La polémique sur le nombre de lits en réanimation pour faire face à l’épidémie fait rage depuis plusieurs semaines. Avec plus de 5 000 lits, la France paraît en effet sous-dotée. Doit-on créer des centaines de lits après la crise ? Pour les médecins réanimateurs, il faut surtout mettre en œuvre des solutions flexibles.
Alors que l’épidémie de Covid-19 est exponentielle et que le nombre des admissions à l’hôpital et en services de réanimation ne cesse d’augmenter, la question du nombre de lits en réanimation se pose avec acuité. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2019, la France dispose de 5 400 lits de réanimation, enfants et adultes, répartis dans 323 établissements (1). Ce qui représente une augmentation de + 1,2 % par rapport à 2013. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, déclare, dans Les Échos daté du 20 octobre 2020, que suite à la première vague, « nous sommes passés de 5 100 lits en capacité fixe à 5 800 », ce qui représente, d’après le ministre, une hausse de + 15 %. Or, en 2013, la Drees recensait 5 334 lits…
Au-delà de ces chiffres et des informations données par le ministre, pourquoi y a-t-il si peu de lits de réanimation ? Pour rappel, « ces lits sont destinés à des patients qui présentent (ou sont susceptibles de présenter) plusieurs défaillances viscérales aiguës, mettant directement en jeu leur pronostic vital et impliquant le recours à des méthodes de suppléances », précise la Drees (1). La création de lits de réanimation, soumise à autorisation des agences régionales de santé (ARS), répond donc à des besoins précis. « Nous avons des lits de réa médicale pour des pathologies graves, comme la décompensation respiratoire, les maladies d’origine cardiaque ou la traumatologie. Et nous avons les lits de réanimation chirurgicale, qui sont destinés à des patients, avant ou après une intervention chirurgicale particulièrement lourde qui peut générer des désordres physiques. Ces lits sont également destinés aux patients qui ont un terrain pathologique important et besoin de soins spécifiques », détaille le vice-président du Syndicat national des infirmier (e) s anesthésistes (Snia), Emmanuel Barbe. De fait, tous les établissements de santé n’en sont pas doté. Les services de réanimation sont concentrés autour des grands centres chirurgicaux, autrement dit les centres hospitaliers universitaires (CHU), les hôpitaux de taille moyenne, et les établissements qui réalisent des interventions de chirurgie lourde. En outre, la quasi-totalité des lits de réanimation se trouve dans le public. « Sur environ 5 500 lits de réanimation, le privé en dispose de 550 », observe ainsi Étienne Fourquet, président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs (Snar). Une situation qui explique pourquoi il y a très peu de lits dans certains départements. Selon la Drees, en 2018, la Lozère ne compte que trois lits de réanimation, et les Alpes-de-Haute-Provence, six. Quatorze départements comme les Hautes-Alpes, l’Ardèche, le Cantal, la Creuse, le Gers, la Meuse ou encore les Vosges, n’en disposent, eux, que de huit. A contrario, dans les territoires où se situent les grandes métropoles et les CHU, le nombre de lits est beaucoup plus élevé : 471 à Paris, 309 dans les Bouches-du-Rhône, 239 dans le Nord, 222 dans le Rhône, 195 en Gironde, 165 en Haute-Garonne…
Le nombre de lits relativement peu élevé implique des difficultés à gérer des arrivées soudaines et importantes de patients, y compris hors crise sanitaire. « Les services de réanimation sont toujours pleins. Nous fonctionnons à flux tendu », commente le Dr Anne Geffroy-Wernet, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARe). « La réanimation suit le même tempo que celui des autres lits. Nous voyons bien que, depuis un certain nombre d’années, nous sommes dans une politique de gestion à flux tendu des lits d’hospitalisation et de réanimation », abonde Emmanuel Barbe. Le taux d’occupation des lits de réanimation est en effet d’environ 80-90 %. La création de centaines de lits est-elle alors nécessaire ? « Est-ce que l’État est prêt à créer des lits dont 50 % seront ensuite vides ? », interroge le président du Snar. « Nous avons peut-être besoin de quelques lits de réanimation supplémentaires, mais on ne va pas doubler leur nombre pour une éventuelle crise », rétorque le vice-président du Snia. D’autant que la création de tels lits n’implique pas d’avoir seulement des respirateurs mais également du personnel et la mise en place de « toute une filière logistique comprenant médicaments, biologie, imagerie, kinés », comme le souligne le vice-président du Snia. Sans compter des locaux plus grands. Le principal obstacle est déjà le manque de personnel. La réglementation impose d’avoir deux infirmières pour cinq lits de réanimation. « Pour être confortable, il faut une infirmière et une aide-soignante pour deux lits », remarque Anne Geffroy-Wernet. Si aucun texte ne mentionne un nombre de médecins anesthésistesréanimateurs par lit, il est toutefois nécessaire d’avoir au moins deux praticiens afin de garantir la collégialité des décisions et assurer, si un praticien doit surveiller un patient, la présence d’un second médecin pour les autres malades. La présidente du SNPHARe estime ainsi qu’il faudrait entre un et deux praticiens pour six patients. À cela s’ajoute la permanence la nuit et les weekends. Or, selon Anne Geffroy-Wernet, dans le secteur public, jusqu’à 30 % des postes d’anesthésistes- réanimateurs sont vacants. « Il y a environ 10 000 médecins anesthésistes, dont 30 % dans le privé », souligne Étienne Fourquet.
En outre, le service de réanimation requiert des compétences particulières, comme la manipulation des dispositifs médicaux, et donc une certaine expérience. « Une infirmière qui exerce dans ces services n’a pas de qualification spécifique, telles les infirmières anesthésistes qui sont finalement peu nombreuses en réanimation, mais un savoir qui s’acquiert au bout de deux ans environ, explique Emmanuel Barbe. Le problème est que les infirmières ne font pas carrière en réanimation, il y a donc du turnover ». Pour Étienne Fourquet, le fait que les infirmières n’ont pas besoin d’un diplôme particulier pour travailler en réanimation peut être un vrai atout pour recruter. Reste que l’attractivité de l’hôpital public demeure un véritable problème.
Alors, quelles peuvent être les solutions ? Les réanimations éphémères. Le Conseil national professionnel d’anesthésie-réanimation médecine péri-opératoire (CNP-ARMPO), qui regroupe la Société française d’anesthésie réanimation (Sfar), le SNPHARe et le Snar, entre autres, ont ainsi produit, en juin dernier, un guide d’aide à la mise en place et à la gestion d’une « Réanimation Éphémère »(2). « C’est une solution d’urgence, reconnaît cependant Anne Geffroy-Wernet. À l’avenir, il va falloir réfléchir différemment et sans doute augmenter le nombre de lits. Mais également revoir la gouvernance des hôpitaux et donner des perspectives au personnel. »
1. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), « En 2019, le nombre de places en hospitalisation partielle poursuit sa progression », Études & résultats, n° 1 164, septembre 2020. Disponible en ligne sur : bit.ly/3pBeYNZ
2. Conseil national professionnel d’anesthésie-réanimation médecine péri-opératoire (CMP-ARMPO), « Guide d’aide à la mise en place et à la gestion d’une “Réanimation Éphémère” », juin 2020. Disponible en ligne sur : bit.ly/3kOsXfW
Aux lits de réanimation, il faut ajouter les lits de soins intensifs et ceux de soins continus. En 2018, la Drees comptabilise 5 832 lits de soins intensifs et 8 062 de soins continus. Au total, avec les lits de réanimation, la France dispose de 19 326 lits, contre 28 000 lits de soins intensifs en Allemagne, dont 20 000 de réanimation. Cependant, la définition de ces types de lit n’est pas identique en Europe. Quoi qu’il en soit, en 2017, l’Allemagne a, en comptabilisant tous les services hospitaliers, 8 lits pour 1 000 habitants contre 5,9 en France, 3,1 en Italie, 3 en Espagne et 2,5 au Royaume-Uni.
Source : Panorama de la santé, OCDE, 2019