L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

JE ME FORME

BONNES PRATIQUES

Thomas Bréard*   Alexandra
Kokar**
  


*coordinateur de Transplantations hépatique et rein/pancréas
**infirmière, Centre Hépato-Biliaire (CHB) de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP)

Pour apprendre aux patients greffés à vivre avec les contraintes propres à leur condition, le Centre Hépato-Biliaire (CHB) de hôpital Paul-Brousse (AP-HP), à Villejuif, a créé Symphonie, un programme d’éducation thérapeutique.

La transplantation hépatique (TH) est le traitement des hépatites fulminantes et des cirrhoses décompensées (hypertension portale, insuffisance hépatique, cancer). Elle nécessite un suivi post-opératoire scrupuleux qui a deux objectifs principaux : éviter les phénomènes de rejet et assurer une qualité de vie optimale au patient. Pour atteindre ces buts, le patient doit respecter de nouvelles règles de vie primordiales à la réussite de sa greffe. L’éducation thérapeutique du patient (ETP) représente un véritable enjeu stratégique dans la prise en charge des transplantés. Elle permet aux patients de développer des compétences indispensables pour une meilleure gestion de leur maladie et de leur traitement. Le patient devient autonome et acteur de sa greffe. Pour répondre à ce besoin, le Centre Hépato-Biliaire (CHB) de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) à Villejuif a créé un programme d’ETP postgreffe, appelé Symphonie.

GENÈSE DU PROJET

HISTORIQUE

Spécialisé en maladies du foie, le Centre Hépato-Biliaire (CHB) de l’hôpital Paul-Brousse est également expert en greffes hépatiques. Depuis 1984, plus de 4 100 greffes ont été réalisées, dont 177 en 2019[2].

Très tôt, l’équipe d’infirmiers de coordination de greffes (IDEC) s’est investie en ETP. « Après la greffe, redémarrer ! » est le premier document élaboré à destination du patient en 1995. En 2007, le logiciel d’autoformation pédagogique SITO est utilisé par les IDEC pour informer les patients[3]. En 2013, le classeur d’éducation thérapeutique « Il était une fois, un foie » est rédigé par l’équipe soignante à destination du patient. Il sert par ailleurs d’outil de suivi pour le soignant. Il décrit les différentes étapes du parcours pré et post-greffe, détaille les mécanismes de la cirrhose, les complications pré et post-greffe et les surveillances spécifiques qui s’y rattachent. En 2017, l’application mobile Ted2care[4] est développée pour accompagner le patient dans son suivi. La création d’un programme ETP devient une suite logique.

POURQUOI SYMPHONIE ?

L’approche est pluridisciplinaire. L’équipe est composée de médecins, IDEC, IDE, pharmaciens, diététiciennes, assistantes sociales, aide-soignantes, secrétaires hospitalières et psychologues. Chaque professionnel a reçu la formation de 40 heures intitulée « Dispenser l’ETP ». Un temps qui a permis la construction du programme, la création des ateliers, des outils pédagogiques… Cela en impliquant tous les membres de l’équipe, dans un souci de construire un projet cohérent, structuré et réfléchi sur une base commune. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’appeler notre programme Symphonie : « Composition musicale […] exécutée par un nombre important d’instrumentistes » ou « Ensemble harmonieux ». Les intitulés des séances éducatives restent dans le même thème.

LE PARCOURS ÉDUCATIF DU PATIENT

Le programme ETP se déroule en plusieurs étapes (lire p. 37). En premier lieu, on le propose au patient et on recueille son consentement. Une séance éducative individuelle permet de mieux le connaître, d’identifier ses besoins et ses attentes. Un diagnostic ou bilan éducatif est établi, il définit les objectifs pédagogiques personnalisés avec des priorités d’apprentissage. Par exemple, il sera attendu que le patient connaisse ses antirejets. Ensuite viennent la planification et la mise en œuvre des séances éducatives (individuelles ou collectives), avec une évaluation individuelle à l’issue de chaque séance. Pour finir, un entretien individuel de fin de programme permet de faire un bilan du parcours éducatif du patient, d’évaluer les compétences acquises, de proposer des séances de renforcement si besoin. Un questionnaire de satisfaction du programme est remis au patient. Chaque étape est tracée dans le dossier informatisé du patient, accessible à tous les professionnels de santé.

POPULATION CIBLE

Les patients intégrés au programme ETP Symphonie sont l’ensemble des transplantés au CHB, pouvant être accompagnés d’un aidant, en fin d’hospitalisation ou en consultation post-hospitalisation en hospitalisation de jour (HDJ), lisant et comprenant le français, sans trouble cognitif, ayant accepté de participer au programme d’ETP.

