JE ME FORME
PHARMACO
Amélie Dufaÿ Wojcicki* Balthazar Toussaint**
*Département Recherche et développement pharmaceutique, Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), Paris.
**pharmacienne et Dr en biopharmacie
*** responsable de l’unité Recherche et développement galénique de l’Ageps
****Université de Paris, CNRS, Inserm, UTCBS, Chemical and Biological Technologies for Health Group (
*****pharmacien assistant hospitalier universitaire
L’infirmière étant un acteur central dans la prise en charge des patients, connaître les grandes lignes du développement d’un médicament lui permettra d’expliquer, rassurer et renseigner le patient afin de favoriser l’observance de son traitement.
Afin de garantir un produit à la fois de qualité, sûr et efficace, la conception d’un médicament suit une démarche scientifique extrêment cadrée et construite en fonction :
→ des besoins cliniques d’une population cible et des spécificités de la pathologie concernée, se traduisant dans le choix de la composition (dose de substance active, choix des excipients), de la forme galénique et du conditionnement ;
→ des propriétés de la molécule thérapeutique afin d’obtenir, d’une part, l’efficacité adéquate (par exemple éviter l’effet de premier passage hépatique important ou une dégradation au niveau de l’estomac), et, d’autre part, de garantir une stabilité du médicament tout au long de sa durée de conservation (conditions de conservation, choix des excipients).
Un médicament comprend une ou plusieurs substances actives qui sont responsables de l’activité curative ou préventive (1). Cette substance active (plus connue sous de nom de principe actif) est associée à des excipients qui n’ont pas d’action thérapeutique mais qui permettent la bonne administration, absorption, voire distribution de la substance. La définition du choix et de la proportion de ces excipients, associée à un conditionnement protégeant le médicament, est effectuée au moment du développement pharmaceutique, lequel fait suite à la découverte d’une molécule, ayant un intérêt thérapeutique, en phase de recherche et elle précède les essais cliniques, ainsi que la fabrication industrielle du médicament. L’objectif est de définir le futur médicament, ainsi que son procédé de production afin qu’il puisse être produit à une échelle industrielle (voir la frise générale d’un développement médicamenteux page ci-contre).
Le développement d’un nouveau médicament, qui fait appel à plusieurs disciplines, est un processus à haut risque d’échec, qui s’étale donc sur plusieurs années et qui nécessite de nombreuses étapes et études afin de garantir un traitement de qualité, sûr, efficace et adapté à l’usage recherché. Le Conseil international d’harmonisation a émis des lignes directrices, connues sous le nom de guidelines ICH (2), qui ont pour objectif de satisfaire les différents critères requis pour l’enregistrement et l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament (AMM) par les instances réglementaires (3) en termes de Qualité, Sécurité, Efficacité (Q, S, E). Ces guidelines sont des aides au développement de produits pharmaceutiques visant à démontrer scientifiquement le respect des critères Q, S, E.
Le développement vise à définir quelle est forme galénique associée à son conditionnement qui permettra d’obtenir un médicament adapté et stable sur la durée, afin d’obtenir l’effet thérapeutique visé. Le développement pharmaceutique fait notamment appel à trois disciplines : la pharmacie galénique, la chimie analytique et la microbiologie, qui doivent travailler en étroite collaboration afin de répondre aux différents objectifs.
Lors de l’initiation du développement pharmaceutique, un profil cible du produit (ou TPP pour Target Product Profile) est défini. Ainsi le guideline ICH Q8, relatif au développement d’un médicament, présente les éléments d’un TPP, à savoir la population cible et l’indication clinique visée, la voie d’administration, la posologie (dosage et rythme d’administration), la forme galénique et le conditionnement associé.
Le Target Product Profile est traduit en cahier des charges pour la formulation galénique (associée, si nécessaire, à un dispositif d’administration) après identification des besoins exhaustifs liés au patient mais également à la molécule à formuler. Ainsi, pour définir le TPP, les informations « patient » peuvent porter sur :
→ la population cible et ses particularités (4) (pédiatrie/ adulte/gériatrie, pathologies, sexe) ;
→ le type de prise en charge de la pathologie (en urgence/au long cours, hospitalisation nécessaire ou non) ;
→ la cible pharmacologique (cellules, tissus ou organes).
L’identification des points faibles d’une molécule d’intérêt permettra de développer la forme galénique la plus sûre et la plus adaptée au contexte « patient », en plus d’éventuellement compenser les faiblesses de cette molécule, comme :
→ une instabilité physicochimique (molécule sensible à l’hydrolyse, l’oxydation, la lumière ou la température) ;
→ une pharmacocinétique/biodistribution défavorable (absorption, instabilité métabolique, excrétion rapide, spécificité cellulaire) ;
→ une incompatibilité avec la voie d’administration (par exemple pour une molécule irritante pour les muqueuses).
Le développement pharmaceutique a donc pour objectif de concevoir un médicament répondant aux objectifs cliniques pour une population cible, tout en respectant les contraintes liées à la substance active afin qu’elle puisse exercer son activité thérapeutique.
