Comme chaque année, le gouvernement a présenté, début octobre, son Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Un texte qui a donné bien des espoirs à la communauté infirmière en cette année d’épidémie, mais qui, pour l’instant, déçoit.
C’est l’alpha et l’oméga du financement du système de santé, le texte qui fixe la façon dont doivent être ventilés les fonds de l’Assurance maladie. C’est donc peu de dire qu’après bientôt un an passé à lutter contre le coronavirus, les soignants attendaient beaucoup du PLFSS millésime 2021. Que l’on parle d’organisation ou de rémunération des soins, celui-ci semblait pour beaucoup être une étape incontournable vers le fameux « monde d’après ». Reste à savoir si les débats parlementaires, qui doivent se poursuivre tout au long du mois de novembre, sauront répondre aux attentes des blouses blanches.
À première vue, le projet présenté en conseil des ministres le 7 octobre représente un effort sans précédent. Celui-ci fixe en effet l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2021, c’est-à-dire le montant des dépenses de santé prises en charge par la collectivité, à 224,6 milliards d’euros, soit 3,5 % de plus que les dépenses effectuées en 2020. Or, celles-ci ont elles-mêmes augmenté de 7,6 % par rapport à 2019, une hausse intervenue après l’adoption du PLFSS 2020, et que le nouveau PLFSS vient entériner. C’est « une progression des dépenses d’assurance maladie sans précédent », estime le gouvernement dans son dossier de presse de présentation du PLFSS.
On ne saurait lui donner tort. Le rythme de progression de l’Ondam était en effet plutôt poussif ces dernières années : 2,5 % pour 2019, 2,3 % pour 2018, 2,2 % pour 2017… et même 1,8 % pour 2016 ! « Cette année est vraiment exceptionnelle, la hausse des dépenses est vraiment spectaculaire », commente Jérôme Wittwer, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et président du Collège des économistes de la santé (CES). Celui-ci souligne que deux facteurs expliquent cette explosion des dépenses : les montants consacrés à la lutte contre le coronavirus, d’une part, et les annonces du Ségur de la santé, d’autre part.
Le PLFSS 2021 est, en effet, par bien des aspects, une manière d’entériner ces annonces faites au cœur de l’été, à la suite des longues semaines de discussion entre gouvernement et partenaires sociaux. On se souvient que celles-ci avaient abouti à une revalorisation salariale pour les personnels des hôpitaux et des Ehpads, que le PLFSS 2021 matérialise avec la création d’un Complément de traitement indiciaire (CTI) de 24 points d’indice (soit 90 euros nets mensuel) versé, à titre rétroactif, à compter du 1er septembre 2020, et porté à 49 points d’indice (183 euros nets mensuel) à partir du 1er mars 2021. « C’est un coup de pouce de l’ordre de 8 milliards d’euros chaque année. Ce n’est pas un one-shot », insiste Jérôme Wittwer.
Mais, le PLFSS entérinant les conclusions du Ségur, il s’attire les mêmes critiques. « On est loin du compte », tranche ainsi Rachid Digoy, infirmier de bloc opératoire (Ibode) et président du Collectif inter-blocs (CIB). Celui-ci rappelle que la revendication portée de longue date lors des manifestations de soignants, qui ont précédé l’épidémie de coronavirus, puis lors de la préparation du Ségur de la santé, était une augmentation de 300 euros nets, revalorisation permettant de porter le salaire infirmier au niveau de celui, en moyenne, des autres pays développés. En amont du Ségur, les soignants s’étaient aussi mobilisés pour obtenir des ouvertures de lits. Un sujet sur lequel le PLFSS reste très silencieux. Celui-ci comporte certes un volet dédié à l’investissement, avec notamment la reprise d’une partie de la dette des hôpitaux pour un montant total de 13 milliards d’euros et un programme d’aide à l’investissement en santé chiffré à 6 milliards d’euros. En théorie, on pourrait penser que cela placerait les établissements de santé dans une situation plus confortable pour augmenter leurs capacités d’accueil. Mais il est peu probable que cela soit dans les priorités pour l’allocation des fonds concernés. « Je ne pense pas qu’il y ait une volonté d’augmenter le nombre de lits à moyen terme, commente Jérôme Wittwer. Cela peut arriver ponctuellement, dans certains services et dans certaines régions, mais il n’y a pas de réelle politique en ce sens. » L’économiste note au contraire que le gouvernement s’engage fermement dans les alternatives à l’hospitalisation complète : chirurgie ambulatoire, prise en charge à domicile… S’il doit y avoir des investissements à l’hôpital, c’est dans cette direction qu’ils s’orienteront, et non vers l’augmentation du nombre de lits.
