Depuis 2006, à Neufmoutiers-en-Brie, en Seine-et-Marne, le Centre médical et pédagogique pour adolescents accueille, dans son unité de Médecine physique et réadaptation psy, une quinzaine de jeunes.
Comme un jeudi sur deux, dans le hall de l’unité de Médecine physique et réadaptation (MPR) psy, la quinzaine de patients du service et leurs soignantes se retrouvent pour une heure d’échanges informels autour des règles du service, sur le programme des semaines à venir ou toute autre thématique que les adolescents ou les soignantes ont envie d’aborder. « J’aimerais vous parler de l’organisation des prochaines vacances, lance Marie-Rose Beja, cadre de santé du service, assise en face du groupe. Nous souhaiterions préparer une journée soignants-patients qui change de d’habitude. Vous avez des idées ? » Pour seule réponse, les quatres professionnelles de santé récoltent un long silence. Rien de surprenant à cela… Car avant d’être des patients, les jeunes présents ici sont avant tout des adolescents, avec toute la nonchalance qui caractérise parfois cette tranche d’âge.
L’équipe médicale, paramédicale et de rééducation de l’unité MPR psy, coordonnée par un médecin chef du service MPR et un médecin référent pédopsychiatre, propose une prise en charge de jeunes âgés de 11 à 18 ans transférés de services de réanimation, de neurochirurgie ou encore de rééducation pour des soins post-aigus. Tous ont pour point commun un mal-être psychique et physique. Et certains d’entre eux ont tenté de mettre fin à leurs jours, que ce soit par défenestration, pendaison, phlébotomie… Des passages à l’acte qui ont eu des conséquences sur leur corps : fractures des os, colonne vertébrale endommagée… dont ils garderont parfois des séquelles à vie. Impossible de passer outre les soins, une rééducation physique et psychique pour comprendre et travailler sur leur mal-être. « Pour en arriver à de tels extrêmes, ils ont généralement subi des pressions scolaires, familiales voire, parfois, sur les réseaux sociaux, rapporte Marie-Rose Beja. Comme souvent ils ne trouvent pas d’écoute attentive au sein de leur famille, ils se font du mal. » Le service accueille également des patients douloureux chroniques. « Lorsque l’adolescent évolue dans une cellule familiale conflictuelle où il vit une mise sous tension, sa douleur psychique peut être amenée à se focaliser sur un membre qui devient douloureux sans raison physique apparente et sans que cela ne soit conscient ou volontaire », explique Maurice Tognoli, kinésithérapeute au sein de l’établissement
La prise en charge de chaque jeune donne lieu à la mise en place d’un projet de soins spécifique, élaboré entre les professionnels de santé, la famille et les patients, et coordonné par les deux médecins référents rééducateur et psychiatre. En découle le travail des infirmières et des aides-soignantes, en lien avec l’éducatrice et l’équipe de rééducation (kinésithérapeutes, psychomotriciens, ergothérapeutes, diététiciens et éducateurs en activité physique adaptée). Une prise en charge pluridisciplinaire où les soignants travaillent en coordination pour permettre aux adolescents de se reconstruire sur des bases solides et se sentir en sécurité. D’ailleurs, lors de la consultation initiale, à l’admission, l’équipe prévient la famille de l’obligation, pour le patient, d’être suivi par le pédopsychiatre et la psychologue. « J’assure auprès des patients une thérapie de soutien et d’étayage à ce qu’ils vivent, souligne Mélanie Margot, la psychologue. Je suis à leur écoute pour échanger sur l’événement traumatique qu’ils ont vécu car souvent, ils sont demandeurs pour en parler. » « Ce n’est pas toujours facile de faire accepter ce suivi aux familles, poursuit Marie-Rose Beja. Elles refusent parfois de voir l’évidence quant au passage à l’acte de leur enfant ou à leur douleur chronique qu’elles pensent parfois simulée ou d’origine purement somatique. »
Chaque adolescent a un emploi du temps personnalisé, qui s’organise en priorité autour des soins et la rééducation, et, si possible, l’éducation. Car c’est là toute l’originalité de la structure : proposer aux patients un double projet soins-études pour qu’ils poursuivent leur scolarité le temps de leur hospitalisation. Une aile de l’établissement est d’ailleurs dédiée à l’Éducation nationale avec une proviseure adjointe/directrice des études, une conseillère principale d’éducation, des professeurs, un surveillant, deux secrétaires et un agent de collectivité territorial.
