GRIPPE : FAUT-IL OBLIGER LES SOIGNANTS À SE VACCINER ? - Ma revue n° 001 du 01/10/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

CRISE SANITAIRE

JE DÉCRYPTE…

SANTÉ PUBLIQUE

Hélène Colau  

Cette année, étant donné le contexte sanitaire, les autorités de santé recommandent plus que jamais aux infirmières de se vacciner contre la grippe. Élisabeth Bouvet de la HAS et Anne-Hélène Decosne de la Ffidec en débattent.

En temps normal, êtes-vous favorable à l’obligation vaccinale pour les soignants ?

Anne-Hélène Decosne : Tout à fait, car, en Ehpad, nous travaillons face à une population fragilisée. Et, en tant que soignants, nous sommes censées être responsables. S’il s’agit bien sûr de protéger nos résidents, nous nous devons également de veiller à la santé de nos proches qui peuvent être exposés du fait de notre activité professionnelle. Car nous avons une vie en dehors du travail, avec parfois des parents âgés… Et il faut savoir que de nombreuses personnes meurent chaque année de la grippe, des aînés mais aussi de jeunes enfants.

Élisabeth Bouvet : Je suis tout à fait favorable à l’augmentation de la couverture vaccinale des soignants contre des affections comme la rougeole ou la coqueluche. Dans le cas de ces maladies, il s’agit simplement d’être immunisé une fois pour toute ; il n’est pas nécessaire de vacciner tout le monde tous les ans. On est tout à fait sûr de l’impact de telles mesures sur les soignants comme sur leurs patients. De nombreuses études le démontrent. Je n’ai donc pas d’états d’âme. Mais, pour la grippe, c’est très différent. Déjà, le vaccin n’est pas suffisamment efficace, et, par ailleurs, il faudrait le refaire tous les ans… D’un point de vue logistique, ce serait très lourd !

Et puis il n’y a pas d’argument scientifique fort : il n’existe pas d’étude montrant qu’une bonne couverture vaccinale contre cette maladie empêcherait efficacement sa transmission dans les établissements. En outre, édicter une obligation nécessiterait de prévoir quoi faire au sujet des personnes qui ne la respectent pas. Si encore on pouvait décider d’une obligation pour une période restreinte, dans certains types d’établissement, ce serait envisageable, mais, en France, nous avons un cadre très contraint, peu adaptable. Pour toutes ces raisons, il me semble qu’imposer la vaccination contre la grippe aux soignants serait très difficile.

Qu’est-ce qui a changé cette année ?

A.-H. D. : Il faudra déjà qu’on lutte contre le Covid-19, et c’est pourquoi il est particulièrement important de minimiser l’impact de la grippe. Car ce sera difficile d’affronter les deux en même temps ! En Ehpad, la période hivernale est toujours critique, et nous mettons chaque année des protocoles en place, avec des gestes barrières, des stratégies, donc rien de nouveau de ce côté-là. Mais nous avons la chance de disposer d’un vaccin contre l’une de ces deux maladies. Ce serait dommage de ne pas s’en servir. D’accord, il n’est jamais efficace à 100 %, ce qui fait l’objet de beaucoup de critiques, mais, s’il l’est à 80 ou 90 %, c’est déjà énorme. Enfin, si l’on doit affronter le Covid-19, mieux vaut que nos défenses immunitaires ne soient pas affaiblies par la grippe, auquel cas les conséquences pourraient être terribles…

E. B. : Il est vrai qu’on a davantage pensé à la question cette année même si, à notre grande surprise, le ministère ne nous a pas saisis… Avec le Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants (Geres), nous avons mené une étude sur l’intention de vaccination des professionnels de santé, qui apparaît en hausse de 6 % par rapport à l’hiver 2019-2020. La raison en est évidemment la crainte d’une deuxième vague de Covid-19. Pourtant, l’expérience de l’hiver dernier nous a montré qu’il ne se passe rien de particulier lorsqu’un patient contracte les deux virus en même temps. On peut tout de même penser que le risque de développer une forme plus grave existe, car toute maladie virale peut, en théorie, affaiblir les défenses immunitaires. Nous ne pensons pas que l’épidémie de grippe sera forte cette année : les mesures barrières devraient se montrer efficaces, et l’on a observé que dans l’hémisphère sud, où l’hiver s’achève tout juste, c’est le calme plat de ce côté. Mais il semble prudent de tout faire pour éviter aux hôpitaux de faire face à une double épidémie…

Comment amener les professionnels de santé réticents à se faire vacciner ?

A.-H. D. : En France, ce réflexe n’est pas facile à faire entrer dans les mentalités. Surtout depuis les récentes controverses sur les effets secondaires des vaccins. Mais les soignants doivent montrer l’exemple. Les établissements ont aussi un rôle à jouer. Depuis plusieurs années, certains d’entre eux mènent des campagnes de sensibilisation en direction de leurs professionnels de santé, parfois dès le mois de juillet, en mettant en avant des chiffres. Cette année, par exemple, il y a eu 10 000 morts de la grippe ! Quand on apporte des statistiques sur les enfants touchés ou le nombre d’hospitalisations, cela fonctionne. Il faut donc multiplier les actions de formations, en mobilisant le corps médical afin qu’il puisse répondre aux arguments des soignants. Il faut aussi que la vaccination soit proposée gratuitement, dans le cadre de l’établissement : elle peut ainsi se faire facilement, sans perte de temps. Depuis que ces efforts sont effectués, nombre de professionnels qui hésitaient à se faire vacciner ont changé d’avis. Et nos premiers retours d’expérience montrent que là où la couverture vaccinale des soignantes est forte, par exemple au sein de grands groupes d’Ehpad qui ont beaucoup communiqué sur la question, les patients tombent moins malades.

E. B. : Il va évidemment y avoir de fortes incitations à la vaccination dans les Ehpad cette année. L’expérience a démontré que l’essentiel, lorsqu’on veut augmenter la couverture, c’est qu’une équipe se déplace pour vacciner les professionnels sur leur lieu de travail. Dans les établissements qui ont systématisé cette offre, on observe une meilleure acceptabilité de la vaccination. Car, au-delà des réticences sur les effets secondaires, la non-vaccination relève souvent de la négligence. Enfin, quand le chef de service se vaccine lui-même, cela a un effet d’entraînement sur toute l’équipe.

LE CONTEXTE

Chaque automne, la question de l’obligation vaccinale pour les soignants se pose. Mais cette année, elle prend une dimension particulière en raison de la crise sanitaire du Covid-19. En septembre, l’Académie de médecine a demandé à ce que la vaccination contre la grippe saisonnière soit obligatoire pour les personnes travaillant auprès de publics fragiles, dans les hôpitaux et les Ehpad. Bien que les symptômes des deux maladies soient proches, le vaccin contre la grippe ne protège pas contre le Covid-19. Cependant, d’après les experts, la vaccination pourrait limiter le risque de double infection, tout en évitant d’engorger les services de soins. En 2019, 67 % des médecins étaient vaccinés contre la grippe, 36 % des infirmiers et seulement 21 % des aides-soignants selon Santé publique France. L’Académie de médecine souhaite également une campagne de vaccination à destination des personnes fragiles, mais pas forcément son extension à l’ensemble de la population.

RÉFÉRENCES

• Santé publique France, Bulletin de santé publique vaccination, Couverture vaccinale antigrippale chez les professionnels de santé, octobre 2019. bit.ly/35WXaFQ

• Enquête Geres, Covid-19 - Quelle (s) vaccination (s) ? bit.ly/3j2rthH