L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

J’EXPLORE

PRATIQUES AVANCÉES

Sandrine Lana  

Ni « super infirmière », ni « médecin low-cost », Ludivine Videloup attend d’être reconnue en tant qu’infirmière en pratique avancée. Une situation administrative en stand-by alors que, sur le terrain, l’IPA a déjà endossé ses missions.

De la coordination à la pratique avancée, la trajectoire de Ludivine Videloup, semblait toute tracée. En poste au CHU de Caen depuis 2004, elle est infirmière coordinatrice en néphrologie en 2013. Avide d’en savoir toujours plus et allergique à la routine, elle a souhaité ne pas en rester là et devenir infirmière en pratique avancée (IPA). « Au bout de quelques années, la réflexion était de savoir comment faire évoluer ce poste et améliorer les parcours des patients en se basant sur des données plus scientifiques et moins empiriques. »

Dans le cadre de son rôle de coordinatrice (un poste novateur en 2013), on l’incite à passer un diplôme universitaire. « J’ai cherché des DU mais je ne trouvais pas ce qui me correspondait. J’ai trouvé le master en sciences cliniques infirmières/parcours de soins complexes à Aix-Marseille Université en 2016. » Ce master, pourtant précurseur en pratique avancée, ne lui suffisait pas. Elle intègre dans la foulée l’université Paris-Diderot. « J’y ai reçu les unités d’enseignement qui me manquaient dans le master généraliste de Marseille, surtout ceux liés à la néphrologie pure : la clinique, la pharmacologie, la dialyse, la surveillance de dialyse, que je mets maintenant en pratique au quotidien. Il me manquait aussi un stage en néphrologie, que j’ai refait à Paris. » Forte de sa nouvelle formation, elle reprend son poste au CHU de Caen.

Actuellement, elle est toujours infirmière coordinatrice, « même si j’ai aujourd’hui les missions d’infirmière en pratique avancée et le diplôme. Je suis les patients porteurs d’une maladie rénale chronique (MRC). Mes objectifs sont de ralentir la progression de la maladie, de préparer les patients aux traitements de suppléance (dialyse et greffe), de favoriser la greffe préemptive (avant la dialyse) et de réduire les problèmes aigus. »

AUTONOMIE EN CONSULTATION

Quand Ludivine Videloup est montée en compétence et devenue IPA, les néphrologues y ont trouvé leur intérêt, notamment dans le suivi des patients. Lorsque ces derniers arrivent à un stade avancé de pré-dialyse, ils sont reçus une fois par mois en consultation clinique. C’est une charge de travail importante pour les spécialistes. De concert, les médecins et l’IPA développent des consultations en alternance. « Cela fait partie du protocole qui me permet d’exercer : je vois les patients au maximum trois fois d’affilée. Je fais des examens cliniques et j’analyse les prises de sang. Je suis aussi beaucoup plus sensible au repérage de problématiques qu’avant. Si je juge que le bilan s’est aggravé ou s’il y a un critère aigu de dialyse imminente, je ne laisse pas repartir le patient et je l’adresse au néphrologue. C’est vraiment ça la pratique avancée : se demander “Ai-je les compétences pour gérer et, sinon, à qui faire appel ?” »

En plus de cette liberté de réflexion, la pratique avancée la pousse à aller chercher des réponses dans des articles scientifiques, par exemple sur Pubmed… « Les choses ont changé lorsque ma cadre de santé a passé une thèse, et quand j’ai eu mon master en pratique avancée. Les néphrologues adressent aux infirmières les articles scientifiques intéressants. Avant, ils se les échangeaient entre médecins. » Dans le service, les mentalités évoluent et les infirmières ont davantage voix au chapitre. Cela s’est illustré lorsqu’une question éthique s’est un jour posée : « Un patient de quatre-vingt-dix ans entre dans le service de néphrologie. L’équipe lui présente la dialyse comme une solution. Cependant, il a également la possibilité de choisir les soins palliatifs et de ne pas être dialysé. À ce moment-là, les néphrologues du service m’ont consultée pour avoir mon avis sur la situation. C’était valorisant. » Chacun ose prendre la parole, affirmer sa place pour le bienêtre du patient. « Il y a une émulsion et une bonne dynamique. On ose aussi dire : “On peut porter de bonnes idées.” »

En outre, des projets d’équipes sont nés suite à sa formation. « J’ai mené une recherche sur l’impact d’une infirmière coordinatrice (à défaut d’IPA) sur les débuts de dialyse en urgence. Je voulais étudier si la mise en place de ce type de poste réduit les arrivées en urgence des patients porteurs d’une MRC, qui représentent de 30 à 33 % des nouveaux patients en dialyse tous les ans en France. » Un article est en cours de relecture pour une revue scientifique.