MESSAGES DE PRÉVENTIONS CIBLÉES

L’objectif principal de l’équipe pour le patient en post-greffe est une bonne adhésion thérapeutique qui amènera le patient à une qualité de vie optimale[5]. La prise à vie d’immunosuppresseurs, indispensables à la réussite de la greffe, peut induire des complications.

→ Complications infectieuses, soit bactériennes, fongiques ou virales qui surviennent surtout au cours des premiers mois[6] liées à une baisse de l’immunité.

→ Les traitements immunosuppresseurs sont néphrotoxiques. Ils peuvent entraîner une insuffisance rénale aiguë ou chronique[7].

→ Complications métaboliques :

> L’hypertension artérielle de novo est une complication très fréquente qui concerne 45 % à 75 % des patients transplantés hépatiques[8].

> La prise de poids nécessite la surveillance de la courbe de poids des patients greffés. En effet, le taux d’obésité (indice de masse corporelle [IMC] > à 30 kg/m2) est de 24 % et de 31 % à 1 et 3 ans[9].

> Un diabète peut être observé pour 20 à 30 % des greffés.

→ Complications tumorales : Pour finir, l’incidence globale des cancers chez le patient transplanté est augmentée 2,5 fois par rapport à la population générale, justifiant une surveillance clinique et paraclinique spécifique et régulière[11].

LES ATELIERS OU SÉANCES ÉDUCATIVES

L’atelier « Au chœur des gélules et la mesure au diapason » est un atelier collectif qui réunit trois à cinq patients et deux soignants (deux IDE ou une IDE et un pharmacien), les mardis pendant deux heures. Il est ciblé sur la prise des médicaments immunosuppresseurs. Il met en avant l’importance d’une bonne observance des traitements antirejets (noms, dosages, modalités de prise, surveillance biologique) et l’autosurveillance à adopter après la greffe (reconnaître les signes d’une complication, conduite à tenir). L’enjeu pour ces patients est de comprendre dans les plus brefs délais qu’une bonne prise de ces nouveaux traitements permet d’éviter le rejet. Il est primordial qu’ils connaissent le nom de leurs médicaments. Ceuxci sont en effet souvent inconnus, complexes et présentent parfois un risque de confusion avec les termes génériques : Tacrolimus/ Prograf, Tacrolimus LP/ Advagraf, Cellcept/ Mycophénolate Mofétil. Leurs modalités de prise sont aussi détaillées. Il est essentiel de préciser au patient qu’une fois que le traitement est bien équilibré, il doit s’adapter à leur rythme de vie tout en respectant au mieux les règles de bonne prise. Notre but n’est pas d’instaurer trop de contraintes strictes qui pourraient avoir un effet inverse sur la bonne observance à long terme. Le plus souvent, les patients sont prévenus en pré-greffe de la complexité de la prise des immunosuppressions. L’aidant naturel, maillon essentiel dans le processus de soins, peut aussi assister à la séance. Parfois, c’est lui qui prépare le pilulier du patient. Il lui est transmis les compétences nécessaires pour accomplir ce rôle si important dans le suivi à domicile. Cette séance s’appuie sur une pédagogie transmissive. Elle est animée grâce à des outils pédagogiques variés. Par exemple, des affiches BD ont été créées par une IDE du service : elles représentent une histoire imaginée autour de policiers (les défenses immunitaires), de bandits (les agents infectieux) et de super héros (les immunosuppresseurs). Cette histoire permet d’aborder le rejet et le risque infectieux lié à la prise des traitements. Pour travailler le planning thérapeutique, un pilulier est distribué à chaque patient, ainsi que des cartes représentant chaque antirejet (nom, dosage, photo de la gélule). Le patient doit désigner son traitement et le mettre dans les bonnes cases du pilulier. Pour évoquer les complications de la greffe et les conduites à tenir, des cartes images symptômes et CAT sont utilisées. Un diaporama d’images et de texte permet d’illustrer les propos sur grand écran. En fin d’atelier, deux situations de la vie sont étudiées grâce au diaporama : déjeuner en famille et départ en vacances. Cela permet de conclure et de faire le lien sur les idées développées tout au long de l’atelier. En fin de séance, un jeu « Qui veut gagner des médocs ? » s’inspirant du jeu télévisé permet de réaliser une évaluation individuelle des compétences acquises par le patient et de récapituler l’ensemble des messages clés. Ce sont des outils visuels qui rendent la séance interactive et ludique. Ils suscitent l’intérêt et la discussion, ils facilitent l’apprentissage et la mémorisation.

