L'infirmière n° 002 du 01/11/2020

 

JE ME FORME

SCIENCES HUMAINES

Pascale Wanquet-Thibault  

La vision souvent idéalisée du rôle du soignant laisse sous-entendre que l’empathie est une qualité innée, dont ces professionnels seraient naturellement dotés. Pourtant, cela s’apprend, se cultive et évolue avec l’expérience.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

Le Larousse définit l’empathie comme « la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent », ce qui peut laisser penser qu’il s’agit d’une qualité innée, ne nécessitant pas de formation spécifique car naturellement acquise par qui souhaite prendre soin d’autrui.

Le mot, qui date du XIXe siècle, vient initialement de la philosophie esthétique allemande (traduction du terme Einfühlung), et désigne une forme de compréhension intuitive d’une œuvre d’art. Il entre ensuite dans le domaine de la psychologie. Le psychologue américain Carl Rogers définit alors l’empathie comme « la capacité à percevoir le monde subjectif d’autrui “comme si” on était cette personne, sans toutefois jamais perdre de vue qu’il s’agit d’une situation analogue, “comme si” ». Il a associé ce concept à la relation d’aide, afin que les infirmières, considérées alors comme trop techniciennes, puissent développer leurs compétences dans le champ de l’accompagnement des personnes malades.

Souvent confondue avec la sympathie et la compassion (lire encadré p. 41), l’empathie peut se définir comme la capacité à identifier le fonctionnement de l’autre, particulièrement sur le plan émotionnel, en faisant abstraction, autant que faire se peut, de ses propres émotions, de son propre fonctionnement psychique, mais sans toutefois l’oublier totalement.

Pour le psychologue clinicien Antoine Bioy, il existe deux sortes d’empathie, une qu’il qualifie de facile et une autre de difficile. Dans le premier cas, le monde du soignant et celui du patient sont très proches. Les attentes de la personne malade correspondent aux propositions du soignant, et celui-ci se sent alors reconnu, entendu et valorisé, car il répond aux besoins du patient, et tous deux se comprennent.

En revanche, dans les situations où l’empathie est difficile, les mondes du soignant et du soigné sont très différents, voire diamétralement opposés. Le premier est contraint de mobiliser ses compétences pour se placer dans un état d’empathie, afin d’accéder et de comprendre le point de vue du patient et les émotions que celui-ci traverse (lire le cas clinique p. 42). Et parfois, l’antipathie n’est pas très loin. C’est le cas, par exemple, lorsque le soigné présente des difficultés d’observance de son traitement. Il peut être difficile pour le soignant de faire preuve d’empathie tant les arguments du patient sont éloignés de ce qu’il pense être le « bon soin ». L’absence d’empathie peut alors amener le soignant à se considérer comme un mauvais professionnel, ou pire encore, à porter un jugement de valeur sur le patient n’ayant pas accès à ses modes de références. Ce dernier devient dès lors « un patient difficile ». Une situation qui peut mener à la maltraitance ou au délaissement du malade.

COMMENT ÇA FONCTIONNE ?

Pour le neurobiologiste Jean Decety, « il n’y a pas une région cérébrale unique. L’empathie est un concept phénoménologique regroupant plusieurs capacités… Les études montrent que l’empathie implique les circuits neurophysiologiques de l’expression des émotions (le cortex somatosensoriel, l’insula, le cortex cingulaire, le cortex préfrontal ventro-médian et l’amygdale), mais aussi le système nerveux autonome (qui régule notamment la respiration et le rythme cardiaque) ainsi que les systèmes hormonaux du cerveau ».

On distingue l’empathie affective, qui permet de ressentir les émotions d’autrui et l’empathie cognitive qui s’intéresse prioritairement aux pensées d’autrui. Concernant l’empathie émotionnelle, les neurones miroir semblent jouer un rôle prépondérant. Elle se développe à partir de 14 mois, tandis que l’empathie cognitive, elle, se développe dès l’âge de 4-5 ans. L’éducation semble alors primordiale dans le développement d’un comportement empathique.