Outre des augmentations de capacités hospitalières et des hausses de rémunération, la profession attendait aussi de ce projet de financement qu’il réponde à des aspirations plus profondes, et notamment qu’il concrétise un élargissement de ses prérogatives. C’est du moins ce que souhaitaient faire valoir les 35 organisations infirmières qui ont participé, début octobre, aux États généraux infirmiers, et qui ont dressé une liste de 25 propositions qu’elles souhaitaient voir adoptées sous forme d’amendements au PLFSS. Au menu de ces 25 propositions se trouvait, entre autres, la création de consultations infirmières pour l’évaluation et la coordination du parcours des personnes âgées, ou encore l’autorisation pour la profession de prescrire certains traitements antalgiques et certains dispositifs médicaux.
D’après les organisations infirmières à l’origine de ces États généraux, il s’agit là de sujets qui auraient toute leur place dans un Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, car donner plus de responsabilités aux personnels infirmiers permet de libérer du temps pour les médecins, et, par conséquent, de faire des économies. « Nous avons ce que nous appelons des actes exclusifs, explique au nom des Ibodes Rachid Digoy, du CIB, l’une des organisations à la manœuvre pendant les États généraux. Si on nous laissait les pratiquer réellement, cela permettrait au chirurgien de pouvoir participer à d’autres interventions. »
Le problème, c’est que ces points sont totalement absents du PLFSS présenté par le gouvernement début octobre. Le lobbying des participants aux États généraux saura-t-il se faire suffisamment intense pour faire imposer ces sujets dans l’hémicycle, via le dépôt d’amendements par des parlementaires ? C’est la stratégie que le collectif dit poursuivre. Mais il n’est pas sûr que celle-ci soit efficace. Interrogé par L’Infirmière le 19 octobre lors d’une conférence donnée aux journalistes spécialisés de l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), le député LREM et rapporteur du PLFSS Thomas Mesnier ne semblait pas informé des revendications des États généraux, qu’il confondait avec les propositions de l’Ordre national des infirmiers (ONI).
Pire, parmi tous les amendements qu’il a évoqués lors de cette conférence comme susceptibles de poursuivre leur route pour modifier le PLFSS, aucun n’avait trait à l’élargissement des prérogatives de la profession. « Ce sont plutôt des sujets qui auraient leur place dans une loi santé », a justifié le député. Les États généraux semblent malheureusement avoir un train de retard : la grande loi santé du quinquennat, « Ma Santé 2022 », a été adoptée en 2019, et le grand chantier santé de la fin du mandat sera la loi « Grand âge et autonomie », dédiée au vieillissement et au handicap.
Alors, clap de fin pour les revendications infirmières ? Pas si sûr. Toujours lors de la conférence de presse de l’Ajis, Thomas Mesnier a révélé que les parlementaires de la majorité travaillaient sur une Proposition de loi (PPL) destinée à servir de « vecteur législatif » aux points du Ségur qui ne peuvent être mis en musique ni via le PLFSS, ni via un simple décret. Or, a-t-il poursuivi, des sujets tels que la prescription ou la consultation infirmière font selon lui « partie des choses qui pourraient se brancher sur une PPL santé ». Les responsables des États généraux infirmiers savent désormais dans quelle direction leurs efforts doivent s’orienter.