« Les 4 saisons dans l’assiette » est une séance individuelle entre la diététicienne et le patient. Elle permet de donner des conseils au patient pour adopter une alimentation équilibrée et établir des menus adaptés à sa greffe. La présence de l’aidant est fortement conseillée, surtout si ce n’est pas le patient qui cuisine ou qui fait ses courses. Lors des six premiers mois de la greffe, la prise des immunosuppresseurs à forte dose oblige les patients à suivre quelques règles alimentaires. Les principales notions abordées lors de cet atelier sont :

→ Un régime peu salé (apport en sel limité à 6 g de NaCl/jour), et peu sucré (voire sans sucre en cas de diabète avéré) est fortement conseillé pour éviter certaines complications (HTA, œdème, diabète). Lorsque les doses de corticoïdes baissent, au terme des six premiers mois, ce régime est élargi.

→ Des précautions d’hygiène alimentaire doivent être prises par les patients afin d’éviter des infections (virales, bactériennes, fongiques) provenant des aliments. Interdiction par exemple de consommer certains aliments crus (viande, poisson, fruits de mer…), éviter l’eau du robinet…

→ La consommation de pamplemousse peut induire des interactions avec le tacrolimus ; elle est donc déconseillée à vie. Une des difficultés avec cet atelier est l’adaptabilité à chaque patient. Nous expliquons que la TH permet d’améliorer la qualité de vie mais qu’il faut aussi avoir un régime alimentaire strict et manger équilibré. Ces règles (nouvelles pour certains d’entre eux) peuvent être vécues comme un lot de contraintes et générer des frustrations. C’est pour cela que la diététicienne intervient de façon individuelle dans une démarche personnalisée, le but est que la compréhension soit optimale. Lors de cette séance, des aliments factices, des cartes images, la pyramide alimentaire illustrent les propos et mettent en évidence les aliments à éviter ou ceux conseillés après la greffe.

« Do, Ré, Mi, Fa, Social » est une séance individuelle avec l’assistante sociale. Elle identifie les difficultés sur le plan de la prise en charge médicale et anticipe les démarches administratives à effectuer.

« La mélodie des émotions » est une séance individuelle avec la psychologue. L’objectif est d’accompagner le patient dans sa sortie du statut de « malade ». La notion de don et contre-don (dette), voire de culpabilité, peut favoriser le maintien du patient dans ce statut. Il peut se poser énormément de questions par rapport à la transplantation : le don d’organe qui redonne « une seconde vie », l’acceptation du nouveau foie, la peur de perdre le greffon, le regard des autres. En fonction des âges, le questionnement est différent. Les adolescents s’inquiètent des conséquences sur leur vie sociale avec les obligations qu’amène une greffe. L’impact et l’acceptation de la cicatrice jouent sur l’estime de soi. Le patient peut verbaliser, exprimer ses difficultés, ses émotions après la greffe afin d’accepter ce nouvel état de santé.

PROJETS FUTURS

Notre objectif à court terme est d’augmenter l’inclusion des patients tout en continuant à former la nouvelle génération d’IDE débutants dans le service de greffes pour ainsi pérenniser le programme sur le long terme. Nous envisageons de développer un autre atelier destiné aux jeunes adultes, axé sur les immunosuppresseurs et la vie après la greffe (conduites à risque, loisirs, sexualité, voyage…). Nous souhaitons aussi interroger les patients greffés sur des expériences passées spécifiques pour améliorer nos ateliers. Depuis 2017, nous nous sommes concentrés sur l’organisation et le contenu des ateliers. Désormais, notre objectif est d’évaluer l’impact du programme Symphonie auprès des patients et dans leur prise en charge globale post-greffe. Pour cela, nous projetons de déposer une lettre d’intention au Programme Hospitalier de Recherche Infirmier et Paramédical (PHRIP).

