JE ME FORME
BONNES PRATIQUES
Éléonore de Vaumas* Sophie Mareni** Julie Bodelot-Bissiau*** Barbara Gombert**** Julie Vella*****
*IDE cadre de santé du service de médecine légale
**formatrice consultante indépendante
***Idel à Ligueil
****cheffe de service du pôle de « lutte contre les violences faites aux femmes » de l’association Du côté des femmes
Chaque année en France, 219 000 femmes déclarent être victimes de violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. À domicile comme en hôpital, l’infirmière peut repérer les signes évocateurs et initier une prise en charge de la victime.
Éléonore de Vaumas, avec la collaboration de Sophie Mareni, IDE cadre de santé du service de médecine légale*, CHU d’Angers, de Julie Bodelot-Bissiau, formatrice consultante indépendante, de Barbara Gombert, Idel à Ligueil (37), et Julie Vella, cheffe de service du pôle de « lutte contre les violences faites aux femmes » de l’association Du côté des femmes**.
Certains cas de violences conjugales sont facilement repérables, d’autres le sont beaucoup moins, observe Gisèle (prénom modifié), puéricultrice dans l’ouest de la France. Comme cette fois où j’ai reçu l’appel paniqué d’une maman que j’avais reçue à plusieurs reprises dans le cadre d’un suivi tout à fait habituel de son enfant. Rouée de coups par son mari, cette dernière s’inquiétait pour son fils que le père avait kidnappé. Une situation dramatique que j’aurais peut-être pu prévenir, mais que je n’avais pas su voir… » À l’instar de Gisèle, nombre d’infirmières n’ont pas les connaissances suffisantes pour pouvoir accueillir et accompagner les femmes exposées à des violences au sein de leur couple. Pourtant, de par leur formation paramédicale et leur posi tion privilégiée auprès des patientes, elles sont à même de pouvoir contribuer au repérage et à l’orientation de ces victimes.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la violence entre partenaires comme « tout acte de violence au sein d’une relation intime qui cause un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes qui en font partie. Sont également comprises la menace de tels actes, la contrainte, la privation arbitraire de liberté dans la vie publique et en privé ».
Ainsi, intervenir auprès de femmes confrontées à des violences exige de la part de l’IDE, comme de tout autre professionnel, une connaissance des rouages des violences et des conséquences physiques, psychologiques et somatiques sur la victime. La violence au sein du couple consiste en un ensemble d’actes commis par le partenaire, que ce soit pendant ou après la cohabitation. À la différence des conflits conjugaux, les violences se caractérisent par un rapport de domination de l’agresseur qui, par ses propos et comportements, cherche à détruire délibérément le partenaire. Il peut s’agir d’agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles, mais également d’actes de domination sur le plan économique et administratif ou un isolement social du conjoint. Les faits de violence évoluent généralement selon une spirale ascendante. Chez l’agresseur, celle-ci se traduit par un cycle de phases marquées par la montée en tension, l’agression, la culpabilisation de l’autre, puis la réconciliation lors de la phase d’accalmie, appelée « lune de miel » (voir schéma « Cycle de la violence conjugale » p. 33). Connaître ces mécanismes et leur impact sur la victime est fondamental pour mieux comprendre les comportements parfois déstabilisants de certaines femmes. « Ce qui démunit le plus les IDE, c’est cette incapacité de la victime à prendre une décision tout de suite, alors que cela fait partie du cheminement bien identifié vers la fin des violences », note Julie Bodelot- Bissiau, spécialisée dans la formation aux violences conjugales.
