L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

EXERCICE COORDONNÉ

JE DÉCRYPTE…

POLITIQUE SANTÉ

Laure Martin  

La crise sanitaire a propulsé sur le devant de la scène les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), des regroupements censés améliorer la coordination des soignants sur un territoire donné. Mais qu’en est-il concrètement ?

Créées par la loi Santé de 2016, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) commencent à s’imposer dans le paysage sanitaire français. La crise du Covid-19 n’est pas étrangère à ce sursaut de visibilité. « Pendant la crise sanitaire, l’organisation en CPTS a permis l’expression d’une réelle solidarité entre les professionnels de santé libéraux », souligne Thierry Pechey, infirmier libéral (Idel) et membre du bureau de la CPTS de la Métropole du Grand Nancy (Grand-Est), qui rassemble environ 500 professionnels de santé et couvre un bassin de 255 000 habitants. « La crise nous a permis de nous organiser, nous fédérer, nous entraider », renchérit Audrey Ferullo, également Idel et vice-présidente de la CPTS Aix Sainte-Victoire (Provence-Alpes-Côte d’Azur), qui regroupe une cinquantaine de professionnels adhérents, pour un bassin de 150 000 habitants. « Elle a aidé à faire comprendre le but d’une CPTS sur un territoire. » D’après les chiffres de la Fédération des CPTS (FCPTS), fin mai 2020, 129 CPTS étaient constituées, dont 21 ayant signé l’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI), et 261 étaient en cours d’élaboration. Cet accord, signé le 20 juin 2019 entre les syndicats représentatifs des différentes professions de santé et l’Assurance maladie, vise à apporter un soutien financier aux CPTS ayant contractualisé avec leur agence régionale de santé (ARS) et leur Caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) (lire p. ??). Pour y prétendre, les CPTS doivent répondre en priorité à trois missions. La première consiste à faciliter l’accès aux soins des patients à travers deux leviers : l’accès à un médecin traitant et l’amélioration de la prise en charge des soins non programmés en ville. La deuxième mission porte sur l’organisation des parcours des patients en vue d’assurer une meilleure coordination entre les acteurs, d’éviter les ruptures de parcours et de favoriser le maintien à domicile des patients. Enfin, la troisième concerne le champ de la prévention.

FÉDÉRER AUTOUR D’UN PROJET DE SANTÉ

Il va s’en dire que les CPTS, encore en cours de déploiement, se concentrent sur ces trois missions pour élaborer leur projet de santé, ce dernier devant définir les problématiques prioritaires du territoire couvert par le regroupement. Pour permettre une identification concrète de ces problématiques, les instigateurs de la CPTS se doivent d’abord de mobiliser et fédérer leurs confrères libéraux afin, ensuite, de se rassembler et d’échanger au sein de groupes de travail généralement avec d’autres partenaires (établissements hospitaliers publics ou privés, structures médico-sociales, services d’aide à la personne, etc.). Un travail qui ne se fait pas du jour au lendemain, et dont l’issue est aussi « personnalités-dépendant ». Au sein de la CPTS de la Métropole nancéienne, par exemple, les professionnels de santé « se sont retrouvés les soirs, pendant un an et demi, d’abord à une dizaine », indique Thierry Pechey dont la CPTS n’a pas encore signé l’ACI. « Puis les rangs ont grossi, avec les hospitaliers notamment qui nous ont rejoints. »

Autre cas de figure, la CPTS Pôle de santé de Bergerac (Nouvelle Aquitaine), qui a signé l’ACI le 12 mars, est née du glissement d’un collectif d’infirmiers libéraux, vers un pôle de santé, devenue ensuite CPTS. Cette dernière regroupe 130 professionnels de santé. « Ces six dernières années, nous avons appris à nous parler, à confronter nos opinions, à soulever des problèmes et trouver des solutions », rapporte Laëtitia Carlier, infirmière libérale, ancienne présidente de la CPTS, aujourd’hui chargée de mission téléconsultation. « Ce dialogue interprofessionnel est loin d’être toujours facile, mais il est fondamental. »

Une fois les problématiques identifiées, des solutions et des leviers doivent permettre d’améliorer le parcours patient et sa prise en charge. Car c’est bien là tout l’objectif des CPTS, et la coopération interprofessionnelle en est la clé de voûte, « pour faire tomber les barrières entre les secteurs libéral et hospitalier », soutient Audrey Ferullo.

UN RENFORCEMENT DU LIEN VILLE-HÔPITAL

« Les entrées et sorties d’hospitalisation, la gestion des soins non programmés, la problématique de l’Hospitalisation à domicile, la mise en place des cellules de coordination des parcours des patients complexes, toutes ces questions entrent dans la problématique du lien ville-hôpital, note David Guillet, vice-président de la FCPTS et infirmier libéral. La CPTS est l’organe qui permet à l’hôpital d’avoir un interlocuteur en libéral. » La Dr Christine Perret-Guillaume, gé riatre au CHRU de Nancy, qui représente les établissements publics de santé du Grand Nancy au sein de la CPTS de la Métropole nancéienne, confirme : « La CPTS est le lieu où nous pouvons travailler à améliorer la transmission des informations, le partage du plan de soin afin d’éviter les réhospitalisations. »

