OUTILS
CONTINUITÉ DES SOINS
PARTAGE D’INFORMATIONS
Pour assurer la continuité des soins, la ville et l’hôpital doivent être en mesure d’échanger des informations. Du bon vieux dossier papier au DMP, en passant par la messagerie sécurisée, tour d’horizon des mille et un canaux de communication à leur disposition.
Au commencement était le classeur. Tous les professionnels qui interviennent à domicile connaissent ce gros volume que l’on laisse chez le patient pour que le médecin coordonnateur de l’hôpital, le généraliste, le kiné ou l’Idel y laisse trace des soins qu’il a effectués. Mais au fil de la prise en charge et des modifications d’ordonnances, le bel agencement devient peu à peu difficilement intelligible. Au point que la plupart des soignants n’attendent qu’une chose : l’informatisation de ce satané classeur. Pour résoudre ce genre de problèmes de communication entre ville et hôpital, beaucoup d’espoirs avaient été placés dans le fameux dossier médical partagé (DMP). Lancé en 2004, ce dossier informatique a déjà englouti 500 millions d’euros d’argent public, sans pourtant être entré dans les mœurs. Certains veulent tout de même encore y croire, et le projet a été relancé l’année dernière.
« Il est actuellement en cours de déploiement en zone pilote par la Caisse nationale d’assurance maladie, assure Michel Gagneux, directeur de l’Agence des systèmes d’information partagés en santé (Asip santé), l’opérateur en charge de la santé numérique au niveau national. Une fois que le patient a donné son autorisation, le professionnel de santé peut y joindre tous les documents utiles à la coordination des soins. »
Sauf, qu’en réalité, beaucoup de professionnels craignent que le DMP ne devienne un cimetière de données, où les comptes-rendus s’entassent sans qu’il soit possible d’y accéder de manière pratique. Et comme le besoin d’échanger des données ne disparaît pas, d’autres acteurs se sont engouffrés dans la brèche.
Certains établissements ont en effet développé des portails sécurisés pour communiquer avec les acteurs de la ville. C’est le cas des Hôpitaux de Champagne-Sud, qui ont lancé l’application MyGHT. « Notre idée, c’est de tout faire partir du patient, explique Michaël De Block, directeur de l’information numérique de l’établissement. Il crée un profil, définit ses professionnels de santé favoris, et les fait communiquer entre eux. » La première brique de ce projet concerne les pharmaciens, mais il existe aussi des développements à destination des personnes en situations de handicap, et des Idel intervenant au domicile des patients en HAD ou en Ssiad (services de soins infirmiers à domicile). « C’est une application pour smartphone directement reliée au dossier patient de l’hôpital, détaille Michaël De Block. Avec des autorisations spécifiques, l’infirmière libérale peut accéder à des informations sur le patient et développer un plan de soins numérisé. Et de notre côté, cela nous permet d’avoir de l’information sur ce qu’elle fait. »
Accéder au dossier patient est une chose, mais les professionnels de la ville et de l’hôpital doivent aussi pouvoir s’échanger des messages pour assurer la continuité des soins. La solution ? Les messageries sécurisées. À cet effet, l’Asip santé a développé MSSanté, un outil sécurisé gratuit et facile à implémenter, selon ses concepteurs. « À ce jour, près de 60 000 boîtes aux lettres MSSanté ont été ouvertes, dont 3 000 par des infirmières, affirme Michel Gagneux. C’est encore modeste, mais ça démarre ! »
Mais comme pour le DMP, des solutions alternatives se développent parallèlement à celle promue par les pouvoirs publics. C’est notamment le cas de la messagerie sécurisée Apicrypt, fondée par des médecins de Dunkerque dans les années 1990. Ses promoteurs affirment mettre en relation quotidiennement 70 000 professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, en ville comme à l’hôpital. Un développement qui n’a pas été sans heurts, ses concepteurs accusant régulièrement Asip Santé de faire obstruction au développement de leur solution. Au niveau local aussi, les solutions fleurissent. Les Hôpitaux de Champagne-Sud ont, par exemple, développé dans le cadre du projet MyGHT un module baptisé Calipso, pour cahier de liaison informatisé pour parcours de soins optimisé ». L’idée ? Remplacer le fameux classeur. « Calipso fonctionne comme un chat sécurisé », explique Michaël De Block. Chaque professionnel, hospitalier ou libéral, qui passe au domicile du patient y note ses observations, et peut dialoguer avec les autres intervenants. « Et si le patient est de nouveau hospitalisé, nous avons toutes les informations », se réjouit Michaël De Block.
