SUIVI EN DOUCEUR POUR JEUNES EN SURPOIDS - Ma revue n° 002 du 01/11/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 002 du 01/11/2020

 

J’EXPLORE

COORDINATION

Lisette Gries  

Les jeunes en surpoids et obèses de Strasbourg peuvent bénéficier d’une prise en charge pluridisciplinaire et gratuite, sur prescription médicale. Une infirmière de coordination chapeaute ce dispositif, baptisé Preccoss.

En Alsace, et notamment à Strasbourg, le surpoids des enfants et des adolescents se pose comme une question de santé publique importante. La prévalence de la surcharge pondérale et de l’obésité y est plus forte que la moyenne nationale (lire encadré p. 59), et ce, dès la maternelle. La ville, qui perpétue une tradition historique d’implication dans la prévention primaire et la santé des enfants, a décidé, dès 2014, de répondre à cet enjeu avec le dispositif Preccoss (Prise en charge coordonnée des enfants et des adolescents obèses et en surpoids de Strasbourg), d’abord de manière expérimentale avant d’être élargi puis pérennisé.

Sur prescription d’un médecin traitant (généraliste ou pédiatre), les enfants et adolescents âgés de 3 à 18 ans peuvent bénéficier d’un accompagnement gratuit pendant trois ans maximum.

Les infirmières de PMI et les médecins scolaires, qui reçoivent les élèves en consultation obligatoire au moins une fois avant l’entrée au CP, peuvent aussi repérer des enfants qui pourraient être inclus dans le programme. À la clef, un suivi assuré conjointement par un diététicien, un psychologue, des animateurs médico-sportifs et une infirmière de coordination. Cette dernière joue un rôle majeur dans la prise en charge : à la fois coordinatrice de l’équipe pluridisciplinaire et en lien avec les familles, elle est la cheville ouvrière du dispositif. Elle assure également le lien avec le médecin traitant, lequel continue d’assurer le suivi médical de l’enfant.

UN PARCOURS PERSONNALISÉ

Depuis avril 2020, Faiza Moziane, ancienne infirmière libérale à Strasbourg, occupe ce poste de coordination à Preccoss. « Après avoir passé plusieurs années à réaliser des soins prescrits, dans une relation finalement assez verticale avec les patients, j’ai eu envie de me tourner vers la prévention et l’éducation thérapeutique des patients (ETP), raconte-t-elle. J’ai suivi une formation pour obtenir un diplôme universitaire (DU), et c’est à cette occasion que j’ai découvert Preccoss. Je suis heureuse de pouvoir travailler en santé primaire, au service des enfants et dans une relation d’accompagnement. »

L’objectif n’est pas de mettre les enfants au régime ou de les voir perdre beaucoup de poids rapidement. « Il s’agit plutôt de réfléchir avec les bénéficiaires et leurs parents à leurs habitudes en matière d’alimentation et d’activité physique, détaille Faiza Moziane. Le but est que les familles adoptent des routines plus saines et que les enfants se sentent bien. » Si les conséquences du surpoids pour la santé à moyen et long termes sont désormais bien connues, elles ne sont pas le motif principal d’entrée dans le programme. « Certains enfants peuvent se sentir mal dans leur peau, surtout à l’adolescence. Ils subissent des moqueries à l’école, sont mal à l’aise en sport […] . D’autres évoquent des douleurs articulaires », ajoute-t-elle. Ces sujets sont abordés dès la phase d’inclusion. « Lors de leur journée d’accueil, les familles me rencontrent pour que je leur explique notre fonctionnement. Je consigne aussi les informations de santé, qui complètent les éléments transmis par le médecin traitant sur d’éventuelles contre-indications, puis, je rédige un diagnostic éducatif », déroule l’infirmière. Ensuite, le diététicien et l’un des éducateurs sportifs s’entretiennent avec l’enfant et ses parents pour établir un bilan alimentaire, un bilan d’activité physique et un bilan « écrans ». « Nous rédigeons alors un parcours personnalisé pour chaque enfant, fruit de la concertation entre nous et la famille, et le plan personnalisé de soins est transmis au médecin traitant », explique-t-elle.

