La France figure parmi les pays où la question de la vaccination fait le plus débat au sein de la population. D’où vient cette méfiance et comment la lever face aux arguments des vaccino-sceptiques ?
Une étude(1), parue le 20 octobre dans la revue Nature Medicine, assure que 41,11 % des Français interrogés hésiteraient ou refuseraient de se faire vacciner contre le Covid-19. Un chiffre plus élévé que celui d’un précédent sondage(2), mené par l’Ifop pour la fondation Jean-Jaurès au printemps, qui montrait que plus d’un quart des Français seraient réticents à un vaccin contre ce nouveau coronavirus. Et cela atteint même les 54 % dans un sondage Ipsos commandé par le Forum économique mondial, qui place la France en tête des pays les moins favorables à la vaccination contre le Covid-19. Des résultats qui peuvent étonner dans la patrie de Louis Pasteur, mais qui confirment que les Français restent parmi les plus vaccino-sceptiques dans le monde(3) : « Le sentiment relatif à la sécurité des vaccins est particulièrement négatif dans la région européenne, qui compte sept des dix pays les moins confiants, avec 41 % des personnes interrogées en France déclarant qu’elles ne sont pas d’accord avec l’innocuité des vaccins, contre une moyenne mondiale de 13 % ». L’hésitation vaccinale se définit selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « le fait de retarder ou refuser une vaccination sûre malgré sa disponibilité ». Même si la vaccination contre le Covid-19 n’est pas encore sur les rails, malgré les annonces de certains laboratoires qui disent avoir enfin trouvé le vaccin, les exemples sont assez nombreux pour que cette hésitation vaccinale mette en danger les objectifs de santé publique : « La réticence ou le refus de se faire vacciner en dépit de la disponibilité des vaccins menace d’inverser les progrès accomplis dans la lutte contre les maladies évitables par la vaccination », avertissait l’an dernier l’Organisation mondiale de la santé, qualifiant même cette hésitation vaccinale comme l’un des dix fléaux que l’Organisation redoute le plus, aux côtés de l’antibiorésistance et l’émergence de nouveaux virus.
Il faut dire que c’est un comportement qui se banalise de plus en plus, comme l’écrivent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, co-auteurs de Antivax, la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours(4) : « Un premier indice se trouve en consultant PubMed, où les études sur le sujet fleurissent en nombre exponentiel », indiquent les auteurs : d’une cinquantaine en 2007 à plus de 200 l’an dernier. À cela s’ajoutent des publications de plus en plus fréquentes dans le domaine des sciences humaines et sociales, moins faciles à quantifier mais qui montrent clairement une tendance forte : en France, si 90 % des 18-75 ans se disaient favorables à la vaccination en 2009, ils n’étaient plus que 61 % après le cafouillage(5) du vaccin contre la grippe H1N1. Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau (lire encadré p. 45) et les arguments développés par ceux qui hésitent, menés par les “antivax”, ne diffèrent pas tellement de ceux d’hier : « La majeure partie de la défiance vient du fait que l’on injecte un médicament, le vaccin, à un sujet sain, pour ne pas qu’il développe une maladie », explique le Dr Kristell Guével-Delarue, médecin généraliste en PMI et auteure de L’hésitation vaccinale, les mots pour expliquer(6). Cela peut parfois être difficile à comprendre. » Certaines erreurs ont aussi pu contribuer à s’interroger sur le sujet : dans les années 1930, à Lübeck, en Allemagne, 72 nourrissons vaccinés contre la tuberculose contractent une forme mortelle de la tuberculose après que le lot vaccinal a été contaminé ; en Finlande et en Suède, plusieurs cas de narcolepsie sont relatés à la suite de la vaccination contre la grippe H1N1.
