Infirmières hospitalières ou libérales, patients : tous ont été confrontés, un jour ou l’autre, à des « bugs » de coordination qui ont pu les amener à accabler l’un ou l’autre des maillons de la chaîne ville-hôpital. Pourtant, les avis convergent sur les moyens d’améliorer cette indispensable collaboration.
Idéalement, nous notons la date prévisionnelle de sortie (DPS) de chaque patient. L’infirmière « de coupure », qui effectue les horaires 9 heures-17 heures, prépare alors la sortie dès la veille. Chaque soignante du service occupe cette fonction à un moment ou à un autre, afin que toutes soient sensibilisées à son importance. La veille de la sortie, elle vérifie les ordonnances avec les médecins, commande le transport, appelle la famille ainsi que l’Idel qui va prendre le relais en ville. Et lui communique toutes les informations pour continuer la prise en charge. Cependant, nous ne sommes peut-être pas au fait de tous leurs besoins : c’est pourquoi nous allons lancer, dans le courant de l’année, une consultation sur leurs attentes.
Cette procédure « idéale » est appliquée lorsqu’il s’agit de patients « programmés », soit un tiers des dossiers. Pour les urgences, tout est plus difficile. La sortie peut être décidée le jour-même… Au CHU de Poitiers, nous avons travaillé sur la sortie avant midi, qui permet d’accueillir les urgences dans de meilleures conditions. Dans ce cas, les infirmières font au mieux : elles appellent les différents intervenants suivant la même check-list que quand la sortie est programmée. Mais il arrive que l’Idel ne réponde pas au téléphone… Et comme elle n’est pas particulièrement prioritaire par rapport au transporteur ou à la famille, par exemple, elle n’est pas toujours prévenue comme elle le souhaiterait…
Nous nous sommes rendu compte que certaines prescriptions ou fiches de liaison qui nous semblaient claires ne l’étaient pas du tout pour les Idel. Nous avons donc tous travaillé sur leur amélioration. De façon plus générale, nous avons davantage de contact avec les Idel qu’il y a quelques années. C’est, à mon avis, parce que nous avons décidé de systématiser les choses : on les appelle à chaque sortie. C’est venu progressivement, quand nous avons appris à les connaître. D’abord, elles ont commencé à venir au CHU régulièrement pour se former. De fil en aiguille, nous avons commencé à les inviter aux Journées infirmières, aux Journées diabète… Nous organisons désormais des rencontres tous les ans.
De plus en plus, des patients sortent de l’hôpital alors qu’ils sont toujours en phase aiguë, ce qui implique des soins de plus en plus difficiles pour les Idel – et cela ne va pas s’arranger avec la diminution prévue de notre nombre de lits. Il est donc essentiel d’aider davantage les professionnels de ville. La première chose à faire, c’est de multiplier les contacts. Car la communication est essentielle : avant, il y avait deux clans, l’hôpital et la ville. Aujourd’hui, nous nous comprenons. Quand on se connaît et qu’on réalise qu’on poursuit tous le même objectif, tout se passe plus simplement. Y compris pour le patient, qui est rassuré quand il voit qu’il y a un vrai passage de relais. Ensuite, nous pourrions multiplier les partages de connaissances : en cas de pansement complexe, par exemple, il nous arrive d’inviter l’infirmière libérale à voir comment il est réalisé au sein de l’unité. C’est une expérience très positive, d’un côté comme de l’autre
Du fait de ma maladie, une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) doublée d’un emphysème sévère lié au tabac, diagnostiqués en 2006, je peux être amenée à être hospitalisée. Il m’arrive d’avoir des bronchites, que je soigne avec des antibiotiques ; mais quand cela ne suffit pas, je me rends aux urgences. En tout, j’ai été hospitalisée cinq fois depuis 2007, pour des durées allant de quinze jours à trois semaines.