DES ATELIERS ÉDUCATIFS

Le suivi, coordonné par l’infirmière, peut alors démarrer. Des ateliers individuels et collectifs en diététique sont organisés. Il s’agit à la fois de fournir aux familles des clefs pour comprendre les mécanismes de la nutrition et mieux connaître les aliments qu’elles consomment, mais aussi de leur donner des idées de recettes saines et gourmandes, à la portée de toutes les bourses et compétences. « Depuis quelques mois, nous avons un petit jardin où nous pouvons retrouver nos bénéficiaires, s’enthousiasme la professionnelle. Nous avons planté et récolté quelques légumes, ce qui a été l’occasion d’échanges intéressants. Et nous avons même mis en place des ateliers cuisine en plein air, très agréables et particulièrement adaptés au contexte sanitaire après le confinement. »

Les ateliers sportifs, quant à eux, sont assurés par des structures locales implantées dans différents quartiers de la ville. Des créneaux spécifiques sont réservés pour les enfants et adolescents suivis dans le cadre de Preccoss. Les animateurs de ces clubs sont en lien régulier avec ceux du dispositif. Un suivi individuel dans chaque domaine est proposé à une fréquence adaptée aux besoins et à la situation de chaque famille.

Au bout de six mois, Fazia Moziane propose une première consultation de bilan, qui est l’occasion de faire le point sur le suivi, les actions mises en place et le vécu de l’enfant. Elle transmet ensuite au médecin prescripteur les ajustements prévus avec les familles. Ces bilans infirmiers personnalisés sont réalisés tous les six mois. Une fois par an, toujours sous la coordination de l’infirmière, l’équipe fait une synthèse de l’action menée et détermine les orientations à suivre pour la suite. Le plan personnalisé de soins est alors révisé.

L’ALIMENTATION : UN DOMAINE INTIME

Mais à l’intérieur de ces projets de soins et de ces plans d’action, il faut savoir déployer des trésors de patience et d’humilité. « Quand on parle d’alimentation, on touche assez vite à quelque chose qui dépasse la simple nutrition, observe Fazia Moziane. Pour beaucoup de mères, nourrir leur enfant, lui faire plaisir par la nourriture, c’est un acte d’amour. On ne peut pas imposer des choses ou culpabiliser les gens sur leurs habitudes quand on touche à un domaine aussi intime. Il faut au contraire élaborer avec eux, ensemble, de nouvelles façons de cuisiner, mais aussi les inciter à faire de l’activité physique. » Certaines familles ne réalisent pas qu’un moment passé derrière un écran est un moment où l’enfant ne bouge pas. « On essaye de suggérer des choses, mais bien souvent, ce sont les familles qui y pensent elles-mêmes. Ça peut être des déplacements à pied plutôt qu’en transport, par exemple. »

Il arrive aussi que les familles aient besoin d’informations sur la qualité nutritionnelle de certains aliments. Par exemple, toutes ne savent pas qu’un verre de jus d’orange n’a pas la même qualité qu’un fruit frais. D’autres ne connaissent pas l’impact des sucres rapides sur la glycémie, ni l’importance de proposer des petits déjeuners complets. « Nous cherchons des solutions pour que les enfants et leurs familles adoptent des habitudes plus saines, tout en conservant le plaisir de manger et de cuisiner, car c’est primordial. Il faut s’adapter à chacun, partir de leur mode de vie, et ne surtout pas être dans l’injonction », explique-t-elle.

PROMOUVOIR LE DISPOSITIF

Un autre axe du travail de Fazia Moziane est la promotion de Preccoss auprès du grand public. « Un certain nombre de familles qui ont une prescription de leur médecin ne font jamais la démarche d’entrer dans le dispositif, souvent parce qu’elles ont peur de ce qu’on va leur proposer. Donc, on essaye de se faire connaître… », sourit-elle. Elle participe ainsi à l’animation de stands lors de manifestations sportives ou d’événements dans les quartiers, comme cela a été le cas l’été dernier.

Depuis le printemps, les professionnels de Preccoss sont également présents sur les réseaux sociaux. « Cela peut paraître paradoxal puisqu’on tente d’amener les jeunes à limiter leur temps d’écran, mais nous avons mis en place ces outils pour garder le lien avec les familles pendant le confinement. Pour les ados notamment, il faut aller sur leur terrain… », remarque Fazia Moziane. Dans cette même logique, des petits déjeuners et des ateliers de découverte sont organisés dans des écoles, prioritairement dans les quartiers les plus concernés par la prévalence de l’obésité.

Enfin, elle est en charge de la communication avec les professionnels de santé. « Je suis intervenue récemment pour présenter le dispositif dans un institut de formation en soins infirmiers, et nous menons aussi des actions auprès des médecins, détaille-t-elle. C’est d’ailleurs l’un des axes à développer encore, même si, en 2019, une centaine de médecins nous ont adressé leurs patients. »

DES RÉSULTATS PROBANTS

Cette prise en charge porte ses fruits et ne cesse de prendre de l’ampleur. D’abord lancé sous forme d’expérimentation en 2014, pour les enfants de 3 à 12 ans issus de trois quartiers prioritaires de la ville, Preccoss est désormais accessible à tous les enfants et adolescents de Strasbourg. Ainsi, plus de 630 jeunes Strasbourgeois - dont un peu plus de la moitié sont des filles - ont déjà pu bénéficier de cet accompagnement. En 2019, plus du tiers des enfants suivis avaient entre 9 et 11 ans, et 75 % des jeunes inclus étaient en situation d’obésité (IMC supérieur à 30).