SON APPLICATION DANS LE MÉTIER D’INFIRMIER

Être empathique semble être quelque chose d’évident tout au long d’une journée de travail. Mais il est toutefois intéressant d’identifier les circonstances précises au cours desquelles le professionnel de santé met en œuvre cette capacité envers la personne à soigner. On peut distinguer :

→ le temps de la relation de soin : si faire preuve d’empathie au cours d’un soin, quel qu’il soit, est nécessaire, cela peut parfois être difficile. Ainsi, face à un patient phobique, anxieux face à un soin technique, être empathique signifie accepter cette crainte et se garder de considérer que Mme M. « en fait quand même un peu trop pour une simple prise de sang ! » Être empathique c’est également être en capacité d’adapter son langage, sa gestuelle, les mesures mises en œuvre afin que le patient puisse trouver les réponses et les ressources nécessaires pour recevoir son soin dans les meilleures conditions possibles ;

→ lors des consultations infirmières, le soignant est dans l’empathie lorsqu’il accompagne un patient dans l’évolution de son traitement et est en capacité d’entendre un refus de soin ;

→ dans la mise en place d’une relation d’aide (lire encadré ci-dessus), le professionnel de santé doit se placer dans une attitude empathique afin d’adapter au mieux son accompagnement à l’évolution de la personne soignée ;

→ dans les démarches d’éducation thérapeutique, l’empathie permet d’accompagner et d’adapter les différents apprentissages en fonction des capacités du patient à les intégrer, tant sur le plan cognitif qu’émotionnel.

DES QUALITÉS SPÉCIFIQUES

Être empathique implique un certain nombre de qualités spécifiques, parmi lesquelles l’écoute, la disponibilité, tant en termes de temps que de psychisme, une attention sans cesse centrée sur le patient et un intérêt pour l’autre.

Faire preuve d’empathie sous-entend également d’être en mesure de contrôler ses propres émotions. Le terme de contrôle paraît préférable à celui de gestion. Contrôler ses émotions et les réactions qu’elles sont susceptibles de générer signifie que le soignant reste toujours attentif, à l’écoute, en observation de ses propres ressentis lors de la rencontre avec le patient, qu’il est capable de ne pas laisser les émotions que l’attitude du patient peut provoquer l’envahir ou, si c’est le cas, de solliciter de l’aide auprès de ses collègues, afin que le malade reste toujours au centre des préoccupations de l’équipe.

Comme le souligne l’ancienne infirmière et cadre de santé So-Yung Straga, être dans l’empathie implique d’adopter une attitude en phase mais également d’avoir les paroles appropriées à la situation du moment.

ACCEPTER SES LIMITES

Il est impossible d’être empathique en toutes circonstances, certaines situations étant plus accessibles que d’autres. Par ailleurs, pour un soignant, être empathique implique une sollicitation de tous les instants et une adaptabilité permanente, car en passant d’un patient à un autre, les réactions pour une situation relativement similaire peuvent être très différentes. Enfin, le professionnel de santé est parfois confronté à des cas extrêmes pour lesquels il doit rapidement se placer dans une attitude empathique adaptée face aux réactions du patient et/ou de son entourage. Mais la capacité d’empathie de chacun est limitée par la charge émotionnelle vécue par le soignant au cours de son temps d’exercice professionnel.

SE FORMER À L’EMPATHIE

Ainsi, il semble nécessaire, outre les aptitudes initiales et particulièrement la mise en œuvre de ses capacités d’intuition, de se former à être empathique, en particulier lorsque le monde du patient est à l’opposé de celui du soignant. Pour le docteur Philippe Baudon, on ne vient pas au monde empathique, et il paraît nécessaire de mettre en place des formations dans les cursus universitaires initiaux pour se former à cette compétence, comme les étudiants peuvent le faire dans certaines universités. Il plaide pour que l’empathie soit un mot d’ordre à diffuser dans les établissements de soin car il considère que « le besoin d’empathie des patients à l’égard des médecins est un besoin profond, bien plus vital que le meilleur des traitements médicaux ».

L’empathie interpelle notre vision du monde, nos représentations et nos croyances, nos capacités à contrôler nos émotions. Pour éviter ce qu’elle appelle la fatigue empathique, dont les signes sont proches de ceux du burn out, la neuroscientifique et psychologue Olga Klimecki a développé, en laboratoire, des formations à la compassion. Pour elle, le développement de la compassion permet de se protéger des émotions négatives générées par l’empathie. Très certainement des pistes de réflexion et d’évolution à creuser dans le domaine de la formation en soins infirmiers.