À titre d’exemple, au sein de la CPTS Aix Sainte-Victoire, la prise en charge des patients psychiatriques a été identifiée comme l’une des problématiques du territoire. « Souvent en rupture de soins, les patients ont un taux de réhospitalisation élevé, rapporte Audrey Ferrulo. Notre objectif est donc de travailler sur ces parcours, en pluriprofessionnalité, avec le Centre hospitalier de Montperrin, membre du conseil d’administration de la CPTS, afin d’identifier les différents stades qui posent problème et d’apporter des solutions concrètes. » Mais, pour décloisonner les rapports entre les deux secteurs, il faut travailler à une meilleure communication. « Il y a un vrai problème au niveau des informations transmises, en raison notamment du manque d’outils interopérables sur le partage des données », rappelle la co-présidente de la CPTS. Les CPTS peuvent ainsi participer à cette réflexion en faisant remonter les problématiques de terrain, qui peuvent être davantage prises en compte lorsqu’elles sont verbalisées et pointées du doigt. « En tant qu’Idel, c’est une vraie problématique pour notre exercice, regrette Thierry Pechey. Nous avons peu d’informations qui redescendent de l’hôpital vers la ville. Avec la CPTS, nous nous battons pour que les Idels soient intégrées aux outils numériques, en cours de déploiement. » « C’est le cas notamment avec notre outil Harmonisation à l’admission en hospitalisation des pratiques de recueil et de partage d’informations facilitant la coordination des professionnels (Harpicoop), déployé entre le centre hospitalier et les médecins traitants dans le cadre du Groupement hospitalier de territoire (GHT) afin de les informer des hospitalisations et des sorties de leur patient, poursuit la Dr Perret-Guillaume. Mais aujourd’hui, il faut réfléchir en interprofessionnalité. » L’objectif est donc d’y intégrer les infirmières et plus largement l’ensemble des acteurs concernés par la prise en charge d’un patient. « Lorsque la CPTS y parviendra, toutes les informations utiles seront transmises aux acteurs concernés pour une meilleure continuité des parcours », se félicite le médecin, précisant toutefois qu’un tel déploiement prend du temps.

AMÉLIORER LE PARCOURS PATIENT

Autre outil pouvant participer à l’amélioration des parcours patients : la téléconsultation, dont les CPTS se sont emparés. Dans les tuyaux depuis de nombreuses années, elle a été portée par la crise sanitaire, qui a accéléré son déploiement. « Il y a encore un an, la France comptabilisait seulement 20 000 consultations en télémédecine, rappelle David Guillet. Avec la crise sanitaire, en deux mois, 1,2 million d’actes ont été réalisés. » Un effet d’aubaine pour les patients, puisque le déploiement de la téléconsultation permet d’offrir une réponse au problème d’accessibilité aux généralistes, mais aussi aux spécialistes. La CPTS de la Métropole nancéienne y travaille « notamment en oncogériatrie afin de fluidifier les parcours, souligne la Dr Perret-Guillaume. La CPTS s’avère être le lieu d’amélioration des pratiques afin de désenclaver les systèmes et les professions, et ainsi éviter les ruptures. » De son côté, la CPTS Pôle de santé de Bergerac s’est lancée dans la téléconsultation en septembre 2019 avec la rédaction d’un projet dédié. « Il y a encore quelques mois, ce n’était pas si simple de motiver les médecins à réaliser des actes de téléconsultation, constate Laëtitia Carlier. La crise sanitaire a ouvert la voie. Notre programme a d’abord été écrit entre libéraux et, aujourd’hui, nous y travaillons avec les spécialistes de l’hôpital et de la clinique pour le déployer et améliorer le parcours patient. »

Toujours dans cette optique, la CPTS réfléchit avec l’hôpital, les associations et la Plateforme territoriale d’appui (PTA) sur le repérage des fragilités. « Les libéraux ne sont pas très au fait de cette problématique, reconnaît-elle. Ce n’est pas toujours facile d’identifier le moment où les patients peuvent basculer. » Un travail est donc mené pour définir les moments d’intervention optimaux et l’orientation des patients par les libéraux.

À Aix Sainte-Victoire, le maillage du territoire, rendu possible par l’adhésion des professionnels de santé à la CPTS, va être complété par la création d’un annuaire partagé. « Nous devons savoir quel soignant est prêt à travailler sur quel type de prise en charge et sur quelle zone, pointe du doigt Audrey Ferullo. Car nous nous trouvons confrontés à des carences de prises en charge des patients complexes, des personnes dépendantes, mais aussi des enfants de moins de dix ans. » Au sein de l’annuaire partagé seront référencés les compétences des professionnels de santé et leur mode d’intervention afin de perdre le moins de temps possible dans le parcours patient. La CPTS a aussi l’ambition de mettre en place un planning partagé pour permettre un accès aux médecins traitants, aux patients qui n’en disposent pas. « Lorsque les professionnels de santé échangent au sein de la CPTS et que le parcours patient est lisible, l’organisation de l’offre de soin le devient également pour la population, remarque David Guillet. L’objectif est donc de mettre en place des outils simples, sur la base du volontariat. » Et de conclure : « La participation des professionnels de santé sera grande si nous parvenons à démontrer la plus-value des CPTS. »

Savoir +

LE FINANCEMENT DES CPTS

Créées en 2016 par la loi de modernisation de notre système de santé, les CPTS peuvent obtenir une aide financière dans le cadre de l’ACI. Elle est proportionnelle au bassin de population couvert par la CPTS et à l’étendue des missions conduites. Elle se situe entre 185 000 euros par an pour les plus petites communautés et 380 000 euros par an pour les plus vastes. L’accord prévoit une rémunération autour de deux volets :

• le premier pour contribuer au fonctionnement de la CPTS avec, notamment, le recrutement d’un coordonnateur ;

• le second pour rémunérer les missions conduites : financement des moyens déployés pour la réalisation des missions, temps dédié par les professionnels, acquisition d’outils numériques de coordination et financement en fonction des objectifs atteints.

Source : Assurance maladie