« Le matin, nous effectuons les transmissions avec l’équipe de nuit, puis, à partir de 7 h 45, nous préparons les traitements et organisons les soins », rapporte Gaëlle Szymczykowski, infirmière dans le service depuis deux ans. Une fois les soins dispensés, les adolescents peuvent suivre leur programme pour la journée. Outre la rééducation, les patients doivent aussi participer à des ateliers thérapeutiques animés par les soignants et les rééducateurs : médiation animale, atelier d’écriture, atelier de peinture, biobody. « Ces activités sont planifiées sur un cycle de quatre à cinq séances, explique le Dr Gabriela Deda Erbenova, médecin et chef du service MPR. La participation y est obligatoire et répond à une indication thérapeutique avec des objectifs précis à atteindre, définis par les professionnels de santé. » Et d’ajouter : « Ces ateliers ont vocation à servir de médiation thérapeutique car en psychiatrie, les médicaments ne sont pas la seule option. » À titre d’exemple, celui de médiation animale, coordonnée par l’éducatrice, une aide-soignante et un zoothérapeute, permet de travailler sur les troubles relationnels. « Cet atelier peut nous permettre de comprendre pourquoi le patient est renfermé et dépressif, précise le médecin. Dans son rapport à l’animal, nous observons son ouverture d’esprit, tandis que le contact et le toucher lui permettent de stimuler ses sens. » L’atelier de biobody, organisé notamment par la psychologue et la diététicienne, offre, quant à lui, une approche du schéma corporel afin de travailler sur le corps abîmé des patients. Chaque session d’atelier donne lieu à la rédaction d’un compte rendu, avec une analyse et un bilan. Celui-ci est ensuite présenté par l’équipe lors des réunions pluridisciplinaires hebdomadaires et est repris lors des entretiens familiaux mensuels.
Les infirmières et aides-soignants ont par ailleurs pour fonction d’accompagner les patients à leur séance avec le psychiatre, mais également aux consultations extérieures, notamment pour les contrôles dans les hôpitaux adresseurs ou pour des examens complémentaires. Ce sont elles aussi qui assurent le lien avec les familles lorsqu’elles appellent l’unité pour prendre des nouvelles.
En parallèle de la prise en charge médicale, les soignants proposent différents types d’activités. « Étant donné que leur emploi du temps ne couvre pas la totalité de la journée et qu’ils ont besoin d’être contenus, nous leur proposons des jeux de carte, de société, des balades dans le parc, des ateliers manuels pour décorer le service… », fait savoir Marie-Rose Beja. Contrairement aux ateliers thérapeutiques, ces occupations n’ont pas d’objectif thérapeutique. Ce qui n’enlève rien à leur importance car elles évitent au patient de s’isoler et « parce qu’au cours de ces moments de partage les adolescents vont pouvoir se confier, nous dire comment ils se sentent, comment ils vivent leur prise en charge, leur histoire, indique Gaëlle Szymczykowski, ces informations vont nous permettre à nous, soignants, d’adapter l’accompagnement que nous leur offrons. »
L’équipe sait bien entendu instaurer une certaine distance avec les patients, « mais il est vrai qu’en fonction du contexte, une proximité peut se mettre en place, rapporte la cadre de santé. Dans ce cas nous en parlons lors des transmissions ». L’occasion de déceler un problème, une difficulté que peut traverser un soignant. La psychologue peut d’ailleurs participer aux transmissions afin d’apporter son analyse sur une situation et venir en soutien. Elle intervient aussi pour la coordination interdisciplinaire entre les soignants et les rééducateurs. « C’est un vrai travail de maillage car il faut tenir compte de toutes les informations que tous les professionnels de santé recensent sur chaque patient, sur leur état psychologique, afin d’offrir la meilleure des prises en charge », explique Mélanie Margot. Toutes les semaines, un staff est d’ailleurs organisé entre les différents professionnels de santé pour faire le point sur tous les patients.
