieillissantes et polypathologiques. Et dans le domaine, les besoins sont énormes.

1- Dans ce cas, l’Ehpad conserve les soins de nursing et continue de percevoir le prix de journée et le résident, l’ensemble de ses prestations sociales. L’intervention de l’HAD étant, elle, prise en charge par la Sécurité sociale.

SORTIE D’HÔPITAL

LES CADRES LOIN DU TERRAIN

Les cadres de santé sont aujourd’hui moins directement impliquées dans la gestion des sorties d’hôpital. En témoigne Maria Crétant, cadre de santé du service de cardiologie au Centre hospitalier sud francilien (CHSF).

Quand on parle de lien hôpital-ville, on pense spontanément à la sortie d’hôpital. Un moment charnière du parcours de soins du patient qui ne se limite pas à une simple remise d’ordonnance. « On s’attache à ce que le patient retourne chez lui dans de bonnes conditions. Pour ce faire, on s’assure, entre autres, qu’il a bien toutes les ordonnances et compris les prescriptions, explique Maria Crétant. S’il est nécessaire de faire appel à des professionnels de santé libéraux, on anticipe. On contacte si besoin les services de soins infirmiers à domicile ou d’aide à domicile… En cas de prescription de matériel, nous sollicitons des prestataires pour que tout soit en place au retour du patient. Sur notre secteur, nous avons aussi beaucoup de gens en situation de précarité que nous orientons vers les services sociaux. » Un travail qui peut sembler titanesque à l’heure où les durées de séjour se réduisent. Dans le service de cardiologie du CHSF, ce sont 10 à 15 sorties par jour qu’il faut gérer. « Malheureusement, beaucoup de choses ne sont pas optimales, et ne peuvent être anticipées, car certains patients ont honte d’être en situation de précarité et ne verbalisent pas leurs difficultés », se désole la cadre qui déplore de ne plus être aux côtés des patients. « C’est très frustrant. Il y a encore quelques années, j’avais le temps de créer des liens avec la personne et/ou son entourage. Normalement, c’est le travail du cadre d’organiser la sortie. Mais aujourd’hui, je ne m’en occupe plus directement. J’ai 41 lits à gérer seule. Il y a quelques années nous aurions été deux. » Pour autant, Maria Crétant n’est pas désengagée du sujet, loin de là. Même si un poste d’IDE coordonnatrice a pu être mis en place, elle garde un regard sur les sorties et est informée des mouvements au sein de l’unité et des lits disponibles. Elle intervient en outre sur les situations très problématiques examinées dans le cadre de la cellule des sorties difficiles.

Une check-list de sortie

La gestion des lits est aussi une manière de travailler en amont sur les sorties. « C’est pour cette raison que j’ai mis en place un staff pluridisciplinaire le lundi pour échanger sur le projet de soins du patient et prévoir sa date de sortie au regard de sa situation sociale. Plus tôt on connaît la date de sortie, mieux on la prépare… » Son implication se retrouve à un niveau plus « expérimental » avec l’adaptation d’une check-list de sortie sur le modèle de celle conçue pour le bloc opératoire, préconisée par la Haute Autorité de santé (HAS). « C’est nouveau et cela témoigne d’une volonté d’ouverture sur la ville. »

Ce qui est sûr, c’est que Maria Crétant, elle, « ne se considère plus comme cadre de proximité. Je suis trop happée par les missions transversales : préparation de la visite de certification, mise à jour des procédures, réunions d’encadrement au sein du pôle, de la DSI, de la DRH et maintenant dans le cadre de GHT. Au départ, je n’avais pas choisi cette fonction pour être si éloignée des soins. Mais il ne faut pas vouloir résister à cette évolution, car la cadre de santé entre dans un conflit de loyauté difficile – mon idéal du métier en lien avec mes valeurs et la réalité du terrain – qui peut la conduire au burn-out. »

HÉLÈNE TRAPPO