D’autres polémiques encore citées par les antivax ont cours aujourd’hui, comme le lien entre vaccination contre l’hépatite B et l’apparition d’une sclérose en plaques (SEP). Pour cette dernière, bien qu’aucun lien n’ait été établi par les autorités sanitaires, l’indemnisation de certains patients a toutefois pu contribuer à le faire croire. « Mais, rappelle le Dr Guével-Delarue, le lien juridique n’est pas le lien scientifique : le juge peut ne pas tenir compte des avis d’experts si c’est dans l’intérêt supposé du malade, et prendre en considération le seul lien temporel pour permettre l’indemnisation du patient : celle-ci ne signifie ni reconnaître ni condamner un coupable(7). » Si cette inquiétude n’est pas spécifique à la France, le pays caracole en tête des vaccino-sceptiques : « C ela peut s’expliquer par une défiance exacerbée vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique avec des affaires comme le Mediator® ou celle du sang contaminé », suppose le Dr Guével-Delarue. Cette hésitation naîtrait aussi de l’absence d’épidémie : on ne voit pas l’intérêt de se vacciner quand on n’entend pas parler de la maladie. Un point confirmé par la ruée sur les vaccins contre la grippe en cette fin d’année, due à une campagne très bruyante sur le sujet. A contrario, la communication prématurée de laboratoires lancés dans la course aux vaccins contre le Covid-19, annonçant une efficacité à 90 %, est de nature à entraîner une méfiance supplémentaire. De même que l’accélération de la recherche, afin de proposer un vaccin en quelques mois (la seule phase 3 des essais dure habituellement entre trois et cinq ans), pose question.
Historiquement, les hésitants face à la vaccination se battent sur trois fronts : celui de l’obligation vaccinale quand elle existe, celui d’une médecine qu’ils estiment contre-nature et celui de l’économie de santé : depuis les années 1970, « l’industrie pharmaceutique, qui ne cesse de se développer, conduit peu à peu à l’abandon de la fabrication nationale des vaccins et à un basculement de la production du secteur public au secteur privé. Pour l’antivaccinisme, l’ennemi prioritaire cesse d’être le législateur ou le médecin académique mais le laboratoire privé, qu’ils ne tarderont pas à baptiser Big Pharma », détaillent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud. Ce sont pourtant ces mêmes laboratoires qui vont permettre une meilleure sécurité vaccinale : l’autosuffisance vaccinale a en effet un coût en termes de gestion des risques, ce qui conduit les pays à confier la fabrication des vaccins à des laboratoires privés : « La fabrication des vaccins est de plus en plus complexe, la pression internationale pour la standardisation et le contrôle des vaccins pèse sur les industries publiques souvent sous-financées, les droits de propriété intellectuelle favorables aux géants du secteur privé sont renforcés ; […] et puis seuls les grands groupes internationaux ont les reins suffisamment solides pour assumer certaines mises en cause judiciaire », expliquent les auteurs d’Antivax. Pour autant, l’État veille au grain, notamment avec les mesures de pharmacovigilance visant à sécuriser la vaccination. Qui plus est, « à l’adresse de ceux qui opposent ces laboratoires aux médecines parallèles comme étant plus sûres car naturelles, il ne faut pas croire qu’elles soient dénuées d’intérêt économique, contrairement à l’industrie pharmaceutique », rappelle Kristell Guével-Delarue.