L’équipe pédagogique de l’Éducation nationale est associée à des moments d’échanges avec l’unité MPR psy lors de la Commission d’harmonisation et d’organisation (CHO) qui se tient toutes les deux semaines. Les professionnels de santé et l’équipe pédagogique sont en lien permanent afin de se transmettre toutes les informations utiles sur l’état d’esprit de l’adolescent, qui peut influer sur ses soins, sa rééducation ou ses cours. « Les enseignants peuvent nous appeler pour prendre des nouvelles d’un patient absent un jour donné, rapporte Karine Deregnaucourt, infirmière. En tant que soignant, nous pouvons évaluer si l’élève est apte, ce jour-là, à suivre les cours ou si, à l’inverse, il traverse une phase difficile. » « Je peux me renseigner auprès de l’équipe soignante pour comprendre les absences et les retards des patients car si pour certains ils sont justifiés, ce n’est pas le cas pour d’autres, poursuit Elsa Fernandes, la CPE. Il ne faut pas oublier que ce sont des adolescents et qu’ils peuvent ne pas avoir envie d’aller en cours. » Les professeurs, tous volontaires et formés à la prise en charge spécifique des élèves en situation de handicap, doivent eux aussi s’adapter à l’emploi du temps de ces derniers, amené à évoluer régulièrement. « Il s’agit certes d’un établissement soins-études, mais les soins restent la priorité et ils peuvent se rajouter dans le planning d’un jour à l’autre », précise la CPE. « Nous ne sommes pas attachés à réaliser un programme, indique Nadine Aigloz, professeure de français, pendant que les élèves entrent dans la salle de cours. Nous nous adaptons à chacun d’entre eux. Nous faisons de la haute couture et non du prêt-à-porter. » L’objectif est de permettre aux patients, dans la mesure du possible, d’obtenir leur diplôme, puisque l’établissement est également un centre d’examen pour le brevet des collèges et le baccalauréat.
Tous les patients n’ont pas la capacité de suivre des cours durant l’hospitalisation. C’est pourquoi un groupe à pédagogie spécifique (GPS), dédié aux élèves ayant un passé scolaire compliqué et qui ne supportent pas la pression scolaire, a été mis en place. « Pour eux, notre but est avant tout de les remettre sur le chemin de l’école et de l’enseignement pour leur faire retrouver progressivement des habitudes d’apprentissage, mais sans pression donc sans examen et sans devoirs à rendre », indique Elsa Fernandes. Avant d’être hospitalisés, ces patients étaient très souvent à la limite de la phobie scolaire, quand ils n’étaient pas déscolarisés.
« Quand la rééducation du patient est terminée, on programme sa sortie, explique le Dr Deda Erbenova. Mais s’il reste fragile sur le plan psychique et que cela impacte sa scolarité, nous allons l’accompagner vers un projet de vie et éventuellement envisager un transfert en psychiatrie ou vers une autre structure. » La reprise d’une scolarité peut être un réel stress pour ces jeunes. « Certains parents ont un tel niveau d’attente, mettent une telle pression, que cela rejaillit sur leur enfant, explique Marie-Rose Beja. Il est difficile de leur faire comprendre que leurs projections doivent parfois évoluer et être revues à la baisse car certains adolescents n’ont pas les capacités d’y répondre tandis que d’autres vivent un trop grand stress pour envisager une reprise de leur cursus scolaire initial. » Chaque sortie de patient est une victoire pour l’équipe qui s’est entièrement dédiée à l’accompagnement de l’adolescent pour lui permettre de retrouver une sécurité dans sa vie.