C’est très rapide. La veille de la sortie, le pneumologue vient me voir et donne des instructions à l’infirmière. Le lendemain, elle me tend simplement un papier, l’ordonnance du médecin, ainsi que mon arrêt de travail. Il n’y a aucune explication. Elle ne me demande pas si je connais les médicaments prescrits, ni si je sais comment les prendre. Alors que cela peut être complexe : aujourd’hui, j’ai l’habitude, je connais la maladie, mais au début, ce n’est pas évident. La première fois que je suis rentrée chez moi, j’ai lu la notice du médicament, un bronchodilatateur. Personne ne m’a expliqué que pour le prendre, il fallait vider mes poumons, puis bloquer ma respiration pendant 10 secondes, et ensuite bien me rincer la bouche. En tout, cette formalité de sortie prend 5 à 10 minutes. Tout le long de l’hospitalisation, les infirmières sont géniales, elles nous rassurent, mais la sortie pose vraiment problème.
On ne m’a jamais orientée vers des structures susceptibles de m’aider. Je n’ai découvert l’Espace du souffle, une structure de réhabilitation respiratoire, que grâce à des amis qui m’en ont parlé. C’est là que j’ai appris à mieux me servir de mes médicaments. Mais à l’hôpital, on ne m’a pas donné de conseils ni de numéro à appeler en cas de problème. Sur ce point, rien n’a changé en dix ans. Si bien qu’il m’est arrivé de ne pas me sentir bien, peu après une sortie. Heureusement, je ne suis jamais allée jusqu’à la réhospitalisation.
Je voudrais davantage de prise en charge en ville. Quand on sort de l’hôpital, on est très fatigué. Or, on nous demande de prendre rendez-vous avec un pneumologue… Ce serait bien que ce rendez-vous soit pris en amont, car c’est long pour reprendre du poil de la bête et se sentir capable d’effectuer des démarches. Je sais que les infirmières ont déjà beaucoup de travail… D’ailleurs, on crée des liens durant l’hospitalisation et c’est dommage de ne plus se revoir ensuite ! J’apprécierais, par exemple, qu’une coordinatrice m’appelle quinze jours après la sortie, afin de faire le point. Je sais que ça leur ferait du travail en plus, mais ça me rassurerait. J’aimerais aussi être orientée : on ne m’a jamais proposé l’aide d’un tabacologue et j’ai dû arrêter de fumer seule. Enfin, ce qui serait bien, ce serait de nous remettre à la sortie un document récapitulant tout ce qu’il faut faire afin de poursuivre son traitement à domicile.
Au début de mon exercice, j’avais peu d’échanges avec les établissements de santé, en dehors de la prescription médicale. Aujourd’hui, certains cadres, infirmières ou coordinateur de soins nous contactent pour nous transmettre des informations nécessaires à la bonne prise en charge du patient, dans le cadre de la sécurisation de la sortie des patients. Mais pour que tout se passe bien, il y a deux conditions. D’abord, que le patient donne le nom de son infirmière libérale et son téléphone en arrivant à l’hôpital, car s’il ne le fait pas spontanément, on ne va pas le lui demander. Ensuite, que l’établissement contacte l’infirmière deux jours avant la sortie pour s’assurer de la continuité des soins à domicile, puis lui adresse un courrier pour expliciter les motifs d’intervention. Pour ma part, je me suis rendu compte que quand j’adressais moi-même un courrier au service, j’avais systématiquement un retour. Sinon, c’est plus rare.
Oui, et ils sont liés à la méconnaissance de l’organisation des soins à domicile par les établissements de santé. En effet, la répartition des soins dans la journée de la structure hospitalière n’est pas transposable à domicile pour plusieurs raisons : l’Idel assure seule tous les soins alors que dans le service, les tâches sont réparties. D’autre part, l’environnement est un élément majeur : en libéral, on travaille sur un espace de plusieurs kilomètres, et le patient maintient ses activités. L’infirmière doit s’adapter. Mais l’impossibilité qui est la nôtre, parfois, d’appliquer à la lettre les consignes de l’hôpital peut être mal perçue par les patients, ce qui peut entraîner une relation conflictuelle.