Il n’existe pas de gradient social ou culturel, ni de critère d’âge dans les violences au sein du couple. Si certaines situations sont facilement identifiables par la soignante, qui a connaissance de celles-ci suite aux révélations spontanées de la victime ou en présence de traces physiques, la majorité d’entre elles sont tues. Pour briser la loi du silence, l’infirmière doit s’autoriser à poser la question de l’existence des violences, même en l’absence de signes d’alerte. Si le questionnement systématique n’a pas toujours d’effet immédiat, la démarche de repérage est généralement bien acceptée par les femmes lorsque le sujet est amené par la professionnelle de santé. Quels que soient le lieu et la nature de l’intervention, il faut donc poser des questions au cours de l’entretien infirmier, de préférence simples et directes, de type : « Avez-vous ou êtes-vous victime de violences ? » ; « Comment cela se passe-t-il lorsque vous n’êtes pas d’accord avec votre compagnon ? » ; « Votre conjoint vous soutient-il ? » ; « Avez-vous peur pour vos enfants ? », tout en précisant que ces questions sont abordées avec toutes les femmes.
Il n’existe pas de symptomatologie spécifique des violences conjugales. Toutefois, un comportement craintif, des explications confuses et fluctuantes à propos de blessures répétées ou un refus de la patiente d’être examinée doivent alerter. Il est également judicieux d’y penser en cas de :
> troubles physiques chroniques inexpliqués (douleurs, asthénie, troubles digestifs, palpitations, difficultés à respirer), mésusage et/ou surconsommation de médicaments comme les antalgiques ;
> troubles psychologiques (troubles du sommeil ou de l’alimentation, dépression, tentative de suicide, signes évocateurs d’un trouble de stress post-traumatique, difficultés de concentration, pertes de mémoire) ;
> troubles liés à la santé sexuelle et reproductive (infections urinaires et génitales fréquentes, comportements sexuels à risque, grossesses non désirées et IVG, complications fœtales, retard ou absence de soins périnataux). Dans le cadre du repérage, il convient également de prendre en compte l’attitude du conjoint, et particulièrement quand il refuse que sa partenaire reste seule avec un professionnel de santé de sexe opposé ou lorsqu’il fait preuve d’ingérence dans les soins apportés à sa partenaire.
Le premier contact est déterminant afin de créer un climat de confiance et d’écoute. Nombre de victimes ont tendance à banaliser ou minimiser les faits, voire taire ce qu’elles subissent. Cette attitude, bien que désarmante, est le signe que la personne est conditionnée par les comportements et propos de son agresseur. Du côté de la soignante, cela exige de faire montre d’une absence totale de jugement, condition sine qua non pour amener la victime à prendre conscience de la réalité des violences et de leur gravité, et à se dégager progressivement de l’emprise de celui qui les commet. La configuration du lieu de consultation doit également garantir la confidentialité des échanges. L’entretien doit donc être réalisé avec la femme seule. Si la présence d’un interprète est nécessaire, il vaut mieux faire appel à une personne qui ne fait pas partie de l’entourage de la patiente.
Pour une femme qui confie être victime de maltraitance, l’entretien infirmier est un moment important dans la phase de reconstruction. Il est toutefois fréquent que le temps de réflexion et de maturation de la victime soit long, ponctué d’allers-retours au domicile où séjourne encore le conjoint violent. Il s’agit, là encore, de respecter le choix de la patiente, en lui offrant la possibilité de se faire aider pour entamer une démarche de sortie des violences. Si la réussite n’est pas toujours au rendez-vous, le soutien et l’intervention de l’IDE consistent à légitimer la situation de la victime par des gestes et des propos bienveillants, à la déculpabiliser en lui signifiant qu’aucune attitude de sa part ne justifie une agression, et à lui suggérer de porter plainte contre son agresseur. Lorsque la patiente y consent, il est possible pour la professionnelle de santé de signaler les faits de violence dont elle a été informée sans voir sa responsabilité mise en cause (2). Au préalable de toute prise en charge, il est toutefois préconisé d’évaluer l’urgence et la gravité au moment de la révélation puis, lors de chaque visite. L’évaluation porte sur la fréquence, l’intensité, le contexte, la dangerosité de l’agresseur, le retentissement sur les enfants du foyer ou encore la vulnérabilité de la victime. À noter que les violences dans le couple tiennent de nombreux enfants otages de ce climat permanent de danger et de terreur. Et les conséquences, à la fois au niveau de leur développement et de leur relation avec l’autre, les amène souvent, à l’âge adulte, à reproduire des attitudes violentes, en tant qu’auteur ou victime. Ainsi, dans ce contexte, l’IDE a également la possibilité de contacter le médecin référent en protection de l’enfance du Conseil départemental, la Protection maternelle et infantile (PMI) de secteur ou la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), qui pourra alors décider d’établir une information préoccupante.
