Le dictionnaire définit le terme « distraction » de la façon suivante : « action de détourner l’esprit d’une préoccupation ; faire diversion ». Ce mot vient du latin « distraere », qui signifie « tirer d’un côté et de l’autre ». Et c’est bien de cela dont il s’agit lorsqu’un soignant initie une pratique distractive dans sa relation de soins, en particulier avec l’intention de prévenir la douleur et l’anxiété : il va amener, intentionnellement, le patient à se focaliser sur autre chose que sa problématique.
Si, aujourd’hui, la distraction est considérée comme un mode de communication adopté par le soignant de façon volontaire et adaptée aux différentes indications que recouvre cette pratique, l’intérêt pour son usage dans les soins reste relativement récent, car il est étroitement lié aux découvertes des neurosciences et au développement de l’hypnose, dont la distraction constitue le premier niveau dans la prévention de la douleur et de l’anxiété.
Historiquement, cette méthode n’avait pas de place dans les lieux de soins, considérés comme des espaces de science, donc sérieux, au sein desquels la distraction, tout comme le jeu, faisaient craindre que les professionnels de santé ne soient décrédibilisés. L’entrée des techniques de distraction à l’hôpital s’est faite le plus souvent dans les services de pédiatrie, car les enfants y sont très réceptifs.
Toutefois, de façon inopinée et à leur insu, les soignants ont également expérimenté les effets de la distraction chez des sujets adultes ou âgés. Il suffisait en effet que la conversation s’oriente vers un sujet qui passionne la personne malade et le soin se déroulait alors plus aisément.
On peut néanmoins noter de nombreuses réticences jusqu’à une période récente pour faire reconnaître l’intérêt de cette pratique. Les craintes, de différentes natures, émanaient des professionnels de santé euxmêmes, pour lesquels ce mode de communication n’est pas toujours spontané, mais égale ment de certains psychologues qui craignent, par exemple, que l’enfant n’assimile le jeu au soin. Ces réserves sont désormais levées et les preuves cliniques de l’intérêt des techniques de distraction favorisent son développement dans la pratique soignante quotidienne, bien au-delà des services de pédiatrie, la distraction pouvant d’adapter à tous les âges et à tous les profils.
Elle consiste à détourner l’attention du patient de sa problématique (douleur, souffrance, angoisses liées à la santé…) en utilisant la diversion. Les découvertes en neurosciences ont permis de comprendre que lorsque la zone du cerveau concernée par un symptôme, comme la douleur, est stimulée, plus le patient se focalisera sur son symptôme, plus celui-ci durera dans le temps, voire s’intensifiera. Ainsi, en éloignant intentionnellement le patient de son problème, le soignant met en place une stratégie efficace pour fixer l’attention de la personne sur un autre sujetque son symptôme, même si cela n’agit que quelques instants. La distraction permet de modifier la focalisation négative et d’élargir le champ de conscience. Mais c’est également un outil que le patient peut utiliser lui-même pour agir en toute autonomie sur son symptôme et, par conséquent, augmenter sa capacité à faire face à la situation (coping).
> Améliore l’humeur.
> Limite la peur, l’anxiété.
> Autonomise la personne.
> Favorise la participation de l’entourage et permet au parent de jouer son rôle de « caregiver ».
> Améliore la socialisation, l’éveil.
> Améliore l’image et la représentation de l’institution hospitalière et du travail des soignants.
> Améliore la relation entre le professionnel de santé et le malade.
Que ce soit avec ou sans utilisation de matériel, les techniques de distraction peuvent s’intégrer dans la plupart des soins. La première d’entre elles est la parole, la discussion, qui peut porter sur des sujets qui intéressent le patient, en y associant l’humour et la détente (lire le cas clinique). Les moyens matériels, nombreux, doivent, quant à eux, être adaptés au patient en fonction de son âge, de ses capacités, de ses centres d’intérêt, de son état, ainsi qu’à la durée du soin : jeux et jouets appropriés à l’âge de l’enfant ; vidéos ou musique dès l’adolescence et chez l’adulte. Lorsque la technique de distraction intègre un média (tablette, petite voiture pour aller au bloc opératoire, réalité virtuelle, etc.), il faut veiller à ce que la communication interpersonnelle (soignant/soigné) reste une priorité et l’outil un moyen. Car utiliser un vecteur de distraction ne doit jamais exclure l’accompagnement.
> Prévention de l’anxiété et des douleurs liées aux soins.
> Atténuation, soulagement des douleurs chroniques.
> Traitement des états d’anxiété, de « rumination ».
> Apprentissages en éducation thérapeutique du patient.
> Accompagnement à la socialisation.
> Refus du patient.
> Impossibilité de collaborer.
> Fatigue, état de santé détérioré.
> Dans les états psychotiques, concernant les activités en lien avec l’imaginaire car cela favorise la dissociation. Mais il s’agit d’une contreindication relative, car les patients stabilisés par leur traitement ou en confiance avec un soignant peuvent tout à fait en bénéficier, en particulier dans la prévention des douleurs liées aux soins.
> Difficultés ou incompétence du professionnel de santé à mettre en œuvre une technique de distraction.
> Intensité du symptôme.
> Le temps : un argument souvent avancé par les soignants, mais qui ne se vérifie pas dans la réalité. En effet, utiliser la distraction crée une distorsion du temps chez le soignant qui pense être resté plus de temps auprès de son patient alors qu’en réalité, le fait de favoriser l’autonomie de la personne malade et de lever ou d’atténuer les effets indésirables de l’anxiété et de la douleur permet de gagner du temps sur le soin lui-même.