La loi de santé 2016 favorise l’ouverture des structures vers le monde libéral, par le biais notamment de la création de postes de coordinateurs de soins et de réseaux de santé polyvalents tels que le réseau Ilhup (lire p. 24), avec lequel je travaille. Ceux-ci peuvent considérablement aider à la coordination des soins ville-hôpital, car ils contactent les Idel plus de quarante-huit heures avant le début de la prise en charge. Cela permet de s’organiser. La coordination est également facilitée par d’autres systèmes, mis en place par les agences régionales de santé et les caisses primaires d’assurance maladie, comme Prado (programme d’accompagnement au retour à domicile)…
Lorsqu’il y a des coordinateurs de soins dans les établissements de santé, le partage de l’information se fait facilement, d’autant qu’une infirmière saura nous donner des informations directement en lien avec notre métier. En revanche, s’il n’y a pas de personne affectée à la coordination, nous pouvons constater quelques dérives qui, loin d’être malveillantes, restent délétères : dans certains cas, les patients sont automatiquement orientés vers un professionnel de santé connu des services ou du prestataire de service, au détriment de l’Idel qui le prenait en charge depuis plusieurs années. Dans tous les cas, il y a encore une marge de progression : personnellement, j’ai rarement été contactée par une infirmière coordinatrice. Ce n’est pas encore entré dans les mœurs. Le cloisonnement reste fort, même si ça commence un peu à s’ouvrir.
Selon la loi, la coordination des soins dans le secteur libéral doit être assurée par le médecin généraliste. Mais les contraintes de temps et de charge de travail font que bien souvent, tout professionnel intervenant auprès du patient à domicile contribue à la coordination des soins. Au niveau infirmier, ce temps de coordination est reconnu et facturable pour certains actes. Nous avons aussi la possibilité d’utiliser la DSI (démarche de soins) pour acter la coordination des soins, mais cela sous-entend une prescription médicale et des démarches administratives, donc un temps de plus que nous n’avons pas forcément.
Le passage à la notion de parcours de santé plutôt que de parcours de soins permettra d’optimiser la prise en charge des patients ville-hôpital. Dans un premier temps, on pourrait commencer par demander dans la fiche de renseignements, à l’hôpital, le nom de l’infirmière libérale en charge et ensuite, systématiquement lui adresser un courrier lors de la sortie, comme au médecin traitant. C’est tout simple, mais cela changerait tout.
→ 1986 : diplôme d’État à Poitiers (Vienne)
→ 1992 : devient cadre de santé au CHU de Poitiers
→ 2008 : passe cadre de santé supérieure du pôle cœur-poumons-vasculaire
→ 2015 : anime un groupe de travail sur la sortie d’hospitalisation avant midi
→ Début 2006 : est diagnostiquée pour une BPCO et un emphysème sévère
→ Fin 2006 : première hospitalisation
→ Novembre 2007 : arrête de fumer
→ Décembre 2016 : nouvelle hospitalisation, après trois ans sans incident
→ 1988 : commence à exercer en libéral à Lapalud (Vaucluse)
→ 2009 : coordinatrice au sein du réseau Ilhup (Intervenants libéraux et hospitaliers unis pour le patient)
→ 2013 : vice-présidente de l’Ordre infirmier du Haut-Vaucluse
→ 2014 : intervenante auprès de la Maia du Haut-Vaucluse
→ La transition hôpital-domicile est qualifiée de « zone de tous les dangers » par la Haute Autorité de santé (HAS), surtout pour les personnes âgées. En effet, en France, la prévalence des réhospitalisations à 30 jours est de 14,2 % pour les patients de plus de 75 ans. Les pathologies les plus associées au risque de réhospitalisation précoce sont l’insuffisance cardiaque, la pneumopathie bactérienne et l’infarctus.
→ En 2013, 50 % des erreurs médicamenteuses et 20 % des événements indésirables résultaient d’un manque de communication lors des transferts. La meilleure solution pour l’éviter : l’envoi d’un courrier de fin d’hospitalisation, une pratique en augmentation constante (+ 22 points entre 2008 et 2011).
→ La planification personnalisée de la sortie pendant l’hospitalisation réduit de 9 % la durée de séjour et de 18 % le risque de réhospitalisation, selon la HAS.
→ Le besoin de coordination augmente avec le taux de prise en charge en ambulatoire. Selon la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad), en 2013, plus de 4 interventions sur 10 étaient réalisées en ambulatoire ; d’ici à 2020, on en attend plus de 6 sur 10.