Face à une situation jugée grave, de nature à mettre en danger la victime et/ou ses enfants, il faut informer la patiente de son droit de quitter son domicile, en signalant son départ à la police ou à la gendarmerie, de saisir en urgence le juge aux affaires familiales, avec ou sans dépôt de plainte, pour demander une ordonnance de protection et l’éloignement de l’agresseur. Lorsqu’une situation à risque élevé est identifiée, l’infirmière doit conseiller à la victime qui souhaite retourner au domicile conjugal de prévoir des mesures de sécurité pour se protéger en cas d’urgence. L’objectif ? Donner à la patiente des conseils d’organisation anticipée pour faciliter son départ au moment où elle l’estimera nécessaire : établir un scénario de protection pour préparer sa séparation dans lequel elle prévoit une liste des numéros d’urgence, un double des clés et de l’argent, mais aussi un sac contenant la photocopie de ses papiers d’identité, quelques affaires, et identifier à l’avance un lieu où se réfugier.
Dans ses recommandations (3), la Haute Autorité de santé (HAS) invite l’IDE à proposer de rédiger une attestation clinique infirmière, premier élément de preuve sur lequel l’autorité judiciaire pourra s’appuyer pour décider de l’orientation à donner à la procédure. Cette attestation, téléchargeable sur le site Internet arretonslesviolences. gouv.fr, comporte une première partie réservée au compte-rendu exhaustif des dires spontanés et des signes exprimés par la victime, et une seconde où il appartient à l’infirmière de décrire précisément et sans ambiguïté les lésions, les signes cliniques, neurologiques, sensoriels et psychocomportementaux constatés. La présence de photos est un plus, mais nécessite, pour les patientes réticentes à se prêter à un examen clinique, leur accord préalable avant chaque étape de l’examen.
Outre la rédaction d’une attestation, la soignante a également pour mission de délivrer un certain nombre de conseils et d’informations. Ce qui suppose qu’elle ait, en amont, identifié les différents relais (médecin traitant, structures, libéraux…) et qu’elle dispose des coordonnées des partenaires de son secteur, dans et en-dehors de sa structure, gérant les situations de violence. En institution, un tel engagement doit être partagé, à commencer avec le cadre de santé ou, le cas échéant, avec le médecin de l’unité médico-judiciaire. Les services sociaux ont également toute compétence pour prendre en charge ce type de situation. C’est notamment vers cette instance que les Idels doivent se tourner. Tout comme elles peuvent contacter directement le 3919, le numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, qui a pour mission de les orienter vers une association locale. Dans tous les cas, la patiente doit sortir de la consultation avec des informations pratiques en poche et une date de rendez-vous de suivi.
Les besoins des victimes étant multiples, l’action de l’IDE s’inscrit dans un réseau partenarial, pour favoriser une prise en charge décloisonnée. Ce réseau est à adapter en fonction des besoins de la personne, des violences subies, des compétences de chaque professionnel et des contraintes territoriales. L’accompagnement peut faire intervenir des professionnels de la santé, du champ social, de l’éducation nationale, de la justice, ainsi que des agents des collectivités territoriales et de l’État chargés de mission pour les droits des femmes et la protection de l’enfance.
* Et membre de l’équipe pluridisciplinaire du Service pour les professionnels d’information femmes et violences (SPIFEV).