C’est peu de dire que le PLFSS 2021, avec ses revalorisations salariales pour les personnels des établissements et son plan d’investissement hospitalier, laisse les infirmières libérales (Idels) sur leur faim. « Il n’y a pas grand-chose pour les Idels dans ce texte, estime Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Je trouve que le gouvernement ne tire pas vraiment les enseignements de la crise : on aurait aimé voir dans ce PLFSS comment on pouvait faciliter la collaboration entre les Idels et les Ssiad ou les Ehpads, par exemple, à l’instar de ce qui s’est fait au plus fort de l’épidémie. » Ghislaine Sicre, présidente du syndicat rival Convergence infirmière, n’est pas plus tendre avec le texte gouvernemental. « Je n’ai rien vu dans ce texte pour les Idels », explique-t-elle. Il n’y a peut-être rien d’étonnant à cela : le PLFSS étant avant tout la traduction d’un Ségur que les Idels avaient unanimement critiqué comme hospitalo-centré, qui s’attire les mêmes critiques de leur part.
D’un côté, le gouvernement présente son PLFSS et ses milliards de dépenses supplémentaires. De l’autre, la Cour des comptes publie son rapport annuel sur le financement de la Sécurité sociale, qui recommande des milliards de coupes budgétaires. La crise ayant provoqué « une chute inédite des recettes » et « une accélération des dépenses », les magistrats proposent diverses pistes d’économies, parmi lesquelles la poursuite des rapprochements entre hôpitaux, via les Groupements hospitaliers de territoire (GHT), notant que « lorsque les GHT ont mis en place une direction commune, des dynamiques efficaces sont à l’œuvre, aboutissant souvent à la fusion des établissements du groupement ». Et avec des dépenses liées aux dispositifs médicaux qui augmentent de 4 % par an, ils demandent « une régulation globale plus efficace » de ce secteur. Et préviennent : « Les prochaines années seront marquées par la nécessité de replacer la Sécurité sociale sur la voie du désendettement et d’un retour durable à l’équilibre financier. »
Et si le gouvernement avait inventé le PLFSS quantique ? Tout comme le chat de Schrödinger qui, selon la théorie quantique, pouvait être à la fois mort et vivant, le texte actuellement en discussion au Parlement propose à la fois de dépenser des sommes inédites en faveur de la santé, et de faire des économies sur les soins. L’opération n’a en réalité rien de surnaturel, et se reproduit tous les ans : le PLFSS fixe toujours ce qu’il appelle des « mesures de régulation », c’est-à-dire des restrictions destinées à faire en sorte que les dépenses de santé augmentent à un rythme inférieur à leur rythme naturel. En effet, en l’absence de telles mesures, l’effet conjugué de l’augmentation de la demande de soins (notamment en raison du vieillissement de la population) et de l’innovation médicale ferait exploser les budgets. C’est ce qui permet au gouvernement d’annoncer à la fois des dépenses en hausse et un serrage de vis budgétaire.
LE MONDE D’APRÈS… PAS POUR DEMAIN
Ce dernier porte cette année sur 4 milliards d’euros de dépenses. Le gouvernement prévoit ainsi que près de 800 millions d’euros d’économies doivent être réalisés en baissant les tarifs de certains médicaments ou dispositifs médicaux, et que 310 millions d’euros doivent être épargnés en améliorant la pertinence de la prescription d’arrêts de travail et de transports sanitaires. 540 millions d’euros doivent par ailleurs être gagnés en « structurant mieux l’offre de soins » (amélioration de l’organisation des établissements et des parcours de soins). Et surtout, 975 millions d’euros doivent être grapillés grâce à la « pertinence et qualité des actes et des prescriptions ». Ceux qui pensaient que le « monde d’après » serait un monde d’abondance en seront pour leurs frais.