Mais au fait, pourquoi développer des messageries sécurisées, alors qu’il serait aussi simple d’utiliser des services de mail ou de chat ordinaires ? « Attention, c’est interdit par la loi », rappelle Michaël De Block. Et pas question de se rabattre sur les envois par fax, qui sont, selon lui, « faciles à pirater ». Michel Gagneux ne dit pas autre chose : « Aujourd’hui, c’est trop grave, les messageries de type Gmail sont des vecteurs d’insécurité et de captation trop faciles pour pouvoir échanger de la donnée personnelle, affirme le directeur d’Asip santé. Non seulement ces données peuvent être publiées, mais elles peuvent aussi être utilisées à des fins commerciales ou discriminatoires. » La même question se pose pour les problématiques liées au dossier patient. « Notre GHT subit chaque jour 600 attaques de pirates », témoigne Michaël De Block. Et de confier : « Mon cauchemar, ce serait une attaque mettant les données personnelles des usagers sur Internet. C’est un enjeu de crédibilité : les gens ne nous feraient plus confiance, et le projet s’écroulerait. »
C’est pourquoi l’ensemble des projets, qu’ils concernent les dossiers informatisés ou les messageries, doivent utiliser des serveurs sécurisés agréés pour héberger des données de santé. Le ministère de la Santé a autorisé à ce jour une centaine d’entreprises à fournir ce type de service. Celles-ci doivent répondre à des exigences strictes de confidentialité ou de traçabilité, ce qui suppose de mettre en place des procédures d’authentification ou de chiffrement particulières.
Ce système d’hébergement agréé semble avoir la confiance des professionnels concernés. Pour eux, c’est clair : à l’avenir, la communication ville-hôpital sera numérique ou ne sera pas. « Je pense que dans cinq ans, tous les professionnels de santé, tous les établissements, tous les laboratoires de biologie, tous les cabinets de radiologie échangeront par messagerie sécurisée, prédit Michel Gagneux. Tous les Français auront un DMP, les structures de soins auront elles-mêmes un dossier informatisé et seront toutes en mesure de partager les données de santé pour améliorer le parcours de soins. »
Michaël De Block va même plus loin. « Je pense que la communication ville-hôpital, c’est le nouveau modèle de la santé, affirme-t-il. L’avenir de l’hôpital est en dehors de l’hôpital. Lui permettre de mieux communiquer avec les autres professionnels, c’est lui permettre de faire davantage de prévention. La technologie n’est qu’un outil au service de cette transformation. »
* Projet développé par l’ARS Bourgogne-Franche-Comté, dans le cadre du programme d’investissement Territoire de soins numériques (TSN).
À l’heure actuelle, peu de paramédicaux utilisent des messageries sécurisées. Mais pour ceux qui ont sauté le pas, les choses sont claires : pas question de revenir en arrière. « En tant que professionnel de santé, je dois prendre toutes les précautions nécessaires pour que les données que j’héberge sur mon ordinateur soient en sécurité », indique ainsi Pierre Willotte, Idel breton qui utilise la messagerie sécurisée Apicrypt depuis plusieurs années. C’est lui qui a convaincu le laboratoire d’analyses avec lequel il travaillait de se convertir à cet outil. Il s’en sert aussi pour communiquer avec les médecins du territoire. « Comme ça, je peux dormir tranquille », assure-t-il.
Patrick Bretzner a, de son côté, choisi la messagerie MSSanté. « C’est une excellente solution, notamment parce qu’on peut l’utiliser sur un smartphone ou un ordinateur portable », affirme cet Idel de région parisienne. Il s’en sert pour communiquer avec son associé ou avec les généralistes de ses patients. Et les médecins de l’hôpital ? « Pour l’instant, c’est un peu compliqué, ils dépendent du système d’information de leur établissement, regrette l’Idel. Mais nous savons que le CHU de notre secteur va s’y mettre bientôt. »
« Un dossier à l’intersection de tous »
À quel besoin le projet eTicss répond-il ?
Aujourd’hui, tout le monde fonctionne en silo : l’hôpital, le médecin, l’infirmière…
Chacun a son propre système d’information, et les données ne se croisent pas. L’idée est donc d’avoir un dossier qui ne remplace pas ce qui existe, mais qui se situe à l’intersection de tout le monde.
Concrètement, comment ce dossier fonctionne-t-il ?
Nous avons développé un outil interfacé avec les logiciels métier des professionnels, notamment accessible depuis le navigateur de leur smartphone. Les données sont partagées en fonction des droits des différents professionnels. Une infirmière, par exemple, pourra avoir accès à certains résultats de labo. Nous avons dépassé la barre des 1 000 dossiers créés, et nous mobilisons une centaine de professionnels autour des établissements du nord de la Saône-et-Loire. Avec le projet eTicss, nous partageons de l’information à un instant donné, pour des personnes qui interviennent autour du patient.
PROPOS RECUEILLIS PAR A. R.