Selon l’OMS, difficile de dresser le portrait-type des vaccino-sceptiques selon les pays, les ethnies, les croyances ou encore les habitats ruraux ou urbains : « Il ressort d’entrevues avec des responsables de la vaccination dans les régions de l’OMS que, dans certains cas, des minorités ethniques particulières, en milieu rural, et des communautés isolées étaient concernées, mais que des personnes aisées habitant en milieu urbain s’inquiétaient aussi de l’innocuité des vaccins. À certains endroits, ces préoccupations sont exprimées par des sous-groupes d’objecteurs religieux ou philosophiques. » En réalité, plusieurs études montrent qu’un niveau d’instruction élevé peut être un obstacle à l’acceptation des vaccins dans certains contextes alors que d’autres études démontrent, elles, que l’instruction favorise l’acceptation. Dans une étude menée dans 67 pays à travers le monde(3), l’analyse des chiffres tend à prouver que « les pays ayant un niveau de scolarité élevé et un bon accès aux services de santé sont associés à des taux plus faibles de sentiment positif, ce qui indique l’émergence d’une relation inverse entre les sentiments à l’égard des vaccins et le statut socio-économique ». Dans leur ouvrage, Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud abordent la question des fondamentalismes religieux et montrent, étude à l’appui(8), que dans presque toutes les religions, des minorités affichent des positions antivaccin : « Les oppositions revendiquées comme liées à la religion se révèlent en réalité des rejets liés à la morale ou l’affirmation de liberté individuelle. »
Viennent aussi les idéologies, notamment écologiques et naturalistes, qui considèrent la vaccination contre-nature : « Il faut donner au système immunitaire le goût de l’effort, qui s’entraîne avec les maladies infantiles. Il faut donc éviter les vaccins qui nuisent à cet entraînement », justifient les détracteurs des vaccins. Les antivax voient la maladie infantile comme un rite de passage, de formation de l’immunité. De nombreuses enquêtes(9) auprès de parents refusant la vaccination montrent qu’ils se réfèrent fréquemment à une dialectique opposant naturel et artificiel : « Dans les classes moyennes et supérieures où cette idéologie est la plus répandue, on observe un investissement fort de la parentalité ; le vaccin peut être vu comme une remise en cause de l’efficacité du soin maternel, en même temps qu’une rupture avec la Nature, le fameux instinct maternel », poursuivent les auteurs. Pour tenter d’expliquer le rejet vis-à-vis des vaccins, des experts de psychologie sociale ont mené une étude à travers 24 pays, en tentant de corréler l’opposition aux vaccins à divers déterminants psychologiques : les attitudes antivax se retrouvent le plus souvent chez ceux qui ont déjà une forte adhésion aux théories du complot, quel que soit leur niveau d’éducation, à ceux qui brandissent l’argument de la vaccination comme une limitation des libertés en ayant également une vision individualiste du monde ou encore simplement ceux qui ont peur des aiguilles(10).
Mais parmi les partisans de l’hésitation vaccinale se trouvent aussi des professionnels de santé : selon une étude(11) de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (Inpes), parue en 2015 via la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), si une majorité des médecins généralistes se montrent favorables à la vaccination, près d’un tiers d’entre eux préfèrent se fier à leur propre jugement, et un quart d’entre eux émettent même des doutes à l’égard des risques et de l’utilité de certains vaccins. « Il y a une véritable carence dans la formation initiale et continue des médecins : de fait, on peut vite se retrouver déstabilisé face à des patients qui peuvent aller très loin dans leurs arguments et leurs questions si l’on n’a pas de vraies réponses à leur opposer. Pour être convaincant, il faut être soi-même convaincu », poursuit le Dr Guével-Delarue, qui conseille d’être à l’écoute du patient et de ne pas le laisser sans réponse face à ses interrogations en lui imposant le vaccin. « Cela peut prendre du temps », explique celle qui s’est formée et qui a écrit un ouvrage qui s’utilise comme un outil pour rester pédagogue. Les infirmières, éga lement actrices de premier plan dans les campagnes de vaccination, doivent également être en mesure d’expliquer aux patients hésitants les tenants et les aboutissants de la vaccination. Tout comme les pharmaciens, qui constituent un véritable maillage avec près de 22 000 officines. Enfin, selon la Cour des comptes, relativement critique sur le système de vaccination français, cela pointe l’insuffisance de l’éducation dans ce domaine. Le sujet de la vaccination ne figure dans les programmes actuels de sciences de la vie et de la terre qu’en classe de 3e pour tous les élèves, avec un approfondissement pour les filières scientifiques au lycée : une insuffisance qui s’accentue avec la défaillance de la médecine scolaire qui manque de bras. Pourtant, selon le comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, présidée par le Pr Alain Fischer, professeur d’immunologie, l’école pourrait être un levier important pour lever l’hésitation.