L’IPA, NI UN « MANAGER CLINIQUE »…

Pour ce qui est de la reconnaissance au sein de l’équipe du service, cela n’a posé problème à aucun moment. « Ma cadre de santé a un rôle majeur pour dire les missions de chacune. Il fallait vraiment le faire dès le début. J’interviens avant la coordinatrice de transplantation. S’il y a un parcours de greffe, c’est elle qui va voir le patient et qui va construire le dossier en partenariat avec les néphrologues. On a des compétences différentes. Elle est plus compétente pour monter des dossiers de greffe, accompagner des patients en post-greffe et les éduquer. Elle voit que les champs d’actions de l’IPA sont un peu plus larges grâce au master. L’IPA est décrite comme un manager clinique. Elle a des compétences au service des patients et des équipes. Là, je me sens épanouie dans cette nouvelle dimension de mon rôle. » L’infirmière tient à préciser que « si un service n’a pas établi qu’une IPA était nécessaire pour améliorer les parcours de soin, cela ne sert à rien de former quelqu’un ! »

Malgré tout Ludivine Videloup essuie les plâtres. Étant l’une des premières diplômées en pratique avancée en France, la reconnaissance salariale prend du temps. « Ma fiche de poste n’a pas encore changé d’intitulé, et j’attends de passer sur la grille salariale des IPA. Je suis diplômée et j’ai le droit d’exercer mais, au sein de l’hôpital, je ne fais pas de prescription parce que le rythme administratif n’est pas le même que le mien. Il faut que l’établissement s’assure que juridiquement tout est en ordre. », indique-t-elle, confiante.

En dehors du service, Ludivine est également formatrice sur la MRC et sur les parcours de dialyse. Elle promeut également le rôle des infirmières, et tout particulièrement de l’IPA, en Ifsi, auprès des cadres de santé ou encore auprès des professionnels libéraux. « Je parle également aux directeurs de soins qui découvrent parfois la pratique avancée, afin qu’ils puissent l’envisager dans leur structure. Le milieu infirmier manque de reconnaissance, il est vraiment en souffrance. Le master m’a permis d’avoir cette valorisation motivante de mon travail même s’il y a encore des efforts à faire. On est précurseur et on va y arriver. On voit des portes qui s’ouvrent et c’est à développer », ajoute-t-elle optimiste.

… NI UNE « SUPER INFIRMIÈRE »

Selon l’infirmière, la pratique avancée est encore trop mal comprise par les confrères et consœurs du secteur hospitalier, médical et paramédical. « Il y a ceux qui ne s’y sont pas encore intéressés dans les établissements, mais cela viendra. Par ailleurs, il y a deux choses qu’il faut éliminer absolument : d’une part les médecins qui pensent que nous sommes des médecins low-cost et que nous sommes là pour faire leur travail. Je suis une infirmière qui a acquis des nouvelles choses, certes, comme après l’école des cadres ou d’Iade ou d’Ibode. Mais je n’ai pas du tout envie de prendre la place des médecins. Ensuite, il faut que ce soit clair que nous ne sommes pas des “super infirmières”, comme on dit parfois en anglais. Je bannis ce terme. Ça sous-entend que les autres infirmières ne sont pas “super”. Je fais des choses différentes, et je ne suis pas mieux qu’elles. »

Diplômée depuis un an, elle a déjà reçu des élèves infirmières en pratique avancée dans son service de néphrologie au cours des stages obligatoires durant le parcours universitaire en pratique avancée. Elle les guide patiemment dans leurs questionnements pendant leur formation.

RÉFÉRENCES

  • • Décret no 2019-835 du 12 août 2019 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée et à sa prise en charge par l’assurance maladie.
  • • Arrêté du 12 août 2019 modifiant les annexes de l’arrêté du 18 juillet 2018, fixant les listes permettant l’exercice infirmier en pratique avancée en application de l’article R. 4301-3 du Code de la santé publique.
  • • Arrêté du 12 août 2019 modifiant l’arrêté du 18 juillet 2018 relatif au régime des études en vue du diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée.
  • • Médecine Sorbonne université, formation « Pratiques avancées en soins en néphrologie et en transplantation rénale » bit.ly/3hXoFRU

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