L’accompagnement semble efficace. Deux études menées respectivement en 2017 et en 2018 montrent qu’environ 9 enfants sur 10 atteignent des résultats conformes aux objectifs de stabilisation ou de baisse de cet indicateur.

Fin 2019, le dispositif Preccoss a obtenu une autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS) pour être reconnu comme programme d’éducation thérapeutique du patient. « Je suis en lien régulier avec l’ARS pour faire remonter des éléments traçant notre conformité avec les objectifs visés par ce programme d’ETP, explique l’infirmière. J’assure aussi le lien avec la Ville de Strasbourg, dont nous dépendons pour quelques mois encore. » En effet, début 2021, Preccoss s’inscrira dans un Groupement d’intérêt public (GIP) avec d’autres structures de prévention et de promotion de la santé, qui seront réunies, à terme, dans une Maison sport-santé à Strasbourg, aux côtés d’autres acteurs publics et associatifs. « La Maison sport-santé sera implantée près du centre-ville mais, pour ne pas perdre le lien avec les familles, nous conserverons des antennes dans les quartiers périphériques », se félicite Faiza Moziane. De nouveaux axes de travail s’ouvrent donc à l’équipe et, pour l’infirmière, l’action de coordination va encore s’étoffer.

Les jeunes alsaciens davantage touchés par les problèmes de surpoids

Si l’épidémie de surpoids chez les enfants et les adolescents est généralisée en France et en Europe, l’Alsace, et notamment Strasbourg, semble plus touchée que d’autres régions. Ainsi, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 18 % des adolescents français en classe de 3e étaient en surpoids en 2017, et 5 % étaient obèses. En Alsace, une étude publiée en 2018 par l’Observatoire régional de la santé (ORS) du Grand-Est met en évidence une prévalence du surpoids de 23,3 % chez les enfants scolarisés en 6e. Dans certains quartiers strasbourgeois, c’est 1 enfant sur 3 qui est en surcharge pondérale.

La prévalence de l’obésité s’établit à 6 % pour l’Alsace. Là encore, il existe d’importantes disparités territoriales : si certaines zones de Strasbourg voient ce taux grimper à 10,6 %, seuls 4 % des enfants sont concernés dans d’autres quartiers de la ville.

La Ville de Strasbourg, qui dispose d’un système de santé scolaire piloté par la municipalité, relève également que 14,3 % des enfants de 5-6 ans étaient en surpoids pour l’année scolaire 2016-2017, avec d’importantes variations géographiques : de 4,2 % à 22,3 % selon les zones.

RÉFÉRENCES

• www.strasbourg.eu/prise-en-charge-enfants-surpoids

• https://liguecontre-lobesite.org/

• https://ors-ge.org/etudes (Observatoire régional de la santé Grand est)

• Études & Résultats de la Drees, août 2019 : En 2017, des adolescents plutôt en meilleure santé physique mais plus souvent en surcharge pondérale. bit.ly/3jDu4PF

• www.grand-est.ars.sante.fr/les-maisonssport-sante-mss

Les contrats locaux de santé, un outil au service de la population

Pensés comme des outils de lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé, les contrats locaux de santé (CLS) sont portés conjointement par l’ARS et une collectivité territoriale. Il s’agit de partenariats entre différents acteurs de terrain, pour développer une approche transversale des questions de santé et impliquer des structures relevant de la promotion, la prévention et l’accompagnement médico-social, mais aussi pour prendre en compte d’autres facteurs ayant une incidence sur la santé (logement, environnement, mobilité…). D’une durée de trois à cinq ans, ils sont renouvelables et modulables. Les zones rurales isolées et les quartiers urbains en difficulté sont les deux milieux d’application prioritaires de ces outils, car c’est dans ces territoires que les parcours en santé sont les moins accessibles, mais aussi que les facteurs déterminants sont les moins favorables.

Selon les besoins des territoires, des groupes de travail peuvent être montés pour mener des réflexions qui peuvent aboutir à des actions très concrètes, comme la création de maisons de santé ou de maisons médicales. C’est dans ce cadre que le dispositif Preccoss a été mis au point, puis étendu, à Strasbourg.

À retenir

• Preccoss est un dispositif de prise en charge pluridisciplinaire des enfants en surpoids, à Strasbourg.

• Les actions des différents professionnels sont coordonnées par une infirmière qui fait le lien avec les instances tutélaires (ville et ARS), et assure la promotion du dispositif.

• L’infirmière a un rôle relationnel important auprès des familles.