L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

JE ME FORME

PHARMACO

Florence Bontemps*   Muriel Perriot**  


*Dr en pharmacie, Défimédoc, avec la participation de
**infirmière clinicienne

1 DE QUOI PARLE-T-ON ?

Le tramadol est un analgésique de palier II, comme la codéine et l’opium. C’est un opioïde faible. Il est indiqué dans les douleurs modérées à intenses.

Un mode d’action double

morphinique et antidépresseur-like Le tramadol a un double mécanisme d’action. C’est à la fois un agoniste des récepteurs opioïdes mu (comme la morphine) et un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (comme certains antidépresseurs).

• Il a donc des effets indésirables et des contreindications supplémentaires par rapport aux autres opioïdes (codéine, morphine…), (lire p. 42).

• La puissance analgésique du tramadol est 6 à 10 fois inférieure à celle la morphine.

Différentes formes

Formes à libération immédiate (LI)

• Elles sont dosées à 50 ou 100 mg/unité (gélules, comprimés, comprimés effervescents). Le tramadol agit en 30 à 60 minutes, pour une durée d’action de 4 à 6 heures. Certaines spécialités associent tramadol et paracétamol ou tramadol et AINS (Skudexum : tramadol + dexkétoprofène).

• Toutes ces formes sont réservées à l’adulte et à l’enfant de plus de 15 ans.

Formes à libération prolongée (LP)

• Elles sont dosées à 50, 100 (attention au risque de confusion avec les tramadol 50 mg et 100 mg LI), 150, 200 et 300 mg LP. Le délai d’action est de 5 à 6 heures, et la durée d’action de 12 à 24 heures.

• Le tramadol LP peut être prescrit à partir de 12 ans.

Formes injectables IV

• Le tramadol peut être injecté par voie intraveineuse lente (2-3 minutes), ou encore mis en solution pour administration par perfusion ou par un dispositif d’analgésie contrôlée par le patient.

• La dose d’attaque est de 100 mg, suivie de doses complémentaires de 50 mg toutes les 10-20 minutes si nécessaire au cours de la première heure sans dépasser au total 250 mg.

• Ultérieurement, 50 ou 100 mg peuvent être administrés toutes les 4-6 heures sans dépasser une dose totale quotidienne de 600 mg.

Les posologies orales

• La posologie maximale de tramadol oral chez l’adulte est de 400 mg/jour.

• On peut associer les formes LP (en traitement de fond) et LI (en cas de douleur aiguë), sans dépasser 400 mg/jour au total en cumul (lire tableau ci-contre pour la répartition des doses).

• Il n’y a pas d’adaptation posologique nécessaire avant 75 ans si le patient ne présente pas d’insuffisance hépatique ou rénale.

Grossesse et allaitement

• D’après le Centre de référence des agents tératogènes (www.lecrat.fr), le tramadol ne présente pas de risque tératogène.

• Le tramadol passe le placenta, mais l’utilisation du tramadol en traitement bref semble possible quel que soit le terme.

• En cas d’allaitement, il est préférable d’utiliser un autre antalgique.

2 QUE FAUT-IL SAVOIR/ SURVEILLER ?

Au domicile ou en structure de soins, le rôle de l’infirmière se décline à plusieurs niveaux : surveiller la bonne prise du traitement et les effets indésirables, évaluer la douleur et l’efficacité du traitement, tracer et transmettre les résultats des évaluations pour ajuster le traitement si nécessaire.

Les effets indésirables

Ils sont nombreux et peuvent être sévères :

• troubles neurologiques fréquents : vertiges, risque de convulsions et de somnolence (risque de chute chez le patient âgé) ;

• troubles psychiatriques à type de confusion et hallucinations peuvent survenir ;

• Le tramadol abaissant le seuil épileptogène, il peut provoquer des crises d’épilepsie chez les patients épileptiques mal contrôlés ;

• troubles gastro-intestinaux fréquents : nausées chez plus de 10 % des patients et constipation chez 1 à 10 % des patients ;

• risque de dépendance et de syndrome de sevrage à l’arrêt après un traitement long ;

• dépression respiratoire en cas de surdosage ou d’associations à des médicaments dépresseurs respiratoires ;

• hypoglycémies même chez le patient non diabétique et hyponatrémies.

Interactions médicamenteuses

Beaucoup d’associations médicamenteuses nécessitent un suivi rapproché. Les risques sont :

• augmentation du risque de somnolence (et de chutes chez la personne âgée) en cas d’associations à des substances sédatives (benzodiazépines…) et à l’alcool ;

• augmentation du risque de convulsions avec les médicaments qui, comme le tramadol, abaissent le seuil épileptogène : la plupart des antidépresseurs, les neuroleptiques, les fluoroquinolones ;

• augmentation du risque de syndrome sérotoninergique par cumul d’effet en cas d’association à certains antidépresseurs, au millepertuis ;

• augmentation du risque de dépression respiratoire (coma et décès) en cas d’association à une benzodiazépine ou à un autre dérivé morphinique (dont antitussifs) ;

• Le tramadol peut augmenter l’effet d’un AVK et le risque hémorragique.

Précautions et contre-indications

Le tramadol n’est pas actif directement. Il nécessite une transformation en métabolite actif.

• Chez certains patients qui ont un déficit enzymatique, le tramadol n’est pas ou peu métabolisé, donc pas ou peu efficace. 7 % de la population européenne serait dans ce cas.

• À l’inverse, chez certains patients qui transforment très rapidement le tramadol en métabolite actif (très fréquent chez les populations africaines/éthiopiennes), le tramadol peut être toxique même aux posologies habituelles.

