LE SOIN AU QUOTIDIEN
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RISQUES DU TRAVAIL
Gestion du stress, aide à la concentration, amélioration de la relation de soins : au quotidien, cette pratique se révèle un outil précieux pour les infirmières.
Elle fait beaucoup parler d’elle depuis quelques années, mais la méditation pleine conscience n’est pas une invention récente. Issue des méditations pratiquées depuis des millénaires par les bouddhistes, elle a été formalisée dans les années 1970 par le biologiste américain Jon Kabat-Zinn, qui, le premier, s’est proposé de l’inclure dans le champ médical comme outil de gestion du stress. Avant qu’elle ne gagne la France, popularisée notamment par le psychiatre Christophe André. Le principe ? « Vivre pleinement l’instant, plus intensément, en résonance avec l’Univers tout entier », définit Stella Choque, ancienne cadre de santé, formatrice en méditation. Concrètement, il s’agit, grâce à une pratique quotidienne, d’apprendre à mieux s’écouter et prendre soin de soi. Une mise en condition indispensable si l’on veut s’occuper convenablement des autres. Cette activité est particulièrement adaptée au quotidien des soignants car, une fois qu’on la maîtrise, elle ne demande que quelques minutes par jour. On peut, par exemple, profiter de ses trajets pour se livrer à la marche méditative, en veillant à ressentir profondément toutes ses sensations corporelles - ses pas sur le sol, le vent qui caresse son visage… « On peut aussi pratiquer sur son lieu de travail, en prenant quelques minutes pour se concentrer sur son corps, sa respiration, indique Corinne Isnard Bagnis, néphrologue à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et enseignante au sein du programme du diplôme universitaire (DU) Relation de soin et gestion du stress (Sorbonne Université, Paris). L’essentiel est d’interrompre le cycle de la journée pour se reconnecter à ses sensations. On peut profiter du temps du lavage des mains, par exemple. »
Pour les soignants, les bénéfices potentiels sont multiples. D’abord, c’est un bon moyen de sortir du mode « pilote automatique » qui s’enclenche dès lors que le travail est intense - des études ont prouvé que la méditation avait des effets bénéfiques sur le ressenti en fin de journée. « Cela permet aussi de prendre conscience des petites douleurs et fatigues qu’on ne s’autorise pas à ressentir d’habitude, quand on est très investi dans son activité », souligne la néphrologue. Et donc, d’agir avant que ces maux ne s’aggravent. Méditer permet d’apprendre, entre autres, à repérer un début de stress, qui peut se manifester par une légère tension dans les épaules. Cela évite de se laisser envahir par des émotions négatives. C’est donc un outil efficace dans la prévention de l’épuisement. Les soignants formés à cette pratique remarquent par ailleurs une amélioration de leur capacité à se concentrer. En effet, l’esprit a tendance à vagabonder, y compris lorsqu’on accomplit une tâche qui demande de la précision. En prendre conscience grâce à la méditation aide à ramener son attention à ce que l’on fait, et réduit ainsi le risque d’erreur et de biais cognitif. « Tenir un raisonnement médical reposant strictement sur les faits devient plus facile, assure Corinne Isnard Bagnis. On parvient à prendre du recul et à moins se fier à des présupposés ou à des jugements. »
Enfin, la méditation permet d’améliorer la relation avec les patients grâce à une meilleure écoute. « Elle nous apprend à décoder le langage non-verbal en nous libérant de nos pensées parasites, explique Stella Choque. On est alors plus disponible pour la personne soignée. Je l’ai constaté lorsque j’étais infirmière de nuit : on est plus attentif au rythme du scope ou au changement de regard d’un patient en psychiatrie, un signe qu’il est important de repérer. » Cette attention à l’autre est primordiale, notamment lorsqu’on doit effectuer un soin douloureux : le patient n’exprimera pas forcément son ressenti mais le laissera transparaître par des signes en apparence anodins. Prendre une grande respiration avant d’entrer dans la chambre, se préparer à vivre cette rencontre en ayant conscience que le patient est la personne la plus importante en cet instant, est la première étape vers une meilleure relation de soin. Et cela aide les soignants travaillant dans des milieux difficiles, comme en psychiatrie ou en prison, à se libérer de leurs peurs à se sentir mieux armés pour affronter une situation potentiellement violente.