Dans l’ouvrage du Dr Guével-Delarue, profanes ou non peuvent apprendre ou réapprendre les bases de la vaccination pour en comprendre les mécanismes. Le médecin y décortique également toutes les questions relatives à l’hésitation vaccinale et détricote les causes de la réticence en rétablissant la vérité scientifique : l’aluminium est-il un adjuvant dangereux ? Pourquoi faut-il se vacciner contre la rougeole ? Qu’en est-il des risques liés à la vaccination contre l’hépatite B ? Que faire en cas de sclérose en plaques dans l’environnement familial ? Autant de questions qui trouvent une réponse étayée et actualisée de toute l’actualité vaccinale : « Aujourd’hui, l’obligation vaccinale, passée depuis le 1er janvier 2018 à onze vaccins pour les enfants de moins de 2 ans(12), est un excellent levier pour restaurer la confiance », estime Kristell Guével-Delarue. Selon elle, cela signifie que l’État s’engage et que, le cas échéant, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) est là pour éventuellement indemniser les patients. Mais convaincre une personne qui hésite c’est aussi être soi-même informé en choisissant bien ses canaux d’information. À l’heure où l’information en continu diffuse tout et son contraire, où les réseaux sociaux véhiculent tout et n’importe quoi à la vitesse de la lumière, il faut rester vigilant pour trouver la bonne information. On sait que la majorité des Français se renseignent sur Internet en consultant des sites essentiellement commerciaux et certains sites officiels(13). Néanmoins, certains d’entre eux, engagés antivax, sont bien référencés par les moteurs de recherche : comme dans le cas bien connu des sites anti-avortement, ils utilisent des adresses neutres(14) en apparence, mais présentent la vaccination comme un « crime contre l’humanité ». Quant aux réseaux sociaux, ils peuvent véhiculer de fausses informations et des rumeurs sur les vaccins : en 2009, les antivax avaient annoncé que les enfants seraient vaccinés de force contre la grippe H1N1 dans les écoles, ce qui n’est jamais arrivé. Le type de rumeur remis au goût du jour alors qu’aucun vaccin n’a encore été découvert contre le Covid-19.
« Pour trouver les premiers mouvements d’opposition à la vaccination, il faut revenir aux origines : cela existe depuis que la vaccination existe », explique le Dr Kristell Guével-Delarue. Vers la fin du XVIIIe siècle, Edward Jenner, médecin anglais, étudie la vaccine, la variole de la vache : il découvre que, par immunité croisée, cette vaccine protège l’homme de la variole. Une campagne de vaccination est alors lancée et aboutit à une chute drastique de la mortalité. Mais déjà les détracteurs de Jenner pointent du doigt des cas de variole après vaccination ou des contaminations syphilitiques. Les premiers vaccinophobes fantasment beaucoup sur l’injection d’un produit animal chez l’homme car on ne comprend pas encore les mécanismes réels de l’immunité : empoisonnement, « humeur impure » prise sur des animaux malades, réveil des instincts de bestialité, toutes les thèses y passent pour s’opposer à la vaccination.
Tous les ans, Mireille se fait vacciner contre la grippe au moment de l’automne : âgée de plus de 65 ans, elle reçoit un bon de l’Assurance maladie l’invitant à retirer gratuitement la dose en pharmacie. Mais cette année, elle hésite : ses enfants ont lu sur les réseaux sociaux que les vaccins n’étaient pas sûrs et qu’avec le Covid-19, qui dit qu’on n’essayerait pas d’inoculer aux patients des vaccins-tests ? Pour rassurer Mireille, il faut lui expliquer comment sont préparés les vaccins contre la grippe, bien en amont de la campagne vaccinale et cette année notamment, avant que le Covid n’émerge. « Il faut aussi se montrer exemplaire et dire aux patients que vousmême, en tant que professionnelle de santé, vous êtes vaccinée. C’est la même chose lorsqu’un parent s’interroge sur les vaccins pédiatriques, on peut rassurer en disant qu’on a soi-même vacciné ses propres enfants, cela renforce le discours », conseille Kristell Guével-Delarue. Enfin, il ne faut pas hésiter à expliquer, si le patient est prêt à l’entendre, comment est fabriqué et commercialisé un vaccin, avec toute la pharmacovigilance qui l’entoure. Car la pédagogie est la clé qui permettra de faire basculer la personne de l’hésitation vers l’adhésion.