** Et cofondatrice de l’association Elle’s Imagine’nt.
• (2) Article R 4312-18 du code déontologie des infirmiers : « Lorsque l’infirmier discerne qu’une personne auprès de laquelle il est amené à intervenir est victime de sévices, de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles, il doit mettre en œuvre, en faisant preuve de prudence et de circonspection, les moyens les plus adéquats pour la protéger.« S’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie ou de son état physique ou psychique, l’infirmier doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives. »
• (3) Haute Autorité de santé, « Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple », juin 2019. Disponible en ligne sur : bit.ly/2GZEzyu
• Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, « Lutter contre la violence au sein du couple. Le rôle des professionnels », 2012. En ligne sur : bit.ly/3mfJ2Mw
Contacts répétés imposés à la victime via des messages, envois à la victime de mails, textos humiliants, mise en ligne sans accord de photos ou vidéos intimes… autant de situations qui relèvent des cyberviolences conjugales. Bien que très fréquentes, elles passent souvent inaperçues aux yeux des professionnels. Un repérage systématique de ce type de violences permet d’adapter les conseils et les stratégies de protection de la victime, mais aussi de mettre fin à l’omniprésence de l’agresseur via les outils numériques.
Barbara Gombert, infirmière libérale à Ligueil (37) et vice-présidente du Conseil départemental de l’Ordre des infirmiers 37-41 (CDOI)
« En tant qu’Idels, nous sommes à un poste privilégié sur le repérage des violences conjugales, notamment à travers les visites à domicile. Or, faute de connaissances, certaines professionnelles passent complètement à côté, comme cela a été mon cas il y a quelques années. Focalisée sur les symptômes étranges d’un petit garçon, je n’ai compris qu’il s’agissait d’une réaction aux violences dont sa mère était victime de la part de son conjoint que lorsque le pédopsychiatre vers qui je l’avais orienté m’en a informée. Je m’en suis voulu de ne pas y avoir pensé moi-même, et c’est là que j’ai décidé de me former. J’ai alors suivi un DU de psychocriminologie, me suis investie dans des associations spécialisées et dans la création d’un réseau interdisciplinaire à destination des professionnels de santé. Aujourd’hui encore, nombre d’infirmières qui ne connaissent pas la conduite à tenir face à une femme victime de violences conjugales décident de se taire… »
Pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes, on n’insistera jamais assez sur l’importance de la formation des professionnels tant le sujet est complexe. C’est l’objectif des recommandations de la Haute Autorité de santé. Pour aller plus loin, des formations universitaires, s’adressant à tous les soignants, existent. Citons le DU de psychocriminologie de l’université de Tours, qui propose une formation pluridisciplinaire (aspects juridique, psychotraumatologie, psychopathologie de la violence…) s’intéressant aux auteurs comme aux victimes d’infractions pénales. L’université Paris-8, elle, a ouvert un DU ciblé intitulé « violences faites aux femmes », que l’on peut suivre du 26 mars 2021 au 16 avril 2022. Au programme, entre autres, le psychotraumatisme, l’application de la loi, le repérage des violences, la prise en charge des femmes qui en sont victimes ainsi que des enfants et adolescents.
1. Créer un climat d’écoute, de confiance et de sécurité.
2. Poser systématiquement la question des violences.
3. Affirmer l’interdiction des violences par la loi et la seule responsabilité de l’agresseur.
4. Délivrer un message de soutien et de valorisation à la victime.
5. Évaluer les risques encourus pour la femme et les enfants victimes. Et, en cas de danger, alerter les professionnels les plus appropriés (Samu, pompiers, services de police ou de gendarmerie).
6. Proposer la rédaction d’une attestation clinique infirmière.
7. Informer et orienter la victime vers le réseau de partenaires professionnels.
8. Signifier sa disponibilité pour une nouvelle rencontre si la victime en ressent le besoin.
Numéros et sites à connaître
• 3919 - Violences Femmes Info
• 0 800 05 95 95 - Viols Femmes Informations
• 119 - Allô enfance en danger
• 115 - Demande d’hébergement d’urgence
• www.stop-violences-femmes. gouv.fr
• Les pharmacies : une personne victime de violence peut se signaler auprès de son pharmacien qui alertera immédiatement les forces de l’ordre. À noter que si l’agresseur est présent, la victime peut utiliser le code « masque 19 ».
• Observatoire - https://arretons lesviolences.gouv.fr