• En cas d’insuffisance rénale même modérée (DFG < 60 ml/min), ne pas utiliser les formes LP, espacer les prises LI toutes les 12 heures, et ne pas dépasser 200 mg/j (au lieu de 400 mg).

• De même chez les patients de plus de 75 ans : espacer les formes à libération immédiate d’au moins 6 heures.

3 COMMENT ADMINISTRER ?

Formes à libération immédiate

• Le tramadol se prend au cours ou en dehors des repas.

• Les comprimés LI ne doivent pas être écrasés (pas d’étude).

• Les gélules LI peuvent être ouvertes et administrées dans un yaourt ou dans un peu d’eau.

• Les comprimés effervescents et la forme goutte (1 goutte = 2,5 mg de tramadol) sont une alternative.

• Chez les patients sondés, l’utilisation des formes liquides doit toujours être préférée. En cas de sonde duodénojéjunale, le tramadol risque d’être moins bien absorbé car il est absorbé au niveau de la partie haute du jéjunum.

Formes à libération prolongée

• Les comprimés LP ne doivent en aucun cas être coupés ou écrasées. Risque de surdosage grave.

• Certaines gélules LP peuvent être ouvertes et administrées immédiatement avec un aliment semi-liquide car ce sont des microgranules à libération prolongée (ex : Monoalgic LP).

RÉFÉRENCES

  • 1. www.medicaments.gouv.fr
  • 2. sitegpr.com/fr/rein/recherche-par-medicaments (réservé aux abonnés)
  • 3. Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (Crat), « Tramadol – Grossesse et allaitement », mise à jour 20 septembre 2019. En ligne sur : bit. ly/2QE4BZi
  • 4. ANSM, CONTRAMAL, TOPALGIC et génériques IXPRIM et ZALDIAR, 18/09/2012. En ligne sur : bit.ly/3ierDCj
  • 5. ANSM, « Solution buvable de tramadol chez l’enfant : attention aux erreurs médicamenteuses – Point d’information », 16/06/2016. En ligne sur : bit.ly/31EIA3a
  • 6. Collège national de pharmacologie médicale, « Opiacés faibles », 31/07/2017. En ligne sur : bit.ly/3k55aZa
  • 7. Perrin, É., Séguineau de Préval, L., Marsaudon, É., « Chutes… de sucre », La Revue du praticien Médecine générale 1 Tome 27, n° 897, mars 2013
  • 8. Direction de la Surveillance Pôle Pharmacovigilance - Addictovigilance, « Suivi national de pharmacovigilance du tramadol », CT0120160 13/09/2016, Dr Patrick Maison.
  • 9. ANSM, « Thesaurus interactions médicamenteuses », sept. 2019. En ligne sur : bit.ly/3b7IF2d
  • 10. Haute Autorité de Santé (HAS), Fiche Mémo « Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l’enfant : alternatives à la codéine », janvier 2016.
  • 11. Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance – addictovigilance (CEIP-A), « Décès toxiques par antalgiques – Résultats 2016 ».
  • 12. Collège national de pharmacologie médicale, « Opiacées : les points essentiels », 31/05/2017. En ligne sur : bit.ly/3hiTnEL

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt

Attention : dans les spécialités à 100 mg et 200 mg LP, certaines s’administrent une fois par jour, d’autres deux fois par jour

Attention au risque de confusion entre la forme LP et LI au même dosage

Le tramadol est contreindiqué en cas d’insuffisance hépatique sévère, d’épilepsie non contrôlée par un traitement et d’insuffisance respiratoire sévère.

Enfants : attention au respect de la posologie

Des erreurs médicamenteuses ont eu une issue fatale chez l’enfant. Les prescriptions doivent être soigneusement vérifiées et expliquées aux parents. Il y a danger de mort en cas de surdosage.

• La forme goutte buvable peut être prescrite à partir de 3 ans.

• Une goutte = 2,5 mg de tramadol. La prescription doit être en nombre de gouttes/prise et en nombre de prises/jour.

• La posologie habituelle est de 1 mg/kg/prise, soit 0,4 goutte/kg/prise.

• La posologie maximale est de 2 mg/kg/prise, soit 0,8 goutte/kg/prise.

• Le flacon doit être tenu verticalement jusqu’à ce que les gouttes tombent. La solution peut être administrée dans un peu d’eau ou sur un morceau de sucre.

• Tenir le flacon hors de portée des enfants !

Vigilance

Syndrome sérotoninergique : un effet indésirable rare mais parfois létal

• Le tramadol inhibe la recapture de la sérotonine. Il peut entraîner un syndrome sérotoninergique dû à l’excès de sérotonine au niveau synaptique.

• Ce syndrome survient en particulier en cas d’association avec un autre médicament sérotoninergique (antidépresseurs ISRS ou IMAO).

• Les symptômes sont : agitation, confusion, tachycardie, hyperthermie, tremblements, diarrhées…

À retenir

• La dose totale maximale est de 400 mg/jour toutes formes cumulées.

• Nombreuses interactions pouvant majorer la somnolence, les convulsions, la dépression respiratoire.

• Ne pas confondre les formes LI (à libération immédiate) et LP (à libération prolongée).

• Les gélules LI et certaines LP peuvent être ouvertes mais les comprimés de tramadol ne doivent jamais être écrasés.

• Si le patient a plus de 75 ans ou s’il est insuffisant rénal, les doses doivent être diminuées.

• Vérifier qu’il n’y a pas d’arrêt brusque du traitement.

• Si le patient est sous fluoxétine ou paroxétine (antidépresseur) : risque de syndrome sérotoninergique.

• Si le patient est sous neuroleptique ou si une fluoroquinolone est prescrite (ofloxacine, ciprofloxacine…) : risque de crise d’épilepsie.

• Si le patient est sous benzodiazépines : risque de dépression respiratoire.