Pour toutes ces raisons, la méditation pleine conscience a la cote à l’hôpital, où de plus en plus de services cherchent à former leurs personnels. Et ce, malgré les réticences initiales du corps médical, qui a longtemps considéré ses adeptes comme des illuminés. « Aujourd’hui, la tendance s’est inversée, les établissements veulent absolument améliorer la qualité de vie au travail par ce moyen, mais c’est à double tranchant, estime Corinne Isnard Bagnis. Car ils comptent parfois sur la méditation pour régler des problèmes de management, or, ce n’est pas la solution miracle à tous les problèmes, notamment ceux de sous-effectifs. » Par ailleurs, la méditation n’est pas adaptée à tous. Avant de se lancer, il faut vérifier qu’il n’y a pas de contre-indication, comme une dépression qui doit faire l’objet d’un traitement spécifique. « La méditation pratiquée à tort et à travers peut, dans certains cas, être déclencheur de l’événement délirant », avertit Stella Choque, qui insiste sur l’importance d’un temps d’échange préalable avec le formateur. Enfin, la démarche doit être personnelle est non imposée : ce n’est pas parce qu’on ressent soi-même les bienfaits de la méditation qu’il faut convertir tout son service. « Nous sommes encore dans une période où ses bénéfices doivent être évalués, explique Corinne Isnard Bagnis. C ar s’ils sont bien documentés, sur le stress ou les troubles du sommeil, par exemple, dans d’autres domaines, il faudrait mettre en place des process d’évaluation afin de faire avancer la recherche clinique. »
Hélène Nègre, infirmière anesthésiste intérimaire
« En 2017, j’ai rencontré une psychologue du travail qui m’a fait pratiquer l’hypnose. Ces séances intégraient la technique du scan corporel, issue de la méditation pleine conscience, à laquelle j’ai commencé à m’intéresser. Cela m’a surtout apporté un apaisement : je suis très énergique et ces dernières années, j’étais mue par la colère et la révolte, qui peuvent être destructrices. Aujourd’hui, j’utilise ces émotions pour aller de l’avant. Par exemple, si je travaille avec un médecin qui a du mal à m’accorder sa confiance, je n’en souffre plus mais compatis avec lui. Cela me sert aussi à mieux accueillir les patients stressés. Je leur propose de se raccorder à leur souffle, de laisser passer leurs pensées effrayantes. Ainsi, ils ne subissent plus leur anesthésie mais la vivent pleinement. Souvent, on n’a même plus besoin de leur administrer d’anxiolytique. Enfin, ce temps calme pour le patient permet aussi aux soignants de s’accorder un moment de tranquillité, ce qui améliore le bien-être au travail. »
Claire Labarthe, infirmière au CH de Pau (Pyrénées-Atlantiques)
« J’ai commencé à pratiquer la méditation après un burn out, en 2017, à l’aide d’une application. Cela m’a d’abord aidée à retrouver le sommeil, puis à prendre conscience que j’étais toujours sous l’effet d’un stress post-traumatique dû à un accident de la route. J’ai donc décidé d’approfondir le sujet en regardant des vidéos sur YouTube, puis en suivant le programme MBSR (Mindfulness-Based- Stress-Reduction) et enfin en m’inscrivant à un diplôme universitaire. Aujourd’hui, je pratique au quotidien de façon informelle : j’essaie d’arriver en avance au travail pour m’octroyer 5-10 minutes de respiration sur le parking. Grâce à la méditation, je rumine beaucoup moins et je perçois mon stress autrement, je ne le subis plus. Enfin, cela a amélioré mon écoute, que ce soit vis-à-vis des patients ou de mes collègues. Je suis désormais une formation d’instructeur dans l’optique d’initier les autres soignants de mon hôpital. »
• Kabat-Zinn J., Méditer. 108 leçons de pleine conscience, éd. Les Arènes, 2010.
• André C., Méditer jour après jour, éd. L’Iconoclaste, 2011.
• Choque S., La Méditation pleine conscience pour les soignants et les accompagnants, éd. Lamarre, 2020.
• Isnard Bagnis C., La Pleine Conscience au service de la relation de soin, éd. De Boeck Supérieur, 2017.
COMMENT SE FORMER ?
• Pour une première approche, on peut lire des ouvrages grand public ou télécharger une application telle que Petit BamBou.
• Si l’on souhaite s’y mettre plus sérieusement, mieux vaut être accompagné dans le cadre d’un cours collectif. Le programme MBSR, mis au point par Jon Kabat-Zinn, est une référence. Il comprend huit séances de 2h30, suivies d’une journée de pratique. L’Association pour le développement de la pleine conscience propose sur son site un annuaire de formateurs sérieux.
• Certaines formations peuvent être validées dans le cadre du DPC. Les libérales peuvent aussi être prises en charge si elles passent par un organisme agréé.
• Pour aller plus loin, il existe des diplômes universitaires : l’université de Montpellier propose un DU Méditation et santé ; Sorbonne Université (Paris), un DU Relation de soin et gestion du stress.
Source : Assurance maladie