Tous les professionnels de santé sont habilités à employer les techniques de distraction dans leur pratique quotidienne. Côté infirmier, la distraction relève du rôle propre et peut, par conséquent, être utilisée et adaptée selon les compétences individuelles de celui qui la met en œuvre. Elle fait désormais partie d’un mode de communication professionnelle facilité par une formation initiée dès la formation initiale, et poursuivie tout au long de l’exercice.
En outre, au décours d’un soin, le soignant est tout à fait apte à solliciter et guider l’entourage du patient, les bénévoles et d’autres professionnels non soignants (éducateurs, animateurs, etc.) pour mettre en place une technique distractive.
Si, pour certains, la communication intégrant la distraction est quelque chose de spontané, pour d’autres, l’exercice est moins aisé. Cela demande d’accepter de se mettre en scène, de développer une forme de spontanéité dans les échanges, partant de la réalité pour trouver ce qui intéresse le patient. Aussi, et bien qu’une formalisation de la formation soit encore peu fréquente, il paraît intéressant de favoriser l’acquisition de bonnes pratiques par l’intermédiaire de la formation pratique lors des stages, des modules de formation continue, ou encore d’activités extraprofessionnelles permettant d’encourager la spontanéité, telles que le théâtre, le chant, etc. Enfin, la formation à l’hypnose, et en particulier à l’hypnoanalgésie, peut également permettre de développer des compétences dans ce domaine.
Madame B., 44 ans, présente un abcès de la cuisse pour lequel une lame a été posée et doit être mobilisée ce jour, avec réfection du pansement. La patiente, qui a eu très mal avant l’intervention, refuse le soin, par peur, et l’utilisation du Meopa dont elle garde un mauvais souvenir lors d’une précédente hospitalisation. L’infirmière entre alors en relation avec elle en lui demandant si elle a petit-déjeuné ce matin (elle sait que ce n’est pas le cas). Suite à la réponse négative de Mme B., elle lui demande ce qu’elle aime prendre lors de ce repas. La patiente, un peu surprise par la question, lui répond : « Des croissants, du jus d’orange et un café. » La soignante poursuit en évoquant l’odeur des croissants bien chauds, quand ils embaument toute la maison. Mme B. lui répond : « Oui, l’odeur des croissants, mais aussi du café, un bon café bien chaud… » L’infirmière : « Vous l’aimez comment votre café ? Fort ou plutôt léger ? »… « Vous le sucrez ? »… « Et quel jus de fruit préférez-vous ? »… « Vous ne mettez jamais de lait dans le café ? »… « Les croissants, vous les achetez frais ? », etc. « Je vois ! Un bon moment le petit déj’. » Lorsque l’infirmière constate que Mme B., absorbée par la discussion, est plus calme, elle propose : « Dès que nous aurons terminé ce que nous avons à faire, vous pourrez en profiter ! En attendant, vous pouvez continuer à imaginer le petit déjeuner de vos rêves. Et vous pouvez aussi me raconter un petit déj’ en vacances. Rappelez-vous le dernier petit déjeuner inoubliable ? » La soignante reprend les éléments apportés par la patiente pour lui poser des questions sur le lieu, le temps, l’heure… L’essentiel est d’être en phase avec le récit du patient, il ne peut y avoir de scénario préconstruit. L’échange à partir des éléments exprimés permet d’explorer différentes pistes en lien avec les cinq sens.
1 AVANT LE SOIN
• Introduire très précocement l’échange avec le patient afin d’identifier ses centres d’intérêt et son mode de communication préférentiel : visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif (VAKOG) ;
• lui demander s’il souhaite être informé du déroulement du soin, et lui expliquer qu’une fois que le soin a commencé, cela n’a plus d’importance. Convenir ensemble d’un mode de communication en cas de douleur ;
• choisir une technique de distraction adaptée (jouets, jeux, comptines… pour l’enfant ; jeux vidéo pour l’adolescent, discussion avec l’adulte…).
2 RÉALISATION DU SOIN
• Débuter l’antalgie médicamenteuse, si prescrite, et mettre en œuvre la technique distractive avant de démarrer le soin ;
• évaluer régulièrement la douleur au cours du soin (observation du patient, EVA) et réajuster si nécessaire.
3 APRÈS LE SOIN
• Évaluer l’efficacité de la méthode (évaluation clinique et par le patient, par une EVA, par exemple) ;
• tracer la technique utilisée et son efficacité dans le dossier de soins du patient.
→ En cas de renouvellement du soin, réappliquer la même technique, si efficace, ou réajuster.
• Célestin-Lhopiteau I., Wanquet-Thibault P., Guide des pratiques psychocorporelles, Éd. Elsevier-Masson, 2e édition, 2018
• Favez L., Favre C., « Soins invasifs : l’influence de la distraction dispensée par les parents sur la détresse reliée à la douleur chez l’enfant de 0 à 3 ans ». Travail de Bachelor Lausanne, 2015. Disponible en ligne sur : bit.ly/30FUWan
• Lombart B and all. « Intérêt de l’utilisation de la distraction virtuelle en 3D lors des soins en pédiatrie ». Disponible en ligne sur : bit.ly/2SDu71O
• « Livret de recommandations soins et actes infirmiers douloureux ». Disponible en ligne sur : bit.ly/2FcfNKQ
• Arane K., Behboudi A., Goldman RD., « La réalité virtuelle pour la prise en charge de la douleur et de l’anxiété chez l’enfant », Can Fam Physician 2017 Dec; 63 (12): 935-937. Disponible en ligne sur : bit.ly/3nmYQyF