L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

JE ME FORME

JURIDIQUE

Gilles Devers  

avocat

Le secret est une règle juridique, mais aussi un principe social fort. L’analyse devient délicate lorsqu’il s’agit du partage du secret et des dénonciations de maltraitance, avec des évolutions législatives récentes (Loi du 30 juillet 2020).

LE SECRET, UNE RÉALITÉ EXIGEANTE

Depuis plus de deux cents ans, le Code pénal définit la violation du secret professionnel comme étant « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire » (Art. 226-13). Et le code de déontologie infirmière renvoie à ce texte fondateur (CSP, Art. R. 4312-5). Dans une excellente formule, le code de déontologie médicale ajoute que le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du professionnel dans l’exercice de sa profession « c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris » (CSP, Art. R. 4127-4). En bonne gardienne de l’intime, une infirmière peut donc être amenée à recevoir des confidences, mais aussi à interpréter les silences. Lorsqu’une personne a affaire à un soignant, elle va lui donner les informations nécessaires aux soins et, parfois, aller plus loin, se livrer, car elle sait que le professionnel de santé ne pourra rien révéler à des tiers. Il faut que le patient puisse faire des confidences, dire au soignant des choses dont il ne parlerait à personne d’autre. La relation de soin est une entrée dans l’intime, et le patient doit se sentir en confiance pour aborder des sujets certes personnels mais en réalité utiles pour la prise en charge.

Très forte, la règle du secret professionnel s’est installée comme une valeur sociale, de telle sorte que tout un chacun, même les plus vulnérables, la connaît sans avoir pour autant ouvert un livre de droit. En ce sens, les infirmières et infirmiers doivent avoir à cœur de défendre cette capacité à recevoir les confidences, comme une manière d’être, comme faisant partie des missions qui leur incombent. Et il n’y a pas de plus grande réussite que de voir un enfant pousser la porte de l’infirmerie au collège, car il sait qu’il pourra parler sans crainte à l’infirmière.

Alors, être toujours en situation de recevoir les confidences, de permettre l’expression et même les silences expressifs du patient, d’accord, mais que faire ensuite de ces confidences ? Et bien, la première réponse est d’admettre que, très souvent, on n’en fera rien, en tout cas rien de tangible… Ce rien sera en fait un trésor. Le secret va enrichir la relation, lui donner toute sa dimension humaine. Permettre aux patients de parler, que ce soit de leur maladie, de leurs inquiétudes, des choses qui les gênent ou de leurs failles intimes, constitue un pas de géant dans la relation de soin.

Mais quand il faut agir, la question se déplace : comment partager ces confidences, et avec qui ?

LE PARTAGE DU SECRET… JUSQU’OÙ ?

Le plus simple est d’aborder la question de ce partage avec le patient. Il est de la première importance d’encourager le patient à faire quelque chose de ces confidences, et donc d’en parler à d’autres. Il a commencé à raconter son histoire, et il doit en rester maître. Attention à ne pas l’en dessaisir ! S’ouvrir à d’autres soignants comme à l’infirmière peut être déclencheur et s’étendre à la relation entre le patient et le médecin, tout comme bénéficier aux proches ou à d’autres professionnels. L’infirmière, experte de la relation, met en place un accompagnement pour aider le patient à s’exprimer.

POUR LE RESTE, QUE DIT LA LOI ?

D’abord, il y a la zone de l’interdit, soit la communication à des tiers, des administrations et l’employeur. L’employeur aussi ? Oui à partir du moment où il existe une hiérarchie médicale et infirmière dans l’établissement, c’est cette filière soignante qu’il faut privilégier, en commençant par le cadre de proximité.

Faut-il l’accord du patient ? C’est toujours préférable et, chaque fois que cet accord sera possible, la relation y gagnera, mais la loi a simplifié le jeu en créant une présomption, très logique d’ailleurs : lorsqu’un patient est pris en charge dans un service d’un centre hospitalier, les informations confidentielles qui le concernent, qu’elles proviennent d’examens ou de confidences, sont présumées partagées au sein de l’équipe.

Jusqu’où va l’équipe ? Selon l’article L. 1110-12 du Code de la santé publique (CSP), « l’équipe de soin regroupe l’ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes. »

Trouver la limite devient plus difficile quand il faut élargir le cercle médical au monde du social, ce qui est nécessaire mais contrôlé. L’article R. 1110-1 du CSP précise que les professionnels participant à la prise en charge d’une même personne – donc médical et social – peuvent « échanger ou partager des informations relatives à la personne prise en charge », mais avec une double limite : « les seules informations strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention, ou au suivi médico-social et social de ladite personne », et « le périmètre de leurs missions ».

L’article R. 1110-2, issu du décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016, détaille la liste des professionnels de la sphère médico-sociale avec lesquels les professionnels de santé peuvent partager des informations relatives à une prise en charge, à savoir :

> les assistants de service social ;

> les ostéopathes, chiropracteurs, psychologues et psychothérapeutes non professionnels de santé par ailleurs, aides médico-psychologiques et accompagnants éducatifs et sociaux ;

> les assistants maternels et assistants familiaux ;

> les éducateurs et aides familiaux, personnels pédagogiques des accueils collectifs de mineurs ;

> les particuliers accueillant des personnes âgées ou handicapées ;

> les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et délégués aux prestations familiales ;

> les non-professionnels de santé exerçant dans les lieux de vie et d’accueil des personnes mineurs ou majeurs en état de dépendance ;

> les non-professionnels de santé partie prenante à la prise en charge d’une personne âgée en perte d’autonomie ;

les non-professionnels de santé membres de l’équipe médico-sociale compétente pour l’instruction des demandes d’allocation personnalisée d’autonomie.

Et les autres ? La loi ne permet pas le partage.

Quid des dénonciations en cas de mauvais traitements ?

Pour commencer, trois observations générales :

> face à ces situations complexes, ne pas trancher seul et prendre le temps de recueillir un avis, dans un cadre anonyme s’il le faut ;

> toujours prioriser l’impératif qu’est la protection de la personne, c’est-à-dire sa mise à l’abri ;

> se méfier des dénonciations trop rapides, qui peuvent déstabiliser la victime, et que la justice ne saura traiter.

Pour une personne soumise au secret, la dénonciation est une dérogation à ce principe, et elle doit suivre le texte régissant ces exceptions, à savoir l’article 226-14 du Code pénal, qui vient d’être modifié par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020. Quelles sont donc ces exceptions ? Elles sont bien précisées :

> tout professionnel en cas de privations ou de sévices – dont les atteintes ou mutilations sexuelles – infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger, auprès des autorités judiciaires, médicales ou administratives ;

> le médecin et tout autre professionnel de santé en cas de sévices ou privations permettant de présumer l’existence de violences physiques, sexuelles ou psychiques, avec l’accord de la victime, auprès du procureur de la République ou du service des informations préoccupantes du conseil départemental, et il n’est pas besoin de l’accord de la victime pour un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger ;

> le médecin et tout autre professionnel de santé en cas de violences exercées au sein du couple mettant la vie de la victime majeure en danger immédiat, auprès du procureur de la République et, dans la mesure du possible, avec l’accord de la victime majeure ;

> les professionnels de la santé et de l’action sociale pour les personnes dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une, auprès du préfet de police.

À chacun d’agir avec discernement et sans précipitation. Il reste enfin à souligner que de tels signalements n’engagent la responsabilité de leur auteur que s’il a agi de mauvaise foi.