Quelques définitions

→ Sympathie : le terme vient du latin sympathia et du grec sympatheia (compassion). La sympathie est définie comme « un penchant naturel, spontané et chaleureux de quelqu’un envers une autre personne. C’est aussi participer à la joie, à la peine d’autrui. Il s’agit d’une disposition favorable envers quelqu’un ou quelque chose, de bienveillance » (Larousse de la langue française) ; la sympathie fait courir au soignant un risque d’identification à la souffrance d’autrui mais aussi de considérer que la manière dont il conçoit les choses est la bonne, celle que l’autre doit adopter.

→ Compassion : vient du latin ecclésiastique et signifie « souffrir avec ». Il s’agit d’un sentiment qui rend sensible aux malheurs, souffrances d’autrui. Pour Olga Klimecki, neuroscientifique et psychologue, empathie et compassion marquent des rapports différents à autrui et à soi-même. L’empathie serait le simple miroir des émotions de l’autre, la compassion impliquerait un sentiment de bienveillance avec la volonté d’aider la personne qui souffre. L’empathie serait donc l’étape préalable nécessaire au développement d’une attitude compassionnelle.

→ Relation d’aide : ce concept a été introduit par Carl Rogers dans les années 1950, dans le cadre du développement de la psychologie humaniste. La relation d’aide vient compenser le travail très technique des personnels infirmiers. Elle a comme objectif principal « d’aider à vivre sa maladie et ses conséquences sur la vie personnelle, familiale, sociale et éventuellement professionnelle », de favoriser la mobilisation des ressources de l’individu, de développer sa capacité à affronter les difficultés qu’il rencontre. Elle consiste à mettre en œuvre des temps de rencontres formalisés, échelonnés dans le temps, s’appuyant sur des objectifs partagés entre le patient et le soignant. Elle implique un savoir-faire relationnel professionnel.

CAS CLINIQUE : UNE SITUATION D’EMPATHIE DIFFICILE

Monsieur L., 48 ans, est accueilli à 2 h du matin en urgence en service de soins intensifs de cardiologie, suite à des douleurs thoraciques à gauche et un essoufflement. Il a été amené directement par le Samu, car il est déjà connu du service. Il a été pris en charge sur le plan technique dès l’arrivée des secours à son domicile. Son état est pour le moment stable et nécessite une surveillance. Selon le protocole du service, l’infirmière informe monsieur L. de la nécessité de changer la voie veineuse qui a été posée en urgence. Monsieur L. s’oppose à ce soin, demande si c’est vraiment nécessaire et dit qu’il a le sentiment d’être un cobaye, d’autant qu’il sait que son capital veineux est plutôt médiocre. Il garde un très mauvais souvenir des poses de perfusion précédentes. Il est très énervé, ce qui retentit immédiatement sur son rythme cardiaque et sa tension. La soignante, qui a confiance en l’état de la voie veineuse en place et sait qu’elle peut attendre un peu avant de réaliser ce geste, prend le temps d’écouter le patient, de comprendre sa position, de lui permettre d’exprimer son désaccord, son agressivité, puis progressivement l’anxiété que génère son état. L’attitude de la soignante est à ce moment-là plus adaptée que celle qui consisterait à répondre à monsieur L. que le changement de perfusion relève du protocole et ne peut être différé, voire de se sentir remis en cause. Une fois la situation de crise passée, et après avoir pris un peu de repos, monsieur L. finit par accepter le soin.

RÉFÉRENCES

1. Straga S., « L’empathie, la soft skill incontournable ? », Objectif Soins & Management, rubrique « Le sens des mots et des idées », n° 268, avril/mai 2019

2. Klimecki O., De l’empathie à la compassion un parcours émotionnel face à la souffrance. Disponible en ligne sur : bit.ly/3j30HoR

3. Bioy A., Maquet A., Se former à la relation d’aide : concepts, méthodes, applications, éd. Dunod, 2004

4. Caupène C., Négociateur au Raid, éd. Le Cherche-Midi, 2010

5. Celestin-Lhopiteau I, Wanquet-Thibault P., Hypnose et pratique paramédicale : optimiser sa clinique, améliorer sa communication et prendre soin de soin, éd. Lamarre, coll. Exercice professionnel infirmier, 2018

6. Baudon P., Médecin, lève-toi ! Éd. Nymphéas 2018

7. Decety J., Jacquemont G., « L’acquisition de l’empathie », Dossier pour la science, n° 63, nov. 1999. En ligne sur : bit.ly/3iXoOVW