→ Caractérisation physicochimique de la substance active.
→ Développement des méthodes analytiques adaptées pour doser la substance active, ainsi que pour la séparation d’impuretés de synthèse et de produits de dégradation de celle-ci. Ce développement peut se faire jusqu’au développement de la formule finale sélectionnée.
→ Identification des facteurs d’instabilité de la molécule par une étude de dégradation forcée : la substance est soumise à divers stress contrôlés (température, humidité, oxydants forts et légers, pH variables…) afin d’identifier tous ses facteurs de sensibilité. Cette étape-clé permettra ainsi d’adapter les excipients et le procédé de fabrication en vue de garantir la bonne stabilité de la substance active.
→ Prospection des producteurs et fournisseurs des matières premières, l’objectif étant ici de sécuriser l’approvisionnement de matières premières de qualité pharmaceutique en termes de composition (bonne teneur, absence d’impuretés) et d’absence de variations à mesure des commandes.
→ Prospection des conditionnements.
→ Sélection d’excipients adaptés à la fois à la forme galénique envisagée et aux facteurs de sensibilité de la substance active (lire encadré page suivante). De plus, certains excipients permettent de jouer sur la libération de ce principe actif (forme à libération prolongée ou immédiate, formes retard…) pour améliorer la prise en charge d’une pathologie ou l’observance du patient. D’autres excipients, eux, permettent de compenser la toxicité intrinsèque d’une molécule observée en clinique, comme c’est le cas, par exemple, pour la doxorubicine dont la toxicité cardiaque est réduite grâce à l’encapsulation de cette anthracycline dans une structure particulaire organisée appelée liposome.
→ Étude de la compatibilité physique et chimique de la substance active avec les excipients, et des excipients entre eux. Ces études visent à déterminer, au sein de chaque famille d’excipient, lequel ou lesquels d’entre eux ne génère(nt) pas d’interactions délétères sur la stabilité de la substance active.
→ Premiers mélanges et tests de préparation avec un procédé de préparation adapté (thermosensibilité, photo-instabilité…). Préparation de mélanges par ajout des différents excipients, puis évaluation des impacts, positifs et négatifs, sur les caractéristiques des préformules obtenues.
→ En parallèle de toutes ces étapes, d’autres études sont menées afin d’augmenter les connaissances sur la substance active à différents niveaux, comme la solubilité, les conditions optimales de stabilité, le passage transmembranaire ou encore les données pharmacologiques.
→ Détermination des proportions de chaque excipient introduit dans les formules tests au regard des différents résultats de caractérisations : identification de la ou des formule(s) candidate(s).
→ Développement du procédé (mélange, solubilisation de la matière, stérilisation par chaleur humide ou filtration) : définition du procédé, des points critiques et des contrôles associés pour surveiller la qualité et l’absence d’écart à ce qui est attendu afin d’obtenir une qualité constante du produit final.
La formulation ainsi choisie est optimisée, un conditionnement compatible est sélectionné (5), et la reproductibilité du procédé est évaluée. Des études préliminaires de stabilité sont ensuite effectuées sur la formule retenue.
Les lots réalisés à petite échelle « R&D » (pour recherche et développement) vont être produits en plus grand volume de façon répétable, avec, si nécessaire un ajustement du procédé.
Grâce au développement de méthodes analytiques adaptées à l’évaluation de la stabilité physicochimique et microbiologique, des études de stabilité de la formule finale sont menées sur le long terme selon les recommandations ICH. À noter que ces études sont adaptées à la zone de commercialisation (6). Ces études permettent de définir une durée de péremption. Cependant, dans le cas d’une stabilité insuffisante, la formule pourra être retravaillée et optimisée.
La conception d’un médicament répond à des objectifs de qualité, d’efficacité et de sécurité, et sa composition est réfléchie et argumentée. Si l’étape de développement pharmaceutique est un parcours à la fois long, couteux et risqué, elle est nécessaire pour passer d’une molécule « simple » à un produit cible, qui sera d’abord étudié chez l’animal, puis chez l’homme en vue d’une application en clinique. Le produit pharmaceutique ainsi développé fera ensuite l’objet d’essais cliniques afin de déterminer son efficacité et donc son intérêt dans la prise en charge des patients.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt
Selon la forme galénique recherchée (solide : comprimé/gélule ou liquide : sirop/injectable), différentes familles d’excipient vont être nécessaires pour construire la forme galénique. Par exemple, pour un comprimé il faudra le plus généralement un diluant, un lubrifiant, un désintégrant et un liant. Un autre exemple pour une molécule sensible à l’oxydation, l’ajout d’un antioxydant ou l’adaptation du procédé de fabrication (inertage à l’azote lors de la mise en conditionnement) peuvent être envisagés pour compenser les lacunes de la substance active. De même, des masquants de goût et/ou des édulcorants peuvent être utilisés si une administration orale est envisagée.