RÉFÉRENCES

  • • [1] Haute Autorité de santé (HAS), « Éducation thérapeutique du patient (ETP) », 19 juin 2014 Disponible en ligne : bit.ly/3i3w3v9
  • • [2] www.agence-biomedecine.fr/
  • • [3] www.rochepro.be/content/dam/hcp-portals/ belgium/documents/therapyareas/transplantation/ Transplantation_BR546-Folder_SITO_FR-final.pdf
  • • [4] www.centre-hepato-biliaire.org/content/ted2care
  • • [5] World Health Organisation, « Sabate E. Adherence to long-term therapies: Evidence for action », Report No : 92 4 154599 2, 2003.
  • • [6] Snydman D.R., « Infection in solid organ transplantation », 1999. Disponible en ligne : bit.ly/3jd6cC4
  • • [7] Gonwa T.A., Mai M.L., Melton L.B. et al., « Endstage renal disease (ESRD) after orthotopic liver transplantation (OLTX) using calcineurin-based immunotherapy: risk of development and treatment », 2010. Disponible en ligne : bit.ly/3id0nmS
  • • [8] Textor S.C., Canzanello V.J., Taler S.J., et al., « Cyclosporine-induced hypertension after transplantation », Mayo Clin Proceedings, 1994. Disponible en ligne : https://mayocl.in/36bxwwS
  • • [9] De Luca L., Westbrook R. and Tsochatzis E. A., « Metabolic and cardiovascular complications in the liver transplant recipient. Annals of Gastrœnterology », Quarterly Publication of the Hellenic Society of Gastrœnterology, 28 (2), pp. 183-192, 2015. Disponible en ligne : bit.ly/3cJYhtO
  • • [10] Saigal S., Norris S., Muiesan P., Rela M., Heaton N. et O’Grady, J., « Evidence of differential risk for posttransplantation malignancy based on pretransplantation cause in patients undergoing liver transplantation », 2002. En ligne : bit.ly/3mWJCjn

Points clés

Objectifs de l’ETP : rendre le patient autonome et acteur de sa greffe, meilleure observance, qualité de vie et bonne fonction de son greffon.

ETP : travail d’équipe pluriprofessionnelle, au centre du soin, portée par des soignants investis, un suivi personnalisé à vie, un partenariat avec le patient. Différentes étapes à respecter. En remaniement constant pour s’adapter à la réalité du terrain.

En 2019 : 51 patients recrutés, 11 ateliers collectifs, 42 ateliers individuels, 19 bilans de fin de programme.

Prise en charge en libéral

Pour certains patients, un suivi par une infirmière libérale est indispensable. L’Idel assure la préparation des piluliers ou la surveillance des prises, les soins locaux et la surveillance de la cicatrice, la surveillance d’une HTA liée à la prise d’immunosuppresseurs et la prise en charge d’un diabète débutant (réalisation des glycémies capillaires et injections d’insuline, éducation du patient à effectuer ces nouveaux gestes, conseils sur l’alimentation et sur la tenue de son carnet de suivi). Cela dans un souci d’autonomisation. Il est important que l’Idel ait des consignes claires sur la gestion du traitement et la prise en charge du patient. C’est un intervenant essentiel dans le retour au quotidien du patient greffé. L’objectif est qu’il retrouve ses repères et une qualité de vie, tout en intégrant une surveillance et prise de traitements à vie.

SITUATION CLINIQUE : UN RETOUR AU DOMICILE COMPLIQUÉ

M. S., transplanté hépatique depuis trois semaines pour une cirrhose éthylique, revient en hôpital de jour (HDJ) pour son suivi régulier une semaine après sa sortie d’hospitalisation. La journée est rythmée : bilan sanguin, échographie, pansement, consultation infirmière et médicale avec l’hépatologue.

L’IDE s’aperçoit que, depuis son retour à domicile, M. S. ne prend pas les bons dosages de tacrolimus. C’est sa femme qui prépare son pilulier. « Elle a du mal comprendre l’ordonnance, je prends ce qu’il y a dans la case », dit-il. De plus, il trouve que, depuis la greffe, son diabète est déséquilibré. Il ne comprend pas pourquoi et ne voit pas l’intérêt de l’insuline. « Ça ne marche pas ! » selon lui. Avant la greffe, il était bien contrôlé sous antidiabétiques oraux, il veut qu’on lui redonne son traitement. De plus, hier soir, il est allé manger chez sa fille et a oublié de prendre ses médicaments. Ce matin, il arrive en HDJ en ayant mangé et pris tous ses traitements, rendant le dosage de la glycémie et du tacrolimus impossible. On comprend que ce patient et son épouse ont besoin d’informations sur les antirejets, à savoir connaître leur nom et leur dosage, comprendre le risque de rejet en cas d’oublis répétés, les effets secondaires possibles (déséquilibre du diabète), se souvenir de ne pas les prendre avant la prise de sang déstinée à adapter leur dose. L’IDE leur propose de participer au programme ETP Symphonie.